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Les attaques terroristes au Kenya: faits, mythes et lieux communs

Écrit par Codrin Arsène
15.10.2013
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  • L'intérieur du Centre commercial Westgate à Nairobi, au Kenya, après l'agression mortelle par des islamistes armés qui a fait 67 victimes. Photo prise le 30 septembre. (James Quest/AFP/Getty Images)

Je suis de plus en plus frustré par la couverture médiatique occidentale des récents attentats terroristes au Westgate Mall à Nairobi. J'ai lu plus d’une cinquantaine d’articles à propos de ces événements tragiques. Les mêmes thèmes revenaient en boucle : comment le centre commercial était le symbole d'une classe moyenne kenyane en hausse, ce qui contraste avec la réalité d'une région très pauvre de l’Afrique de l'Est, L’explication des attaques par le fait que le Kenya est géographiquement situé à l'intersection d'une région très instable politiquement, violente et pauvre, pourquoi le Westgate Mall a été choisi comme cible des attaques parce que tenu par des Israéliens et parce que c'était un établissement haut de gamme (lu: «un lieu de consommation ostentatoire») fréquenté par des Kenyans de la classe supérieure, des expatriés et des ressortissants étrangers, et comment les attaques prouvent que Al-Shabbaab est une menace terroriste plus sérieuse que prévu.

Tant que les journalistes continueront d'insister sur ces thèmes, jamais il ne sera possible de pénétrer le contexte dans lequel les attaques se sont produites. Ces descriptions superficielles avec des pseudo-faits dénaturés sont tout ce qui nous est présenté.

Les médias occidentaux ont décrit le massacre tragique de cette façon parce qu'il y a un large public sans méfiance qui sera prêt à payer pour cette version simpliste de l'événement. Après tout, il est logique que certains pauvres Somaliens furieux se regroupent et conspirent pour abattre au hasard quelques riches Kenyans non musulmans, non?

Ces fameux «thèmes» rabâchés dans tous les médias occidentaux, passons-les en revue de façon plus détaillée.

Thème 1 : Les inégalités économiques sont une des causes de l'attaque

Nairobi est une ville dangereuse. C'est aussi une ville où la ségrégation économique s’accentue. Quand je vivais à Nairobi, il y avait des choses que je savais ne pas devoir faire. Jamais. C'était comme des directives que je suivais. Ne pas marcher seule la nuit. Prendre un taxi pour rendre visite à des amis, aller dans une discothèque ou pour d'autres événements. S’éloigner de certains quartiers (surtout la nuit). Ne jamais aller à certains endroits, sauf si vous êtes accompagné par un membre respecté de la communauté (le bidonville de Kibera, par exemple).

Mais dans quelle grande ville des États-Unis ne retrouve-t-on pas exactement ces mêmes démarcations? Que ce soit Chicago, Boston, New York, entre autres? Pauvreté, violation des lois, l’inégalité des chances existe partout. Comme nous le savons tous, cela ne signifie pas que les pauvres se rassemblent, comme les chimpanzés dans La planète des singes, pour donner libre cours à leur rage envers leurs oppresseurs. C'est de la fiction.

La pauvreté n'a jamais été un catalyseur suffisamment fort pour conduire des attaques terroristes contre les riches. Qui parmi nous n'a jamais fantasmé de vivre dans une des maisons de luxe à Malibu ou de Hamptons que nous voyons à la télévision? Avez-vous alors envisagé de rejoindre un groupe de terroristes pour tirer au hasard sur des habitants juste parce qu'ils ont ce que vous n'avez pas? Bien sûr que non. Alors pourquoi devrions-nous penser que cela pourrait se produire en Afrique?

Thème 2 : Le centre commercial Westgate a été choisi parce qu’il était tenu par des Israéliens

C'est une autre cause, trop souvent répétée, que presque tous les articles des médias occidentaux avancent à propos du massacre. Les attaquants identifiés étaient tous musulmans. Selon tous les témoignages, certains clients ont été relâchés tout simplement parce qu'ils ont révélé leur foi musulmane. Si c'est le cas, il est logique que les gens responsables des attaques aient choisi un établissement israélien, vrai? Après tout, les Juifs et les Arabes musulmans ont une longue histoire de... désaccord. Donc les commanditaires doivent avoir choisi cet endroit parce qu'il était dirigé par des hommes d'affaires israéliens, n’est-ce pas? En raison de l'histoire controversée des interactions entre juifs et musulmans, il est logique que cette animosité interreligieuse soit utilisée pour expliquer le choix du lieu.

Eh bien... pas tout à fait. Revenons à la définition du terrorisme donnée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1999. Le terrorisme comprend «les actes criminels perpétrés dans l’intention de provoquer la terreur dans la population, un groupe de personnes ou une personne en particulier à des fins politiques». En d'autres termes, un big-bang pour l'argent qui inspire la peur à échelle locale, nationale ou internationale. Les terroristes veulent que vous pensiez pour vous-même «personne n'est en sécurité» et «je risque d’être le prochain».

