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Souvenir d’une guerre oubliée en Himalaya

En 1962, les États-Unis ont aidé l’Inde en conflit contre la Chine. Ils ont pris une position ferme sur une frontière contestée

Écrit par Jeff M.Smith
16.10.2012
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  • Des soldats du régiment Gurkha marchent dans la neige le long de la frontière sino-indienne, à un peu moins de 5 kilomètres de l’État d’Arunachal Pradesh, le 31 octobre 2003. L’Inde et la Chine ont mené une guerre frontalière amère, les troupes chinoises avançant en profondeur vers l’Arunachal Pradesh et infligeant de lourdes pertes. (AFP/Getty Images)

WASHINGTON – Le mois d’octobre marque le cinquantième anniversaire de la guerre sino-indienne de 1962. L’événement sera peu couvert en Inde, où l’invasion surprise de la Chine, mêlée d’outrage et de trahisons, reste encore dans les mémoires.

Mais cet événement sera aussi l’occasion de commémorer la première alliance tactique militaire de l’Inde avec les États-Unis. 

Après sa prise d’indépendance de 1947 et pendant plus d’une décennie, New Delhi a su entretenir des relations cordiales avec Pékin. Dans un esprit de courtoisie asiatique, les deux pays se sont entendus pour ne pas entrer en conflit à propos d’une frontière que l’Inde avait héritée de l’Empire britannique.

Mais la lune de miel a été de courte durée. À la fin des années 50, une insurrection ethnique au Tibet a mis Pékin sur la défensive. Suspectant un engagement indien dans cette révolte, Pékin a abandonné ses concessions concernant le territoire disputé. 

Peu à peu, les armées indiennes se sont de plus en plus aventurées aux abords de la frontière et, en 1959, les tensions autour de cette zone ont tourné à l’affrontement armé.

Une aide des États-Unis

Après trois années d’affrontements, les forces armées chinoises ont lancé une invasion surprise le 20 octobre. À cette même date, l’administration Kennedy a mis l’embargo sur Cuba afin de garder les missiles soviétiques le plus loin possible de l’hémisphère occidental.

Même sous la menace de la crise des missiles de Cuba, Washington n’a pas pu rester à l’écart de l’affaire. Une semaine avant l’invasion chinoise, la capitale a décidé d’envoyer, à la demande indienne, deux Caribou – des avions de transport – des pièces de rechange pour les avions C-119 et des radios à longue portée.

Les États-Unis avaient déjà goûté au zèle révolutionnaire de Mao durant la guerre de Corée et étaient alarmés par le support chinois aux insurrections à travers l’Asie. Quelques jours après que les forces chinoises ont traversé l’Himalaya, le président John Kennedy a écrit au Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, demandant: «Qu’est-ce que l’Amérique est en mesure de faire pour vous soutenir dans des mesures qui soient les plus pratiques pour vous et le plus tôt possible».

La politique indienne de non-alignement et les relations spéciales de Washington avec le Pakistan ont fait des États-Unis un allié inattendu pour l’Inde. Mais les partisans de New Delhi à Moscou ne pouvaient pas supporter d’aliéner la Chine lors de la crise des missiles de Cuba, malgré le début de la rupture sino-soviétique.

Le 1er novembre, les renforts militaires sont arrivés en Inde par les airs. Volonté de New Delhi, le premier envoi a été modeste: conseillers militaires, munitions, fusils, mortiers et soutien du transport aérien. Mais le 14 novembre, les deux pays ont constitué une «base formelle d’assistance militaire». Washington a alors préparé un envoi de 50 millions de dollars pour équiper cinq divisions indiennes.

Malheureusement, cette démarche est intervenue trop tard et a été trop restreinte. L’armée indienne, assiégée, s’est effondrée sous le poids d’une seconde offensive chinoise à la mi-novembre. Désespéré, Nehru en a appelé directement à Kennedy, le 19 novembre et demandé 12 escadrons d’avions supersoniques résistant à tous les temps et les radars les plus modernes.

Nehru a demandé que les forces aéronautiques soient «tenues par des militaires américains pour protéger nos villes et nos installations et... pour aider l’Indian Air Force dans des batailles aériennes avec l’armée de l’air chinoise.»

Deux jours plus tard, la Chine a brutalement stoppé la guerre, déclarant un cessez-le-feu unilatéral, et, à la surprise générale, a cédé volontairement certaines des terres qu’elle avait gagnées à l’Est.

La décision de la Chine a privé Kennedy de la possibilité de répondre à l’appel de Nehru. Mais les relations États-Unis-Inde prospèreront: fin novembre, le Département du Conseil d’État des politiques d’aménagement a décidé d’imposer un « embargo total occidental contre la Chine », si Pékin choisissait de reprendre les hostilités.

Les ventes de matériel militaire américain vers l’Inde ont augmenté les années suivantes avant de s’arrêter brutalement en 1965, lors de la guerre indo-pakistanaise.

Des efforts diplomatiques

Ironiquement, alors que l’aide de l’armée américaine n’a finalement pas défendu l’Inde, ses efforts diplomatiques au Pakistan ont pu se révéler bénéfiques. Là, les États-Unis ont dû faire face à une tâche peu enviable: convaincre ses alliés d’Islamabad de ne pas capitaliser sur l’invasion chinoise en appuyant ses réclamations au Cachemire.

