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L’économie américaine: colosse aux pieds d’argile?

Écrit par David Dapice
31.08.2012
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  • Des consommateurs descendent la u00abThird Street Promenade» à Santa Monica en Californie. Selon les rapports, les dépenses de consommation ont fortement augmenté et la confiance des consommateurs à atteint son plus haut niveau en trois mois. (Kevork Djansezian/Getty Image)

Alors que des nuages noirs se forment au-dessus de l’Europe et que la croissance des BRICS ralentit, le monde se tourne encore une fois vers le moteur de croissance séculaire: les Etats-Unis. Certains analystes ont trouvé de nouvelles sources de croissance pour l’économie américaine, permettant de rebondir et de «sauver la face du monde». Les Etats-Unis possèdent certainement les outils capables de revitaliser leur économie sur le long terme, ils doivent néanmoins, à court terme, faire face à de sérieux défis et ne seront certainement pas prêts à sauver la mise dès aujourd’hui.

Alors que la compagne électorale souligne surtout la faiblesse actuelle de l’économie américaine, il y a ceux qui défendent une vision optimiste de la renaissance des Etats-Unis. Bien sûr, le chômage est élevé et le PIB atone; les salaires augmentent peu; les charges médicales et des retraites menacent les budgets publics; et la Chine, en pleine progression, surpasse les Etats-Unis en terme de production totale. Mais d’autres points s’avèrent positifs: le gaz de schiste et le pétrole promettent une certaine sécurité de l’énergie; la production alimentaire – sécheresse mise à part – reste solide dans un monde qui en demande toujours plus; les institutions universitaires qui attirent les étudiants du monde entier; le financement en capital-risque au sein d’ une société ouverte qui a créée des entreprises comme Google, Apple, Microsoft ou Facebook, mais aussi Boeing, Caterpillar, IBM et General Electric. La combinaison d’un dollar faible avec la hausse des salaires chinois et l’augmentation des salaires aux Etats-Unis a conduit à une relance de l’industrie manufacturière.

Les banques américaines ont effacé plus de prêts irrécouvrables  que leurs homologues européens et ont consolidé leur capital. Leur démographie les favorise: la combinaison du taux de natalité au niveau du renouvellement de la population et du taux d’immigration fait que la main-d’œuvre, et donc la production totale, permettra de couvrir les prestations envers les plus âgés.  C’est le contraire en Europe, au Japon, en Russie et en Chine où la main d’œuvre aura tendance à se réduire. Dans ce contexte, les perspectives pour l’économie américaine sont bien orientées.

Dans ce type d’analyse, il est utile d’évaluer autant les questions à court et à moyen terme que les problèmes et opportunités sur le long terme. Par exemple, il est vrai que la main-d’œuvre aura tendance à augmenter aux Etats-Unis, mais à un rythme plus lent que dans le passé. Le nombre de diplômés des collèges et des universités n’augmente pas, et pourra même légèrement décliner. De plus, le taux de chômage des jeunes et les premiers emplois précaires conduisent souvent à des obstacles pour gagner correctement sa vie sur le long terme. Si les Etats-Unis restent pendant plusieurs  années sur des taux de chômage des jeunes et de chômage global élevés, la qualité et les compétences de la main d’œuvre en pâtiront.  Les travailleurs potentiels pourront abandonner le marché de travail en partant à la retraite plus tôt et en se rabattant sur les indemnités plus faibles de l’aide sociale.

De fortes inégalités

Un autre aspect concerne les fortes inégalités: 10% de la population concentre environ la moitié de l’ensemble des revenus et 90% des richesses financières. Ces chiffres sont aux plus hauts historiques. La politique fiscale pratiquée fait que la part du revenu payé en impôts – et tout particulièrement pour les plus aisés – se situe proche du niveau bas d’après la deuxième guerre mondiale. En effet, les plus aisés payent parfois un taux d’imposition inférieur à celui des classes moyennes car un code fiscal évalue les gains en capital et en dividende à un taux inférieur à ceux des bénéfices, même si, en moyenne, les plus aisés payent davantage.

