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Le diable au cinéma

Écrit par Alain Penso, apensodelavega@gmail.com
08.07.2012
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  • u00abFaust» d'Alexandre Soukourov (2011): u00abMoi Faust je donnerais mon âme pour aimer à nouveau ma Marguerite».

L’utilisation du diable dans les arts

Le diable et ses déclinaisons démoniaques sont largement utilisés en littérature, en musique ainsi qu’au cinéma, devenu désormais un art public majeur qui se nourrit de ce thème récurrent. Depuis sa naissance en 1895, le cinéma n’a cessé de donner des œuvres à chaque fois plus fortes, influencées par un environnement toujours plus violent. L’apparition de la presse dite de «caniveau» dont les Anglais se sont rendus maîtres, a popularisé le crime violent. La venue d’une nouvelle invention, la cinématographie en 1895, a multiplié les sensations, les histoires, et répandu l’angoisse mais aussi la conscience de soi, de nos peurs et de notre fragilité face à la dualité du bien et du mal. Le personnage emblématique du diable a été sublimé par Goethe dans son Faust, dont la version définitive sera publiée en 1808. D’autres écrivains ont fait de ce thème leur miel, notamment Jean-Paul Sartre avec Le Diable et le bon Dieu, pièce fameuse entreprise par le grand philosophe pour illustrer les troubles divers du XXe siècle.

Faust d’Alexandre Soukourov

Alexandre Soukourov, avec son dernier film Faust (2011), Lion d’or du dernier festival de Venise, tente et réussit la synthèse de tous les arts et conte une histoire trouble. En même temps, il analyse le XXe siècle finissant, dans une apothéose de découvertes de guerres fratricides, mais aussi d’horreur. Il se dégage incontestablement de son œuvre une critique politique qui met en pièces les pouvoirs de tout ordre, utilisant des objectifs déformant l’image qu’il allonge, décadre, recolore, salit. Il souligne l’inutilité des hommes tels qu’Hitler, Lénine, Staline dont l’ego contaminé par les maladies personnelles introuvables devait être rejeté puis oublié. Les personnages ne sont pas faits que de chair, montre Soukourov au début de son film. Au contraire de Jean-Luc Godard, Soukourov prépare tout, scénarise toutes ses scènes sans en être prié, car pour ce réalisateur, le texte est aussi fondamental que l’image. Le film commence sur l’autopsie d’un cadavre et Faust s’interroge sur ce qu’il y a de particulier dans cet amas de chair baignant dans le sang. L’image se fait laide pour ne pas se complaire dans le dérisoire. Aidé par son assistant Wagner, l’interlocuteur de sa conscience éclairée, Faust révèle ainsi l’état de son âme et de ses tendances hautement poétiques.

Faust recherche un secret caché dans le corps de l’homme qui lui permettra selon lui de découvrir enfin le sens de la vie. N’y parvenant pas, il demande l’aide d’un vieil usurier difforme qui n’est autre que le diable en personne. Méphisto s’acharne à lui donner l’envie de savoir et de connaître tout sur «le secret de la matière» donc sur la vie, à condition de vendre son âme une fois «le temps passé».

Le chef opérateur Bruno Delbonnel, qui a travaillé antérieurement sur Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001), donne une image prodigieuse des changements d’univers: celui de la réalité et celui de l’imaginaire diabolique. Il trouve les passerelles chromatiques pour transporter le spectateur vers la dernière partie de l’ouvrage, celle ou le diable tente de soutirer de Faust son âme contre une brève apparition de sa bien-aimée, sa Marguerite, jeune lavandière à la sensualité troublante. Une façon de montrer la faiblesse humaine de l’amour naissant entre les êtres, déclenchant des réflexions métaphysiques et politiques. Il faut souligner la qualité de l’interprétation de Johannes Zeiler et d’Anton Adasinsky ainsi que l’apparition d’Anna Schygulla, l’interprète fétiche de Fassbinder, cet immense acteur réalisateur.

La politique et le diable

Méphisto, qui traite du même sujet, a été tourné dans une version en 1981 par Istvan Szabo, film merveilleusement interprété par Klaus Maria Brandauer qui donne à son interprétation un sens aussi magique qu’angoissant. Il sait diluer de l’irréalisme dans le concret et de la magie dans l’horreur, il interprète un Méphistophélès politique à l’allure d’ange et de démon. Régulièrement notre société produit des films ou des livres où le diable peut s’exprimer soit directement par des personnages clairement définis ou mystérieux, dont les faits permettent d’imaginer leurs auteurs, des émanations du diable qui se sont incarnées dans des êtres humains dont les consciences n’étaient pas assez solides pour résister aux maléfices.