Sans succès, des officiels américains ont fait pression sur Islamabad pour mettre fin aux négociations entre Pékin et le Pakistan à propos de ses frontières et retirer leurs troupes de la ligne de contrôle au Cachemire. Pour établir une certaine confiance, ils ont exhorté Nehru de fournir au Pakistan des données sur les mouvements des troupes indiennes. Ils l’ont convaincu d’envoyer une lettre amicale au président pakistanais Khan Ayub.

Mais, apprenant que des livraisons d’armes américaines étaient destinées à l’Inde, le Pakistan, indigné, a menacé de se retirer de deux alliances antisoviétiques, CenTO (Organisation du Traité Central) et l’OTASE (Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est ou Pacte de Manille). Bob Komer, collaborateur au Conseil national de Sécurité, avait noté: «Le Pakistan traverse une véritable crise émotionnelle, voyant que son ambition première d’utiliser les États-Unis comme levier contre l’Inde, s’envole en fumée et que la situation se tourne vers la guerre des frontières chinoises».

Washington est resté ferme, refusant cette idée de soutien «d’équilibrage» à l’Inde, avec l’augmentation des armes au Pakistan. Il a décidé de détourner les exigences de l’Inde en les forçant à négocier immédiatement sur le Cachemire.

Dans une phrase qui porte un intérêt étrange aux relations contemporaines américano-pakistanaises, le secrétaire d’État Dean Rusk a écrit à l’ambassade de l’Inde: «L’estime et l’amitié du peuple américain pour le Pakistan vont fondre si le Pakistan décide de se rapprocher de ceux qui sont les ennemis jurés de la liberté.»

En fin de compte, les États-Unis ont aidé à prévenir tout aventurisme pakistanais en promettant à l’Inde de négocier sur le Cachemire après la résolution du conflit frontalier. On pouvait s’y attendre, les négociations se sont révélées vaines.

Créer un précédent

Enfin, nous nous tournons vers l’empreinte la plus durable de l’Amérique sur le conflit frontalier. Démentant un manque d’intérêt et d’expertise sur le sujet, en 1959, le secrétaire d’État Christian Herter a insisté publiquement sur le fait que les États-Unis n’ont pris aucune position officielle sur le conflit sino-indien.

Mais, au début de la guerre, l’ambassadeur américain en Inde, John Kenneth Galbraith, était déterminé à sauvegarder les allégations de l’Inde dans le secteur est, le long de la ligne McMahon.

Galbraith, un proche confident du président, a écrit à Kennedy et a demandé sa «protection franche» sur cette «décision politique majeure».

Ses inquiétudes n’étaient pas sans fondement: Le Département d’État avait initialement rejeté sa proposition, demandant plus de temps pour examiner le différend frontalier. «La ligne McMahon... est en effet reconnue par les récentes coutumes », a ajouté Galbraith dans une autre lettre à Kennedy. «Que ça a été long pour commencer l’étude.»

Quelques jours plus tard, l’ambassadeur a vu son souhait réalisé. Avec une «permission peu enthousiaste» de la Maison Blanche, a annoncé Galbraith, le 27 octobre: «La ligne McMahon est la frontière internationale reconnue et encouragée par les coutumes récentes. En conséquence, nous la considérons comme la frontière nord [frontière nord-est] de la région». Cinquante ans plus tard, la formulation de base de Galbraith reste la politique officielle des États-Unis.

La position américaine sur l’Aksai Chin, le secteur ouest du différend frontalier sino-indien, est sans engagement en comparaison. À l’époque, Galbraith «s’est résolu à garder le silence sur l’ouest» et a conclu: «Le fait que les Indiens n’avaient pas découvert de route chinoise [en Aksai Chin] pendant deux ans semblait suggérer une revendication ténue».

Aujourd’hui, les États-Unis considèrent l’Aksai Chin comme une zone contestée administrée par la Chine, mais revendiquée par l’Inde. Trois observations montrent les relations contemporaines indo-américaines.

Primo comme les États-Unis cherchent à établir un partenariat stratégique avec l’Inde, l’un de ses plus grands défis a été de surmonter ses doutes quant à sa fiabilité en tant qu’allié. Les États-Unis ne devraient donc pas se détourner de son rôle en défendant l’Inde alors qu’elle vit son heure la plus sombre.

Secundo, les États-Unis ont une position de longue date sur le conflit frontalier sino-indien qui a pris une certaine ambiguïté. Un porte-parole du Département d’État a confirmé qu’il n’y a pas eu une affirmation publique de la ligne McMahon dans la dernière décennie. Si des tensions sur la frontière éclatent de nouveau, comme en 2009, Washington pourrait avoir à reconsidérer son silence sur la question.

Enfin, New Delhi et Pékin ne sont pas clairs sur la position de l’Amérique dans le cas de futures hostilités entre la Chine et l’Inde. Un précédent a été établi en 1962, même s’il a été en grande partie oublié.

Jeff M. Smith est le membre de Kraemer Strategy au Conseil de la politique étrangère américaine et auteur d’un ouvrage à paraître sur les relations sino-indiennes. Copyright 2012 Yale Center for the Study of Globalization (yaleglobal.yale.edu).

Version anglaise: Remembering a Forgotten War in the Himalayas

 

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