Cette inégalité se manifeste aussi dans la moindre mobilité de revenues entre les générations aux Etats-Unis comparé au Canada ou à la Grande Bretagne. Un individu né dans la tranche des 5% de ménage les plus pauvres – classés par revenus – est plus enclin à y rester, il passera dans la tranche supérieur dans 5% des cas. D’un autre côté, un enfant ayant eu la chance de grandir dans la tranche des 5% de ménages les plus aisés,  y restera ou «tombera» dans la tranche inférieure seulement dans les 5% des cas. L’appartenance à une catégorie spécifique signifie que de nombreuses personnes ne pourront pas développer leurs talents. Eux-mêmes en pâtissent et au final l’économie aussi.

Cet exemple de décalage ne peut décrire à quel point la société est devenue inégale. Les plus gros «gains» de la société ne bénéficient plus à 10% des personnes les plus riches mais plutôt à 1%. Pour ces 1%, des données montrent que le partage des ressources financières est passé d’environ 10% des gains – durant ces dernières décennies – à environ un quart actuellement. Autrement dit, la quasi-totalité de l’augmentation de la part des ressources financières – dont bénéficiaient auparavant les 10% des individus les plus riches – ne sont maintenant distribués qu’à seulement 1% de la population. Cette super-concentration des revenues se reflète également dans des contributions politiques déséquilibrées: les comités d’action politique fonctionnent grâce à des dons illimités des citoyens les plus aisés ayant souvent un grand nombre d’intérêts étroits et ciblés. Aussi, les caisses destinées aux campagnes électorales des républicains et des conservateurs débordent comparés à celles des démocrates.

Des infrastructures sur le déclin

Les plus pessimistes voient une bataille non seulement entre riches et pauvres mais aussi entre jeunes et vieux. Il ne serait pas envisageable pour les personnes les plus âgées de prendre une part disproportionnée des ressources qui pourraient être affectées à l’éducation et d’autres services qui investissent dans l’avenir. Si toute infrastructure viendrait à se montrer trop gourmande en financement, tout pourrait en souffrir.

L’organisation American Society of Civil Engineers attribue aux infrastructures globales nationales une note très défavorable et estime qu’il faudrait plus de 2 200 milliards de dollars pour rénover les routes, les ponts, les ports, le système d’eau et les aéroports pour les mettre aux normes actuelles. Cela correspond à une somme supérieure à  un investissement pour un an, alors que les réparations doivent être étalées sur plusieurs années. En même temps, le coût des embouteillages, des pannes et des dommages aux véhicules coûtent plusieurs centaines de milliards de dollars par an. Non seulement l’argent est bloqué, mais l’organisation et les procédures sont rouillées.

Une augmentation des taxes et redevances pour les  usagers, une réparation et optimisation des infrastructures ainsi que la simplification des procédures pour les nouvelles constructions permettraient de résoudre ou d’atténuer de nombreux disfonctionnement des infrastructures. Un exemple, une chose aussi importante que le stockage des déchets nucléaires montre les travers du système. Des déchets nucléaires – qui représentent plus de 70.000 tonnes – se trouvent dans divers piscines ou fûts secs à travers le pays en attente malgré 24 milliards de dollars déjà recueillis pour leur offrir un site permanent.

Le nouveau système de contrôle aérien a, de loin, dépassé le budget accordé et cumule de nombreuses années de retard sur le planning. Avec un trafic aérien en croissance, le système mis en place en 1950 risque de se trouver débordé. Mais une partie du nouveau système, censé être installé en 2010, ne pourra pas être opérationnel avant 2015. L’infrastructure financière est un autre exemple d’échec à la fois d’ordre privé et réglementaire, accompagné de lourdes tentatives de lobbying pour limiter le risque et la fraude.

Ainsi, l’économie américaine peut  potentiellement rebondir. Mais la capacité à exploiter ce potentiel est plus qu’incertaine. Mis à part le plan d’Erskine Bowles de réduction du déficit, qui n’a reçu que peu de soutien de la part de partis ou de candidats à la présidence, il n’y a pas eu de sérieux échanges sur la manière de procéder à des augmentations d’impôts, certes douloureuses mais nécessaires, efficaces et équitables ainsi qu’à la réduction des dépenses. Les deux sont indispensables, en corrélation avec un sens certain de la finalité et de l’urgence. Ni le mouvement fondamentaliste Tea Party, ni les plans mis en place pour cibler un petit nombre de personnes aisées ne permettra de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Etats-Unis.

David Dapice est un professeur associé à l’Université de Tufts et économiste pour le programme «Vietnam» à Kennedy School of Governement, Harvard University. (Avec la permission de YaleGlobal Online. Copyright©2012, Yale Center for the Study of Globalization, Yale University)

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