NEW YORK – Il y a cinq ans, les cinéastes David Turner et Lara Zizic ont entrepris un périple pour documenter ce qui s'avère être une des histoires de fraude religieuse les plus incroyables.

Tout a débuté quand M. Turner était en Hollande pour travailler sur un film de fiction. Il a lu un article écrit par Bill Sizemore, un journaliste du Virginian-Pilot, au sujet du télévangéliste Pat Robertson. L'article accusait M. Robertson d'exploiter des mines d'or et de diamant en Afrique sous le couvert de son organisation caritative.

Même si M. Turner trouvait que cette affaire dépassait la fiction, lui et Mme Zizic ont commencé à retracer les témoins oculaires et les joueurs importants au fil de plusieurs années.

«C'était juste complètement fou», explique M. Turner.

Mission Congo est un documentaire d'une heure qui démontre comment durant une grave crise humanitaire au Zaïre (maintenant la République démocratique du Congo), Pat Robertson a vanté sur les ondes les grandes réalisations de son organisation, Operation Blessing. Au même moment, il exploitait une mine de diamant dans une autre région du pays.

Natif de Virginie, M. Robertson a défroqué en 1988 pour briguer la candidature républicaine à l'élection présidentielle. Avant de ce faire, il avait entrepris la construction d'un empire médiatique religieux. Encore aujourd'hui, M. Robertson est un important télévangéliste à la barre d'une des émissions religieuses les plus populaires, le 700 Club. Après le génocide au Rwanda en 1994, M. Robertson a affirmé qu'Operation Blessing (OB) fournissait de l'aide médicale à des milliers de personnes, alors qu'il utilisait en fait les avions-cargos d'OB pour transporter de l'équipement minier.

Comment a-t-il réussi cette fraude? Il s'est associé au dictateur de l'époque, Mobutu Sese Seko, et était à la tête de l'African Development Corporation. Fournissant une aide minime à la population et prenant même le crédit pour le travail de Médecins sans frontières, M. Robertson continue à ce jour à recueillir des dons par l'entremise du site web d'Operation Blessing.

Une enquête du procureur général de l'État de Virginie n'a pas trouvé de faute chez M. Robertson. Ce dernier a offert de larges sommes aux campagnes politiques du procureur général et du gouverneur de Virginie.

La réalisation

Pour réaliser leur documentaire, les cinéastes ont passé cinq ans à chercher des gens à interviewer en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord. Les voyages de M. Turner et de Mme Zizic au Congo ont eu leur lot d'aventures. M. Turner se rappelle avoir été réveillé un matin par un homme armé qui l'accusait de lui devoir 15 000 dollars.

«Il a dit : “Ton frère [Pat Robertson] – un de ses hommes me doit de l'argent pour la location d'une maison”», raconte M. Turner. Ce dernier a dû expliquer qu'il n'avait aucun lien avec M. Robertson et il s'en est finalement tiré.

Pat Robertson n'a pas répondu aux demandes d'entrevue. M. Turner n'a pas voulu commenter si M. Robertson avait fait des démarches pour empêcher la sortie du film.

Mission Congo a été présenté en première au Festival international du film de Toronto en septembre dernier.

Fraude religieuse

Ole Anthony est le président de la Trinity Foundation, une organisation caritative qui s'est transformée en agence pour enquêter sur la fraude de nature religieuse. M. Anthony découvre les magouilles des plus importants télévangélistes depuis le début des années 1990.

«J'étais au courant [du cas Pat Robertson] au début des années 1990», indique M. Anthony. À cette époque, la Trinity Foundation était poursuivie en justice par un autre télévangéliste. M. Anthony était ainsi entièrement occupé par la défense de son organisation.

En fait, son organisation fait tellement souvent l'objet de poursuites que M. Anthony dit être en mesure de jouer le rôle d'un avocat dans un film en raison de toute l'expérience acquise.

Lara Zizic a fait les démarches pour interviewer Ole Anthony dans le cadre du documentaire. Non seulement se penche-t-il en détail sur la fraude religieuse dans le film, mais il a été en mesure de refiler aux cinéastes des informations sur des victimes spécifiques ayant contribué à Operation Blessing.

«Il y a plus de fraudes au nom de Dieu que n'importe quel autre genre de fraude aux États-Unis, et nous sommes le seul groupe dans le monde qui enquête sur ce genre de fraude. C'est complètement fou», déplore M. Anthony.

Les revenus du crime de nature religieuse s'élevaient à 34 milliards de dollars en 2011 et devraient presque doubler d'ici 2025, selon le journal International Bulletin of Missionary Research qui analyse l'histoire missionnaire chrétienne.

Les avocats se déchaînent contre M. Anthony. Dans un procès, il a été décrit comme un «carcajou avec un vilain mal de dents».

«On me traite de dirigeant de secte depuis les 40 dernières années», explique M. Anthony.

Ole Anthony est un fervent chrétien. Il accueille des sans-abri à sa résidence et il estime que toutes les organisations caritatives devraient avoir le même objectif que l'Église à l’origine et utiliser la moitié des ressources de l'Église pour des projets caritatifs.

«Si l'Église aujourd'hui, à travers le monde, utilisait 40 % de son budget pour aider les pauvres, le problème serait réglé du jour au lendemain», dit-il.

M. Anthony fait remarquer que plusieurs autres documentaires ont été produits sur l'affaire Robertson, mais aucun n'a été diffusé. Selon lui, aucun autre média n'a effectué une recherche aussi poussée que les cinéastes Turner et Zizic, et c'est pourquoi l'affaire n'a jamais été pleinement révélée auparavant.

«C'est à l'époque qu'on aurait dû faire ce que Lara et David ont fait, soit aller là-bas et interviewer les gens», ajoute-t-il.

De son côté, M. Anthony continue à faire son bout de chemin. Il a récemment déposé 38 rapports sur différents ministères religieux qui «violent toutes sortes de lois».

Version originale: Filmmakers Expose Televangelist Scam