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Le Pérou affronte son passé violent

Écrit par W. Alex Sanchez
10.09.2012
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  • Des soldats de l’armée péruvienne patrouillent dans la ville de Kepashiato dans la région de Cuzco, plus de 1100 kilomètres au sud de Lima. La guérilla maoïste du Sentier Lumineux a enlevé le 9 avril 2012 36 ressortissants péruviens, dont la majorité étaient des travailleurs d’une entreprise suédoise de gaz naturel. (STR/AFP/Getty Images)

Les nations qui essaient de se réconcilier malgré la violence de leur passé récent font face à des difficultés, et le pays andin du Pérou n’est pas une exception. Le pays est aux prises avec une foule de questions découlant de sa lutte violente contre les mouvements insurrectionnels des années 1980 et 1990.

À court terme, ces défis consistent à déterminer le sort de personnes, des enseignants par exemple, qui ont été accusés de terrorisme et qui ont, depuis, purgé leur peine de prison.

À long terme, des questions  sont nées sur la façon dont le pays devrait enseigner aux jeunes Péruviens cette période sombre de l’histoire de leur pays. Et, en arrière fond, il existe un débat pour déterminer quelle limite, s’il y en a une, pourrait s’imposer aux organisations et aux individus qui sympathisent avec ces mouvements de guérilla.

Une période d’insurrection

Du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 90, le gouvernement péruvien a eu à affronter deux mouvements rebelles, le Movimiento Revolucionario Tupac Amaru (le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, ou MRTA) et le Sendero Luminoso (Sentier Lumineux).

À l’apogée de sa puissance, le MRTA comptait probablement de 500 à 800 combattants actifs, tandis que les combattants du Sentier lumineux étaient estimés à environ un millier. Mais les deux organisations revendiquaient de nombreux partisans, sympathisants et informateurs qui n’étaient pas nécessairement des combattants.

Les racines du conflit se sont nourries de la négligence historique de Lima envers une large partie de la périphérie sous-développée du pays, en particulier les régions indigènes des Andes et de l’Amazonie. Le Pérou a toujours souffert d’une pauvreté chronique, avec des taux atteignant jusqu’à 60% de la population, parfois même plus dans les régions négligées. C’est dans ce contexte que le MRTA et le Sentier Lumineux ont émergé. Leurs dirigeants respectifs, Victor Polay Campos et Abimael Guzman Reynoso, ont promu le renversement du gouvernement de Lima et la mise en place d’un nouveau régime, respectivement, marxiste ou maoïste.

Sans surprise, Polay Campos et Guzman Reynoso se considéraient comme les futurs dirigeants du pays (Guzman était aussi connu comme le Président Gonzalo). En raison de graves revers militaires, y compris la capture de leurs dirigeants en 1992, la puissance des deux groupes et les zones de contrôle ont rapidement diminué au cours des années 1990. La dernière opération majeure du MRTA a eu lieu en 1996-1997, lorsque les commandos ont pris le contrôle de l’ambassade du Japon au centre-ville de Lima pendant 126 jours, tenant captifs des dizaines de personnalités connues.

Il  reste deux factions fortement affaiblies du Sentier lumineux, l’une dans la région connue sous le nom de VRAEM (la vallée des rivières Apurimac, Ene et Mantaro) et l’autre dans la région de Huallaga, entre les Andes et l’Amazonie.

MOVADEF et Patria Roja

Actuellement le problème pour Lima est non seulement la persistance du Sentier lumineux, maintenant largement considéré comme une organisation narcoterroriste en raison de sa forte implication dans le trafic de cocaïne, mais également l’existence d’organisations réputées partisanes, comme le Movimiento por Amnistia y Derechos fundamentales (Mouvement pour l’Amnestie et les droits fondamentaux ou MOVADEF) et un groupe politique connu sous le nom de Patria Roja.

Le MOVADEF a été créé par Alfredo Crespo, qui est également l’avocat d’Abimael Guzman. L’objectif du groupe est de libérer Guzman et d’autres personnes accusées de terrorisme que le MOVADEF considère comme des «prisonniers politiques».

Le groupe a, par deux fois, tenté de se faire enregistrer comme parti politique, mais le gouvernement péruvien a rejeté sa demande à chaque fois, conduisant Alfredo Crespo à décrier les « tendances antidémocratiques » du gouvernement. Le MOVADEF a gagné des partisans parmi les jeunes Péruviens qui sont trop jeunes pour se souvenir de la guerre entre le groupe et l’État.