Dans le cinéma mondial, le diable occupe une place de choix dès le début du cinéma muet avec le Faust de Murnau (1926). La photographie et la mise en scène sont étourdissantes de beauté, avec Gösta Ekman (Faust) et Emil Janning (Méphisto), Camilla Horn (Marguerite), il se situe entre le film fantastique et le film d’amour.

L’Ombre du mal de James MacTeigue (2012) avec John Cusack: un meurtrier s’inspire des écrits de Edgar Allan Poe pour commettre des crimes. Les assassinats sont si odieux que seul la présence du diable pourrait expliquer le niveau d’horreur de ces forfaits. Le film est assez fin, entre l’enquête policière et le conte fantastique. Il y a dans ce type de cinéma une certaine ressemblance avec la facture des films anglais de la société de production Hammer qui a produit tant de chefs d’œuvres.

La société prestigieuse Hammer Films

Du milieu des années 50 au milieu des années soixante, la Hammer Films gère les descendants du diable: les Dracula, les Frankenstein. Les figures mythiques étaient interprétées par Christopher Lee pour le vampire Dracula et Peter Cushing pour le professeur de science. Frankenstein façonna grâce à son savoir scientifique une créature vivante monstrueuse mais intelligente. Terence Fisher réalise Frankenstein s’est échappé (1957) et La Revanche de Frankenstein (1958) qui fait étrangement penser à Faust, le personnage emblématique de la littérature allemande diabolique qui s’inspirera de M le maudit (1931) de Fritz Lang. Un assassin d’enfants, dans une Allemagne rongée par l’inflation et la disette, expose devant un jury constitué de bandits, que le diable le visite et lui insuffle une envie irrépressible de tuer des enfants, et qu’il ne peut rien contre un être lui dictant sa conduite malgré sa propre résistance bien inutile en face du mal. Avec Les Maîtresses de Dracula (1960) et Dracula, prince des ténèbres (1965) de Terence Fisher, se réveille une passion du public pour l’amour relié à la mort. De même, un engouement pour la présence des femmes dans Dracula et les femmes de Freddie Francis (1968) toujours produit par les productions Hammer, rencontrera un grand succès.

Tod Browning donne une version du diable/vampire dans son Dracula (1931). Ses films correspondent à une libération de la censure qui admet l’esthétique comme une valeur artistique. La colorimétrie du sang prend une valeur dans le film qui est l’égale de l’expression d’un acteur. En France, la censure sera plus lente qu’en Angleterre, elle prétendra que les films de monstres pouvaient donner des exemples de crime auprès des populations. Mais l’arrivée massive des produits hollywoodiens, comme La Maison du diable de Robert Wise (1963) renouvellera positivement le genre avec le son, les sensations visuelles et sonores associant le spectaculaire à l’angoisse. Le diable est alors partout, tout en étant invisible. Dans Dracula, Francis Ford Coppola (1992) donne une interprétation historique du diable où Gary Oldman interprète le comte Dracula, Anthony Hopkins incarnera le professeur Van Helsing. Le scénario de James V. Hart est écrit d’après le roman de Bram Stoker de genre romantico-fantastique: en Transylvanie, en 1462, le comte Vlad Dracula, chevalier roumain, part en guerre contre les Turcs en laissant derrière lui sa femme Elisabeta. Elle met fin à ses jours lorsqu’elle apprend la fausse nouvelle de la mort de son bien-aimé. Fou de douleur, Vlad Dracula renie l’Église et déclare vouloir venger la mort de sa princesse. Il se damne à l’aide des pouvoirs obscurs, devenant ainsi un vampire sous le nom de Dracula afin de la retrouver.

La Beauté du Diable de René Clair (1950) avec Michel Simon et Gérard Philipe est sans doute l’un des sommets de la représentation du diable en incluant dans une histoire sérieuse un zeste de comédie dans un équilibre parfait. Le film se tournera au studio de Cinecitta à Rome en 1949. L’adaptation et les dialogues de René Clair et de l’écrivain Armand Salacrou trouveront un heureux équilibre dans cette tragédie où poindra l’espoir... Les décors de Léon Barsacq donneront un point de vue réaliste à ce conte moderne.

Alain Penso est historien et journaliste de cinéma. Il a dirigé la revue Cinéma des événements. Documentariste, il tourne des films ethno- logiques, notamment sur Salonique. Il a publié la première biographie de Patrick Dewaere (Patrick Dewaere, collection Têtes d’affiche). Directeur du festival international, Colombe d’or, du jeune cinéma.

 

 

 

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