Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Le Cinéma est-il un art de la réflexion?

Écrit par Alain Penso, apensodelavega@gmail.com
29.02.2012
| A-/A+

  • L'inventeur d'imaginaires ne peut disparaître dans l'oubli.(攝影: / 大紀元)

L’ombre de l’historien Marc Ferro

Tous les intellectuels de renom ont évacué le film de leurs réflexions, prétendant qu’il ne pouvait, à aucun moment, servir la réflexion ni même amener des éléments incontestables dans un raisonnement ou une conversation. Les penseurs jugent que le cinéma n’a pas la profondeur de l’écrit et le raisonnement qui est le point fondamental d’une œuvre littéraire ou philosophique digne d’intérêt. François Mauriac, écrivain de renom, ne comprenait pas l’intérêt grandissant du Septième art par rapport au livre, contrairement à son fils Claude qui, écrasé par la popularité de son père, voyait dans la critique de cinéma, une façon de s’opposer à sa dictature. Il publie dans plusieurs journaux et notamment dans Le Monde de longs textes sur cet art qui l’avait tant séduit.

Au début des années 1970, Marc Ferro fait exploser les convictions d’intellectuels écoutées à tort, faites de poncifs et de ressentiments contre un mode d’expression qui leur échappe: le cinéma.

Début du cinéma, début du discours cinématographique?

À ses débuts, le cinéma avait des prétentions purement spectaculaires. Les frères Lumière, inventeurs du cinématographe, l’admettaient et soulignaient l’aspect ludique de leur invention. Lors de la première projection de L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1895), d’une durée de 49 secondes, les spectateurs, pris de panique, se sont jetés sous leurs sièges. D’autres sont sortis.

Avec Georges Méliès, le cinéma prend des allures sérieuses. Il se pare d’histoires traitées avec le vocabulaire spécifique du cinéma et faites d’ellipses et de voyages dans le temps, sans oublier les trucages, parfois nécessaires pour la compréhension du récit. Le Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902) est un film emblématique dont le thème a été emprunté à Jules Verne (1828-1905). Aujourd’hui encore, cette courte bande parvient à émouvoir le spectateur, pourtant habitué à des trucages hallucinants. Hugo Cabret de Martin Scorsese (2011), le réalisateur de Taxi Driver (1976), avec Robert de Niro à ses débuts et Jodie Foster, joue sur la magie que seuls les enfants arrivent à cerner correctement. Le film fait penser à l’une de ses précédentes œuvres, La Valse des pantins (1983) où Robert de Niro, déterminé comme un enfant, aspire à monter sur scène au point d’enlever la vedette qu’il rêve d’être. Il y a une filiation dans l’œuvre de Scorsese entre l’imaginaire et la réflexion. L’action selon lui est hautement nécessaire pour faire fonctionner l’œuvre. Ben Kingsley, personnage magique du film, inspire tout l’imaginaire de l’œuvre: belle et toujours magique. Scorsese sait exploiter l’énigme de l’œuvre, faite de couleurs et de mouvements, où tous les imaginaires chantent. Hugo Cabret est un film sur les origines et l’amour du cinéma.

Faut-il céder à la publicité pour aller voir un film?

Un cinéma édifiant fuit le spectaculaire et produit des films sensibles qui parlent de la vie proche. Quelquefois la vie devient sophistiquée puisqu’elle prend les habits d’une réalité convenue mais on y ajoute des ingrédients bien improbables comme dans Intouchables (2011), d’Olivier Nakache et Eric Toledano, dont le thème est assez maigre, mais ralliera des millions de spectateurs. Un aristocrate tétraplégique engage un jeune sans formation, sorti de prison, pour s’occuper de lui. François Cluzet est incontestablement un bon acteur. Heureusement que des journaux, affirmant leur indépendance, comme Libération, malgré les pressions exercées de toutes parts, n’hésitent pas à écrire un article critique sur ce film convenu. Le journal démonte l’œuvre point par point et constate que dès les premières images, celles du générique, une mention annonce que cette histoire est vraie et que par conséquent nous sommes ainsi invités à adhérer au film, sinon cela ne serait pas convenable.

Dans Polisse (2011) de Maïwenn, le naturel est sophistiqué et ne se ressent jamais comme réellement fluide. Le suicide raconté dans ce film est bien étrange et sonne pour ainsi dire faux.

Le cinéma vit grâce aux auteurs qui ont une œuvre

Nous sommes loin du film de Bertrand Tavernier sur presque le même sujet, L627 (1992) où les personnages jouent dans la subtilité à partir d’un scénario écrit tout en finesse et précision qui raconte le quotidien de policiers de base. Ils apparaissent plus authentiques dans L627.

Dans La Guerre est déclarée (2011) de Valérie Donzelli, la réalisatrice raconte son histoire en prenant de la distance, mais sans jamais quitter son sujet. Elle réalise ainsi un petit bijou dans lequel le naturel de la vie émerge: celui que l’on ne peut jamais saisir en l’enfermant entre des pages d’écritures calibrées et classées dans un document appelé scénario que l’on s’efforce trop souvent, hélas, de suivre à la lettre.