Un article de juillet de The Guardian a cité Vania Rimarachin, un jeune membre du MOVADEF,  qui déclarait: «Le seul homme au monde qui peut résoudre nos problèmes est Abimael Guzman».

Pendant ce temps, Patria Roja (PR), un groupe ayant des liens présumés avec le Sentier Lumineux, a vu certains de ses partisans membres de petits partis politiques être élus à des postes politiques importants, tels que la présidence de la région de Puno. Toutefois, dans une récente interview, un chef de file de la Patria Roja a déclaré que son groupe était «en guerre» avec le Sentier lumineux, parce que de nombreux membres de PR avaient été tués par le groupe d’insurgés.

Le groupe semble aussi avoir une certaine influence dans le puissant syndicat de l’Union péruvienne des travailleurs de l’éducation, ou SUTEP, qui a été lié au Sentier Lumineux dans le passé. Selon certains analystes péruviens, le Sentier Lumineux pourrait utiliser Patria Roja comme un moyen d’influence à travers le SUTEP et d’autres mouvements syndicaux.

D’autres analystes ont songé que l’objectif ultime de Patria Roja est, comme pour le MOVADEF, de faire libérer Guzman. Bien qu’il soit peu probable que le groupe relativement marginal représente un défi important aux pouvoirs en place, la simple possibilité que Patria Roja puisse gagner plus d’influence et de pouvoir dans la politique péruvienne représente un scénario inquiétant pour le gouvernement, l’armée, et de larges pans de la société en générale.

Certains éminents Péruviens hors de la sphère politique ont également été critiqués pour avoir suggéré un soutien au Sentier Lumineux. Récemment, le designer péruvien Maximo Laura a donné une interview au quotidien La Republica dans laquelle il a qualifié le Sentier Lumineux «d’un des mouvements les plus importants que nous ayons eu, historiquement parlant, car il s’agissait d’un projet qui aurait pu changer le Pérou».

La déclaration n’a pas été bien accueillie dans les milieux officiels et la Commission de Tourisme du Pérou a exigé que le designer explique sa pensée. Face à l’opinion publique, Laura a publiquement déclaré être contre le Sentier Lumineux et tout groupe violent, ajoutant qu’il considère Abimael Guzman comme un terroriste.

L’éducation de la jeunesse

L’éducation de la jeunesse péruvienne ajoute encore un autre niveau de complexité au dilemme de Lima, ce qui fait que le gouvernement a du mal à trouver les meilleures façons de discuter du sujet dans les salles de classe. Début janvier, avant la rentrée scolaire, le quotidien péruvien Expreso déclarait que les manuels mis en vente aux lycéens contenaient des messages pro-rebelles.

Le document souligne, par exemple, l’utilisation dans ces livres du terme controversé de «resistencia campesina» (résistance paysanne) pour faire référence à l’insurrection, plutôt qu’un ensemble d’autres termes péjoratifs.

Il y a aussi un débat portant sur la façon dont les résultats de la commission péruvienne traitant de la vérité et de la réconciliation devraient être enseignés, en particulier l’attribution approximative de 70.000 morts de la guerre au Sentier lumineux, au MRTA et au gouvernement. Une controverse a également émergé au sein des enseignants avec plusieurs hauts fonctionnaires se prononçant contre la réintégration des enseignants ayant purgé des peines de prison pour des accusations de terrorisme. En juillet, le ministre de l’Éducation du Pérou, Patricia Salas, a déclaré qu’il n’y a pas moins de 137 personnes inculpées de terrorisme qui travaillent actuellement dans les centres d’éducation. D’autres rapports ont estimé ce nombre à 802.

Le chef du système judiciaire péruvien, Cesar San Martin, a déclaré qu’il trouvait «parfaitement raisonnable» que les enseignants condamnés pour terrorisme ne soient pas autorisés à enseigner à nouveau, comparant cela aux individus accusés de corruption interdits de devenir fonctionnaires.

Fernando Rospigliosi, ancien ministre de l’Intérieur et membre actuel du Congrès, a déclaré : « Une personne qui sort de prison mérite de travailler, mais pas ce genre de travail, éduquer des enfants et probablement fomenter des idées contre la démocratie».

