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Focus sur le cinéma israelien

Écrit par Alain Penso, apensodelavega@gmail.com
13.04.2012
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les représentations de la politique au cinéma peuvent-t-elles influencer «les acteurs» de l’histoire?

  • Le Fils de l’autre de Lorraine Levy (2012): Lorsque la famille, la vie le réclame, les conflits peuvent s’estomper au profit du pacifisme.(攝影: / 大紀元)

Les conflits au Moyen-Orient sont sources de scénarios. Il en va ainsi de la guerre du Golf, la guerre entre l’Irak et l’Iran, la guerre israélo-arabe, le conflit entre la Syrie et la Jordanie. La guerre au Liban, les différends entre clans ou encore les affrontements entre Chrétiens et Musulmans dans une guerre fratricide, qu’attisent les grandes puissances soucieuses de leurs propres intérêts.

Toutes ces guerres développent des productions de films décrivant les faits, racontant des histoires, mettant en scène des personnages emblématiques. Dans Le Faussaire de Volker Schlöndorff (1981), Georg Laschen, reporter allemand dans une Beyrouth brisée par une guerre fratricide, enquête sur les causes du conflit. Il découvre l’horreur de la guerre. Il est désespéré d’avoir eu à tuer un Arabe et rentre en Allemagne où il refuse de vendre ses informations. L’auteur de ce film a l’art d’utiliser la parabole pour illustrer la complexité de la politique dans une fiction, comme dans Le Tambour (1979) d’après le roman éponyme de Günter Grass.

Le festival du cinéma israélien: un cinéma d’invention, de pertinence et d’espoir

L’un des cinémas internationaux le plus explicitement sociologique, en dehors du cinéma américain indépendant, est le cinéma israélien dont le festival s’est tenu, du 28 mars au 3 avril 2012, au cinéma des cinéastes.

Charles Zhrihen, directeur du festival, tient d’une main de fer cette manifestation depuis douze années, soutenu depuis cinq ans par la Fondation David et Samuel Hadida, célèbre famille de distributeurs de films depuis des décennies. Charles Zhrihen n’est pas éreinté comme ces héros de passage. Il s’est investi dans la mission de promouvoir efficacement le cinéma israélien. Il a permis à trois films de la sélection de sortir les semaines suivant le festival: Le Policier de Nadav Lapid (2011), Le Fils de l’autre de Lorraine Levy (2012) et un documentaire, Le Juif qui négocia avec les nazis de Killing Kasztner (2008).

Brève histoire du cinéma israélien

Le cinéma national israélien est né bien avant la création de l’État d’Israël. On parlait alors des films en hébreu de Yaacov Ben Dov (1882-1968), de son vrai nom Lasutra. Né en Ukraine, il émigre en Israël en 1907. Il suit des études artistiques à Jérusalem à l’Académie Betzalel où il enseigne par la suite la photo. Ben Dov a commencé à filmer en 1917.

Les pionniers

Les films israéliens s’inspirent des cultures qu’ils traversent. Ils ont la capacité de fabriquer ou d’inspirer des allégories nationales plongeant dans la tradition juive.

Le Policier de Nadav Lapid (2011) est un thriller à l’israélienne empli d’idées contradictoires, comme dans tout discours idéologique péremptoire. Les jeunes cherchent un but, afin de donner un sens à leur vie. Yaron se trouve dans un groupe de policiers d’élite anti-terroristes: ses compagnons et lui sont «l’arme de l’État» pointée sur ses adversaires, «l’ennemi arabe». Le corps, dans tous les sens du terme, est l’un des mots-clés du film. Yaron se livre à un combat intérieur et extérieur dont il ne peut sortir vainqueur sans blessures. Sa femme est enceinte et il perçoit cette vie future comme une émulation pour sa propre vie.

Le groupe est appelé pour sauver trois otages enlevés par un groupuscule de jeunes radicaux révolutionnaires qui menacent de les exécuter. Les raisons invoquées par ces jeunes pour justifier leurs actes sont celles d’une jeunesse déboussolée par l’impossibilité de trouver un idéal qui sous-tend leur vie. «Les pauvres doivent devenir riches et les riches pauvres» disent-ils. Cette illusion cinématographique qui exige d’avoir tout, tout de suite, procède d’une maladie de plus en plus répandue, «l’autisme social». Il ne peut pas s’agir, dans ce film, d’une nouvelle vague, terme qui pouvait avoir un sens à la fin des années 1950 et qui exprimait cette soif de pouvoir filmer avec du matériel léger et non dans des studios inabordables. Nadav Lapid explore une piste où le montage semble ne pas avoir une place prépondérante. Les deux groupes antagonistes sont ainsi analysés puis laissés de côté pendant un laps de temps qui semble beaucoup trop long.