Si c’est un acte terroriste – et c’est ce que suggère l'annonce rapide par le groupe Al-Shabbaab d’être responsable de l'attaque – quel autre lieu aurait-il pu choisir à Nairobi? En dehors de l'ambassade américaine et l'Office des Nations Unies (les deux bâtiments les mieux gardés de Nairobi), le centre commercial Westgate était probablement l'endroit le plus pratique.

Permettez-moi de dire les choses autrement: si les tireurs avaient ciblé les habitants du bidonville de Kibera, cela aurait-il été relaté dans les nouvelles internationales? Bien sûr que non.

Le choix du Westgate est stratégique en raison de son emplacement et de son importance aux yeux de la communauté des expatriés. C'est un établissement digne de faire la couverture internationale dès le lendemain. Le message «terroriste» était sûr d'être diffusé partout dans le monde, c’est pourquoi cibler cet endroit avait un sens.

Thème 3 : Les attaques reflètent l’importance de la menace Al-Shabbaab

Al-Shabbaab, comme Al-Qaïda, est une marque. Il s'agit d'une franchise que différentes cellules régionales peuvent s'approprier et exploiter selon les besoins et les aspirations de ces groupes locaux. Derrière ces attaques, il y a un leader charismatique avec les compétences nécessaires pour recruter et endoctriner les hommes et les femmes auteurs du carnage. Pourtant, croire que le cerveau soit constamment en contact avec les dirigeants d'Al-Shabbaab lors de la planification et de l'exécution de ces attaques est tout simplement ridicule puisque le succès de ce genre de mission repose sur peu ou l’absence de communication. Évidemment, comment et par qui les assaillants ont été recrutés, et pourquoi ils se sont lancés dans cette funeste entreprise sont des questions légitimes nécessitant une réponse. Sans aucun doute, la menace Al-Shabbaab doit être réévaluée. Même si relier simplement les attentats terroristes à la montée d’Al-Shabbaab en Afrique de l'Est serait faire injustice au contexte historique et aux conditions qui ont conduit à ce tragique événement.

Les points qui échappent toujours aux médias

Le problème avec les médias occidentaux qui couvrent les événements dramatiques dans le monde est double. D'une part, les idées et les explications (comme celles rejetées ci-dessus) trouvent un public parce qu'elles résonnent avec le public euro-atlantique. Cela est «logique» pour beaucoup d'entre nous qui ne savons même pas où se situe le Kenya sur une carte du monde. Cependant, ces récits ne parviennent souvent pas à refléter fidèlement la réalité du terrain. Au mieux, ces explications sont incomplètes, au pire, elles sont manifestement trompeuses et fausses.

D'autre part, ce raisonnement nous empêche de regarder ce qui est vraiment en jeu derrière ces attaques. Le carnage ne se produit pas dans le vide, cela est arrivé dans un pays qui a longtemps souffert de problèmes fondamentaux constamment exposés par des ONG, des organisations internationales humanitaires et quelques journalistes : la corruption endémique, la pauvreté extrême, l'animosité ethnique et religieuse ainsi que l'accès inégal à l'éducation.

Mais soyons clairs: ce sont des conditions qui ont un impact négatif sur les jeunes partout dans le monde. Certains enfants d'immigrés somaliens dans le Minnesota ont quitté leur famille pour rejoindre des groupes militants dans la Corne de l'Afrique et le Moyen-Orient. Au cours de la dernière décennie, les attaques au Royaume-Uni, en France et en Espagne ont été rendues possibles grâce à l'aide de jeunes déshérités et désabusés qui ont trouvé l'idée plus attrayante d'infliger la terreur à leurs oppresseurs plutôt que de construire leur vie dans leur pays d'adoption.

Comment des jeunes peuvent être désespérés au point de recourir à de tels actes n'est jamais un sujet que les médias aiment couvrir. Cette question n'est pas un sujet d'actualité, car elle nous détourne de notre réaction instinctive aux événements: tenter de jeter le blâme. Nous sommes si désireux de trouver les coupables que même l'idée d'essayer de fixer les conditions sous-jacentes au contexte dans lequel l’événement s'est produit nous échappe tout simplement.

Les 50 articles et plus publiés dans la semaine qui a suivi l'incident ont commencé à rabâcher les mêmes idées inadéquates, ne présentant pas de perspectives sur la profondeur du désespoir quotidien kenyan ou de nouvelles pistes sur des problèmes apparemment insurmontables. Donc, la prochaine fois que la terreur sera sur nous, nous allons encore une fois tenter de trouver les coupables, jeter le blâme sur les suspects habituels et crier au loup.

Nous sommes comme des hamsters dans une roue: tellement occupé à courir aussi vite que possible que nous ne réalisons pas que la roue est seulement en train de tourner sur place, sans avancer.

Codrin Arsène écrit sur les affaires politiques et culturelles africaines. Cet anthropologue basé à Chicago a vécu et travaillé en Tanzanie et en Ouganda.

Version originale : Terrorist Attacks in Kenya: Facts, Myths, and Reshuffled Stories

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