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Le papier peint jaune: gros plan sur le baby blues

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
13.10.2013
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  • Anna (Judith Engel), filmée par Christophe (Tilman Strauß). (Stephen Cummiskey)

Les mises en scène de Katie Mitchell ne laissent jamais le spectateur indifférent. On l’aime ou on la déteste, on l’applaudit ou on l’envoie… faire des films. Mais, il semblerait que les uns et les autres restent néanmoins sans réponse face à la même question: «En fin de compte, était-ce du théâtre?»

Katie Mitchell, metteur en scène britannique connu pour ses installations théâtrales multimédia et ses productions présentées aux différents festivals en France, redéfinit le théâtre à sa manière.

Il y a deux ans, elle fait une apparition spectaculaire au festival d’Avignon avec Christine, d’après Mademoiselle Julie de Strindberg, revisitée selon le point de vue de la cuisinière. Mitchell aime surprendre les spectateurs par ses dispositifs, elle filme l’action en temps réel. Dans Le Papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman, elle utilise les mêmes procédés, en les poussant encore plus loin.

La mise en scène de Mitchell reflète à merveille l’aliénation vécue par les personnages qu’elle choisit de traiter, comme dans Les Anneaux de Saturne, une adaptation d’après un roman de Winfried G. Sebald (1944-2001).

Au théâtre de l’Odéon, Katie Mitchell favorise l’histoire biographique de l’écrivaine et sociologue américaine Charlotte Perkins Gilman (1860-1935). Gilman a écrit un témoignage précis et rigoureux de sa propre dépression du post-partum, connue plus fréquemment sous le terme de baby blues ou dépression post-natale. En 1892, à l’époque où elle a écrit ce roman-témoignage, la dépression post-natale est encore considérée comme une variante de l’hystérie.

Pour la guérir, Gilman est enfermée par son médecin-époux dans une chambre sombre et défraîchie, avec un papier peint jaune pour seule compagnie. Tout travail lui est interdit, afin d’éviter toute stimulation psychique. À force d’être enfermée, Gilman se retrouve au bord de la démence. Finalement, c’est grâce à l’écriture qu’elle dépasse son mal-être.

Avec Le Papier peint jaune, Charlotte Perkins Gilman règle ses comptes avec le pouvoir masculin. Ce témoignage, comme d’autres textes qu’elle a écrits, a été beaucoup apprécié par les féministes. Le Papier peint jaune a été traduit en français en 1976, par Les Editions des Femmes.

Cependant, Katie Mitchell a préféré délaisser le côté féministe du livre pour décrire un phénomène plus universel, mettant l’accent sur l’angoisse et la solitude d’une femme que nul ne peut aider, ici ou ailleurs. Mitchell déplace l’intrigue à Berlin, de nos jours où la dépression post-natale est toujours un peu mal comprise et souvent accompagnée d’une profonde culpabilité.

Le spectateur fait la connaissance d’une petite famille bien heureuse, par le biais d’une vidéo faite maison, projetée sur un écran vidéo au-dessus de la scène: Anna (Judith Engel) et Christophe (Tilman Strauß), leur bébé Max et Tania (Iris Becher), la sœur de Christophe. Ils se promènent dans les rue de Berlin, poussent des cris de joie. Ils rentrent dans un joli appartement. Puis quelque chose ne va plus.

Le spectateur descend alors son regard sur la scène. Là, il retrouve la famille installée dans une maison de campagne. Anna et Christophe dans une chambre tapissée de papier peint jaune, puis Anna toute seule, puis Anna et Tania, et encore Anna toute seule. Jamais on ne voit le bébé. Anna gratte le papier jaune, un oiseau pourrait être enfermé à l’intérieur, ou même une femme. Une autre femme est enfermée dans ce papier jaune aux motifs «hideux», «pervers» qu’Anna décrit en détails dans son journal intime, au fur et à mesure que son délire progresse. La femme prisonnière du papier jaune devient son secret. Elle s’acharne à arracher le papier jaune avec ses ongles. Elle va enfin libérer cette prisonnière du papier qui, à son tour, libèrera Anna du poids de sa vie...

Dans Christine, l’action se partage également entre la scène et la bande du film, alors que dans Le Papier peint Jaune, Mitchell donne davantage de place à la vidéo. La  scène devient alors un site de tournage, où les procédés du cinéma font partie de la pièce. Les acteurs courent d’une pièce à l’autre, caméra en main. Ils s’habillent dans la chambre à papier jaune ou dans le vestiaire à moitié caché, incrusté entre les deux pièces reconstituées sur scène. La coiffeuse – habituellement derrière les rideaux – monte sur scène et leur vient en aide. Lorsque Judith Engel touche le papier du mur, elle est cachée par un technicien sur la scène mais on la voit en gros plan sur l’écran au-dessus: elle exprime une douleur fulgurante. Dans une cage en verre, l’actrice Ursina Lardi n’en finit pas d’égrainer le monologue intérieur d’Anna. Sa voix est en accord parfait avec l’expression d’Iris Engel. Le spectateur est hypnotisé, puis prend du recul, car il découvre que dans une autre cabine en verre, une actrice s’évertue à produire le bruitage. Elle frotte des tissus: c’est Anna qui gratte le papier jaune. Elle verse de l’eau: c’est Anna qui fait couler le robinet.

L’effet est prenant, Katie Mitchell sait bien capter cette fêlure dans le monde de sa protagoniste: la dissociation entre le monde extérieur et le monde intérieur. Elle expose le spectateur à ce monde impénétrable qui éclot, parallèlement à la réalité. Un monde écorché vif, où tout se perçoit en gros plan: les moindres traits, les moindres bruits, les moindres couleurs, les moindres lumières. Un monde dans lequel les sons et les images sont trop aigus, ou trop flous, et se brouillent dans la dérive.

Katie Mitchell traite la dépression post-natale. Cependant, ce qu’elle capte, ce sont ces moments où chacun de nous est livré à ses propres angoisses, peurs ou délires: cette solitude qui nous permet de nous identifier aux personnages dans les situations extrêmes qu’elle met en scène.

(Die Gelbe Tapete) Le Papier peint jaune d’après Charlotte Perkins Gilman, version anglaise de Lyndsey Truner, traduction en allemand  de Gerhild Steinbuch, mise en scène de Katie Mitchell (spectacle en allemand surtitré).

Prochaines séances à partir du 10 octobre au théâtre Schaubühne à  Berlin.

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