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La presse papier prend l'eau

Écrit par Caroline Chauvet, Epoch Times
10.11.2013
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  • Tom Costello, un journaliste de NBC News, se tient devant le Washington Post le 6 août 2013, le lendemain de l’annonce du rachat du quotidien par le fondateur d’Amazon.com, le multimilliardaire Jeff Bezos (AFP PHOTO/Karen BLEIER)

C'est un constat pour la presse papier : le bateau coule. La crise ne touche pas seulement la France, mais le monde entier. Un rapport du 2 juin 2013 de la World Association of Newspapers and News Publishers (WAN-IFRA) met en lumière l'ampleur de l’événement au niveau international : en cinq ans, la diffusion des journaux papier a baissé de 13 % en Amérique du Nord, de 24,8 % en Europe de l’Ouest et de 27,4 % en Europe de l’Est.

En décembre 2011, l'édition papier du journal France-Soir, quotidien historique, avait été forcée de mettre la clé sous la porte faute de recettes. Il en fut de même pour le Deutschland Financial Times un an plus tard. Les exemples sont nombreux.

Récemment, le Washington Post, qui valait dix fois plus il y a vingt ans, a été racheté par le fortuné Jeff Bezos, propriétaire notamment d'Amazon. Geste citoyen ou simple calcul commercial? Seule constatation possible à ce jour : l'état des finances du Washington Post ne lui permettait plus de rester à la surface. En France, quelques grands groupes font office de Murdoch de la presse tels Dassault, Lagardère, Bolloré ou Arnault. Il est question alors de l'indépendance de l'information.

Enfin, l'équipage est forcé de quitter le navire. La presse écrite, qui déjà n'embauche que peu, restructure maintenant ses équipes. Les plans de départ sont à la mode, quand ce n'est pas le journal qui doit subitement fermer. Et, souvent, il n'y a pas de canots de sauvetage : la dernière révérence du Deutschland Financial Times le 7 décembre 2012 a laissé 350 journalistes sur le carreau. 

Fermetures, plans de départs de journalistes et rachats de titres n'en finissent pas dans la presse écrite quotidienne. En France, seul La Croix se maintient à flot par une augmentation de la vente de ses titres, tandis que Libération coule. La presse magazine et spécialisée n'est pas ou peu touchée. Des titres de presse spécialisée se créent sans cesse. La crise concerne principalement la presse nationale d’information générale et politique payante comme Le Monde, Le Parisien Aujourd’hui en France, L’Humanité, etc.  En 2010, le quotidien L'Humanité connaissait un recul de 500 000 euros de ses recettes publicitaires en perdant près de 2 millions d’euros. Le journal économique Les Échos perdait 5 millions d’euros la même année.

Le virage du numérique difficile à négocier

Que s'est-il passé depuis une dizaine d'années? L'arrivée d'une information gratuite sur Internet, dont l'idée a été reprise par des quotidiens gratuits (Métro, 20 Minutes, Direct Matin en France) sont les causes exogènes principales de la crise de l'information payante.

Le modèle économique de l'information gratuite n'est pas viable, à moins d'y injecter un nombre important de publicités. Celles-ci se détachent d'ailleurs du papier. Le rapport de la World Association of Newspapers and News Publishers constate que les recettes publicitaires ont chuté de 42,1 % en Amérique du Nord, de 23,3 % en Europe de l’Ouest et de 30,2 % en Europe de l’Est. La valorisation des titres qui dépendaient de la publicité a fortement chuté. Aux États-Unis, elle a été divisée par dix en vingt ans, inflation non comprise.

Les titres sur papier ont donc testé divers modèles économiques afin de s'adapter au numérique. Les journaux se sont mis à créer des rédactions web, des pages Facebook et des comptes Twitter. Toutefois, malgré les 16 millions de visiteurs et les 600 millions de pages vues sur les sites d’information, la toile ne totalise que 10 % du chiffre d'affaires de la presse traditionnelle. Certaines rédactions ont adopté le modèle d'une accessibilité gratuite pour tous les internautes, comme le Guardian, mais dont le journal papier reste plus détaillé. D'autres ont choisi l'option du (presque) tout payant, comme Le Monde diplomatique. Un modèle mixte a été adopté par Le Monde, avec quelques articles gratuits et d'autres, plus fouillés souvent, réservés à l'édition pour les abonnés. Aucun de ces trois titres ne semble pourtant avoir trouvé la solution économique miracle, car ils fonctionnent en déficit.

Un phénomène nouveau est apparu sur Internet : des médias «pure players», c'est-à-dire proposant des informations uniquement en ligne, se sont développés, comme Rue 89, en accès gratuit mais participatif, ou Médiapart, payant - mais aussi Atlantico, Slate, le Huffington Post, sans parler des sites qui jouent beaucoup sur le buzz afin de capter le plus d'internautes comme Melty.

Les pratiques de consommation de l'information elles-mêmes ont changé. Le lectorat ne possède aujourd'hui plus les mêmes attentes. Plus jeune, plus connecté, il aime piocher l'information çà et là. Il utilise donc Internet, la radio, les chaînes d’informations en continu, voire les journaux gratuits.

L'arrivée d'Internet et d'une information gratuite, instantanée, accessible a constitué un véritable bouleversement dans la presse écrite, non seulement au niveau de la concurrence, mais aussi au niveau du lectorat, et par là même pour la pratique du journalisme.

De plus en plus de journalistes font du «desk», travaillent derrière leur ordinateur pour créer un article à partir d'informations glanées sur Internet. Avec un partage plus grand des images et des informations sur Internet, le risque est de tomber dans une uniformisation de l'information et dans le recopiage sans vérification des sources. Beaucoup de journaux reprennent sur Internet les mêmes dépêches des agences auxquelles ils sont perfusés comme l'Agence France Presse, de Reuters, d'Associated Press, sans même prendre le temps d'en modifier quelques mots. La question se pose même parfois de l'envoi de reporters à l'extérieur de la rédaction.

Tout concourt à tuer le journalisme d'investigation, figure pourtant la plus noble du journalisme. Les enquêtes de terrain sont économiquement moins rentables, a priori, qu'un article écrit derrière un bureau. Pourtant, l'enquête, le terrain, l'analyse, la vérification des faits sont toujours des valeurs maîtresses pour bon nombre de journalistes.

Internet et la numérisation ne sont pas nécessairement synonymes de dégradation de l'information ou fin de l'investigation. Le journal Médiapart en est un bon exemple. Pure-player fondé en 2008 par Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde, et d'autres associés, il est à l'origine des révélations sur les comptes cachés de Jérôme Cahuzac, et joue un rôle clé dans les investigations sur l'affaire Woerth-Bettencourt, Karachi, ou encore sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. L'équilibre financier de Médiapart a été atteint depuis plus de deux ans, alors que le site propose une information payante uniquement.

Plutôt que d'abreuver les lecteurs en quantité, Médiapart, comme d'autres à l'instar de la revue XXI, fondée également en 2008 et proposant des articles dans la veine du grand reportage à ses lecteurs, prône la qualité plutôt que la quantité comme valeur ajoutée. Et les finances suivent.

Mais les choses ne sont pas aussi aisées pour des titres plus anciens et aussi souvent plus gros. Le tournant du numérique constitue pour eux un véritable challenge à relever - question de vie ou de mort. Il s'agit en effet de rebâtir les fondations d'un navire qui prend l'eau, tout en gardant le cap sur une information de qualité et diversifiée.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.