Cependant, Hector Lama, président de la Cour supérieure de Lima, ne partage pas cet avis. «Il n’y a pas d’empêchement judiciaire ou constitutionnel qui interdise à quelqu’un qui a purgé sa peine pour terrorisme de retrouver ses droits civils», a déclaré le juge.

Les accusations portées contre ces personnes vont de membres présumés du Sentier Lumineux à celles de combattants actifs. Le débat soulève plusieurs questions centrales sur les libertés d’expression et le droit au travail.

Est-il juste d’interdire aux enseignants qui ont été arrêtés pour des accusations de terrorisme le droit d’éduquer la jeunesse péruvienne à nouveau? Cela représente-t-il des sanctions abusives de leurs droits, et cela pourrait il faire obstacle à leurs tentatives de réinsertion sociale au Pérou?.

D’autres pays, comme la Colombie, qui ont connu des mouvements insurrectionnels, ont dressé, à travers l’histoire, un bilan mitigé de la réintégration des anciens combattants. Souvent, les autorités sont peu enclines à reconnaître leurs anciens rivaux comme des concurrents politiques légitimes. Par exemple, Carlos Pizarro, leader du groupe de la guérilla M-19 retourné à la vie civile dans les années 1980, a été assassiné quand il est entré dans la compétition politique.

Mais le défi majeur pour les soldats démobilisés, c’est qu’ils vont à nouveau se tourner vers une vie de violence en raison de l’absence de possibilités d’accès à l’emploi lorsqu’ils essaient de réintégrer la société civile. Un universitaire de l’ONG Nuevo Arco Iris estime que le taux de paramilitaires démobilisés récidivant est d’environ 20%, et le taux pour les anciens membres des FARC de 10%.

À la lumière de ces diverses difficultés, le gouvernement espagnol a créé une nouvelle politique appelée « reintegracion individualizada » (réinsertion personnalisée) pour traiter les membres du groupe séparatiste basque ETA qui se rendent.

Un avenir difficile

Le gouvernement doit éduquer les jeunes Péruviens dans le sens où le Sentier lumineux et le MRTA étaient de violents mouvements insurrectionnels responsables de la plupart des décès survenus au cours de leur guerre contre l’État, y compris plusieurs massacres (comme à Lucanamarca en 1983) et d’autres violations des droits de l’homme majeures.

Certes, les gouvernements péruvien et militaires ont leur part dans les violations, beaucoup en raison du tristement célèbre escadron de la mort du dictateur d’Alberto Fujimori, le Grupo Colina, et cela mérite aussi une attention. En outre, les origines sociales des deux mouvements d’insurgés, à savoir, la prévalence de l’extrême pauvreté et le manque d’intérêt du gouvernement envers les régions indigènes du Pérou, doivent aussi être éduquées. Pourtant, dans un climat fortement politisé, ce n’est pas un équilibre facile à atteindre.

Le gouvernement a proposé une nouvelle loi pour pénaliser les personnes qui nient ou approuvent les actes de terrorisme. Lima soutient que cela ne serait pas une atteinte à la liberté d’expression dans le pays, mais viserait plutôt à protéger la société contre la propagande du Sentier lumineux.

Cette loi n’a  pas été  proposée  seulement pendant la campagne continue du MOVADEF afin qu’il devienne un parti politique ou à cause de la controverse actuelle sur les enseignants associés aux insurgés, mais aussi parce que le Sentier lumineux continue ses opérations violentes.

Il y a  à peine quelques semaines, mi-août, les insurgés du Sentier lumineux ont tendu une embuscade à une patrouille de l’armée dans le VRAEM, tuant cinq soldats et en blessant cinq autres. Certes, le gouvernement péruvien a, par son travail, fait face à des années de défis pour atteindre les objectifs contradictoires de protéger les libertés individuelles, d’assurer une éducation publique impartiale et d’enrayer les actes de terrorisme en cours.

On ne peut qu’espérer que pour les quatre années restantes de son mandat, le président Ollanta Humala, lui-même un vétéran des campagnes de l’armée contre le Sentier lumineux,  accusé par les médias d’opposition du pays de violations des droits humains, ait appris que se battre contre les organisations de guérilla exige à la fois puissance militaire et initiatives en faveur du développement et de l’éducation.

Version anglaise: Peru Confronts Its Violent Past

 

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