Alain Cavalier est fatigué du cinéma qui nécessite de plonger dans le système de production où la liberté totale n’a pas cours. Il préfère se livrer avec des amis au documentaire. Vincent Lindon, acteur de renom, se livre à cet exercice avec une forte volonté et répond aux questions d’Alain Cavalier qui possède ainsi un film qu’il pourra distribuer avec des grands films. Pater (2011) est construit autour d’une série de questions posées par Alain Cavalier à Vincent Lindon qui interroge sur les relations entre le metteur en scène et l’acteur et permet au spectateur de sortir du prêt à penser.

Jean-Jacques Annaud avec Or Noir (2011) se livre à un exposé de géopolitique à caractère psychanalytique qui n’a rien oublié de celui enseigné par David Lean dans Lawrence d’Arabie (1962) avec Peter O’Toole et Anthony Quinn. Il est intéressant de constater que de plus en plus de films, souvent marginaux, prennent la réflexion comme chemin essentiel dans l’élaboration de l’œuvre cinématographique.

La cérémonie des Césars n’est pas l’exacte photographie du paysage cinématographique qui ne prend pas en compte tous les films sortis. Ce sont souvent des films qui ont eu une sortie normale sans problème, avec un budget relativement confortable. Ce prix prend rarement en compte des films d’art un peu délicats, ayant fait l’objet de recherches poussées.

Amador ou le film engagé dans une pensée

Les films de réflexion viennent souvent de l’étranger et nous renseignent sur les difficultés de vivre et «d’être», dans des systèmes de vie étrangers aux nôtres.

Le film espagnol Amador (2011) réalisé par Fernando Léon de Aranoa présente un scénario simple. Pour augmenter ses revenus, Marcella trouve un boulot pour l’été. Elle s’occupe d’un vieil homme cloué au lit. À la vision du film, il s’avère que la jeune femme est fraîchement immigrée en Espagne et semble venir d’un pays pauvre d’Amérique du Sud. Une nouvelle vie s’ouvre à elle, qu’elle n’a pas le droit, selon elle, de rater. Son compagnon la néglige et ne pense qu’à gagner de l’argent sans faire grand cas d’elle. En contact permanent avec la mort, elle va réfléchir sur sa propre vie pendant qu’une autre disparaîtra, celle de l’homme qu’elle garde et pour lequel elle éprouve quelques sentiments sincères. Elle respecte la mort. Le film dilue l’humour et la mort dans un même geste, dissimuler la mort en la vénérant. Marcella se sent fautive, elle continue à percevoir son salaire alors que l’homme est mort. Le piège, qu’elle a elle-même construit, va se dessiner au cours du film. L’immigration est évoquée avec son cortège de problèmes sociaux et psychiques.

Réflexions sur le film La Mémoire dans la chair

Le film de réflexion ne fait pas défaut. Il emprunte souvent un chemin historique interrogeant ainsi l’itinéraire tortueux des personnages dû à une sorte de destinée non toujours assumée où se mêle alors une sorte de frustration qui fait le miel de la dramaturgie du film. C’est le cas du film de Dominique Maillet, La Mémoire dans la chair (2010). Le thème est passionnant: après quinze années d’exil, Tomás revient dans son pays natal, l’Espagne, pour y enterrer son père républicain qui vient de finir ses jours en prison. Tomás est traumatisé par cette histoire qui lui laisse une amertume et une culpabilité qu’il n’arrive pas à bien analyser.

Le film utilise une structure narrative complexe dans laquelle le présent et le passé se juxtaposent. Le rêve et la réalité s’enchevêtrent. Mais les situations sont dans un tel désordre que «la théorie des enchevêtrements» ne se justifie plus. Des bobines n’auraient-elles pas été inversées soit au premier positif dans le laboratoire, soit par la distribution malencontreuse dont nous ne connaissons pas l’origine? En tout état de cause, un indice pourra éclairer le spectateur: dans un film, du moins aujourd’hui, les acteurs et le réalisateur figurent dans un générique de début. Le déroulant du générique de fin – qui n’a pas la même vitesse et la même forme que le générique du début – contient en général l’équipe technique, le nom des acteurs et souvent du réalisateur. Dans La Mémoire dans la chair (2010), on constatera qu’il n’y a pas de générique de début et que les deux génériques sont joints à la fin du film. L’action commence à la fin de la dernière bobine qui aurait dû être la première. Même si la mémoire est désordonnée, elle répond toujours à une logique. Quelle que soit la complexité du montage, il existe une énigme que l’on voudrait bien élucider. N’aurait-on pas voulu saboter le film de Dominique Maillet à un certain niveau?

Le film de ce réalisateur est beau et pertinent et il s’agit de défendre ici l’expression artistique d’un cinéaste original.

Alain Penso est historien et journaliste de cinéma. Il a dirigé la revue Cinéma des événements. Documentariste, il tourne des films ethnologiques, notamment sur Salonique. Il a publié la première biographie de Patrick Dewaere (Patrick Dewaere, collection Têtes d’affiche).

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.