Pacifisme et fraternité

Le cinéma d’apaisement ou pacifiste existe de plus en plus en Israël. Une Bouteille à la mer, film réalisé par Thierry Binisti (2012), est une métaphore poétique du dialogue israélo-palestinien. Jaffa de Keren Yedaya (2009), avec Dana Ivgy et Mahmud Shalaby, est une tragédie située au cœur de Jaffa, une ville que les Israéliens surnomment «la fiancée de la mer». Le Citronnier d’Eran Riklis (2008) appartient à cette famille d’œuvres où l’humanisme domine. La naissance du film est partie des démêlés du ministre de la Défense d’Israël avec ses nouveaux voisins palestiniens.

Le Fils de l’autre de Lorraine Levy (2012) est un film profondément humaniste où la guerre passe au second plan. Il faut que la vie continue pour que vivent les enfants et qu’ils puissent fonder des familles avec un avenir. Il est emblématique que ce film ait été réalisé par une femme plus préoccupée par les contingences quotidiennes que par la guerre. Le scénario remarquablement écrit ne laisse rien au hasard: Joseph prêt à intégrer l’armée israélienne découvre qu’il n’est pas le fils biologique de ses parents. Le personnel de la maternité de l’hôpital d’Haïfa l’aurait interverti par erreur avec Yacine, l’enfant d’une famille palestinienne. Ces familles sont déstabilisées par la remise en cause des identités respectives. Tout les pousse à reconsidérer leurs valeurs et leurs convictions, face à cette situation qui lie les deux familles. Les enfants, des frères, les «vraies victimes» en quelque sorte, s’enrichissent chacun d’un père et d’une mère supplémentaires. Un film qui saisit le spectateur aux tripes pour ne plus le lâcher jusqu’au terme de l’histoire qui ne se terminera plus jamais. Il faut ajouter que les acteurs sont remarquables, Emmanuelle Devos, Pascal Elbe, Jules Sitruk, Mehdi Dehbi, Bruno Podalydès, ainsi que cette actrice magnifique qui joue le rôle de la mère palestinienne, Areen Omari et Khalila Natour, le protagoniste principal de La Visite de la fanfare d’Eran Kolirin (2007).

Des êtres violés, puis laissés à leur douleur

Le cinéma israélien a ses génies. Michal Aviad appartient à cette catégorie de cinéastes. Elle aborde les traces indélébiles que les femmes traînent des décennies avec elles. Meurtries, humiliées, jamais écoutées, culpabilisées de « s’être prêtées à ce genre de méfaits, «victimisées» » pour mieux les dominer et les posséder à nouveau, mais cette fois officiellement. La problématique est contenue dans le titre lui-même, Invisible (2011). Deux femmes qui furent, il y a vingt ans, victimes du même violeur se rencontrent. Nira est monteuse et Lily une militante de gauche qui aide les Palestiniens à la récolte des olives. Les deux femmes entreprennent de libérer ensemble leur peur gardée en elles pendant vingt ans. Elles réfléchissent à leur avenir qu’elles essayent de reconstruire en même temps que leur impossible passé.

Le documentaire Tinghir-Jérusalem: les échos du Mellah, de Kamal Hachkar (2011), est en tous points une réussite. Il met en parallèle le vécu de l’auteur, Kamal, et ses origines marocaines, avec ses voisins juifs, faisant preuve ainsi d’une ouverture vers l’autre. Il introduit des fictions qui construisent peu à peu le film. Né à Tinghir dans l’Atlas marocain, il a écouté et profité positivement des récits de ses grands-parents étonnés de constater que les jeunes ne savaient pas que les Berbères étaient aussi des juifs qui cohabitaient avec les musulmans et qu’une grande mémoire subsiste transmise de bouche à oreille au moyen du « téléphone arabe ». Kamal, grâce à ses études d’histoire, s’est ouvert au phénomène de la mémoire qu’il faut recueillir immédiatement avant qu’elle ne disparaisse face au temps qui passe. Kamal Hachkar est allé à la rencontre de cette mémoire fragile et passionnante et en a rapporté des images et des témoignages beaux comme le sourire d’enfants extasiés devant de belles histoires que l’on voudrait ne jamais voir terminées.

Le Juif qui négocia avec les nazis (2008) de Gaylen Ross est un film si important qu’il nécessiterait une analyse critique à lui seul. Assassiné en 1957 à Tel Aviv par un extrémiste de droite, Rezso Kaszner était considéré comme un traître en Israël pour avoir négocié avec les nazis pendant la seconde guerre mondiale et obtenu la libération d’un convoi de déportés de 1.684 Juifs hongrois, contre 1.000 dollars par tête et qui rejoindra la Suisse: un fait rarissime. Un documentaire qui s’apparenterait à un thriller où un espoir, une belle nouvelle que l’on avait oublié de rapporter, surgit à la fin d’une histoire tragique, inimaginable.

Le cinéma israélien est en très bonne santé, pour un minuscule territoire, on pourrait se demander: où donc ce pays trouve-t-il toute cette énergie et ce talent?

Alain Penso est historien et journaliste de cinéma. Il a dirigé la revue Cinéma des événements. Documentariste, il tourne des films ethnologiques, notamment sur Salonique. Il a publié la première biographie de Patrick Dewaere (Patrick Dewaere, collection Têtes d’affiche). Directeur du festival international, Colombe d’or, du jeune cinéma.

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