Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Dans l’empire des Ténèbres, Un poète chinois raconte les prisons chinoises

Écrit par Michal Bleibtreu-Neeman, Epoch Times
16.02.2013
| A-/A+
  • Liao raconte cet enfer destiné à briser l'être humain, où les détenus deviennent eux-mêmes bourreaux.

Très jeune, comme la plupart des personnes de ma génération, j’ai lu des livres et notamment des témoignages sur la Shoah. Je connaissais alors les histoires et les détails sur les camps de concentrations, sur le mal… Mais ce mal, pour nous les jeunes, c’était: «La bête nazie du pays de là-bas» comme l’appelle Aharon dans Le Livre de la grammaire intérieure de David Grossman. Les nazis n’avaient rien à voir avec l’espèce humaine, c’était comme une sorte d’entité sans forme qui envahissait un moment notre planète. Puis la «bête» sans forme s’est révélée n’être qu’un tas de petits fonctionnaires très banals qui faisaient tout simplement leur travail, comme l’avait décrit la philosophe Hannah Arendt, suite au procès Eichmann, en 1961. Ils étaient tout de même des nazis, me disais-je en le refoulant au fond de ma mémoire. Quelques années plus tard, j’ai lu des témoignages de femmes en Amérique du Sud, j’étais de nouveau bouleversée et j’ai compris que le mal faisait partie de l’espèce humaine. Et que, banal ou monstrueux, ce mal, si on ne le dénonçait pas, risquait de nous contaminer tous, n’importe où et à n’importe quel moment.

Aujourd’hui en Chine le mal prend un autre visage qui nous plonge dans la profondeur des ténèbres.

Une mission déléguée

«Que ce soit par l’écriture ou par des révoltes nous espérons tous que ceux qui sont de l’autre coté des hauts murs de la prison se souviennent de nous», a écrit l’écrivain chinois Li Bifeng, récemment condamné à douze ans de prison.

Ces mots ont conclu la soirée Alerte organisée au palais de Tokyo à l’occasion de la parution du livre Dans l’empire des ténèbres, un témoignage exceptionnel sur les années passées dans les camps de concentration chinois, de Liao Yiwu, l’un des poètes contemporains chinois les plus importants.

Li Bifeng «le champion des tentatives d’évasions ratées» comme en témoigne son ami Liao Yiwu, a été condamné pour avoir aidé Liao à s’enfuir de la Chine – le cynisme des régimes tyranniques expose ainsi ses dents aiguisées.

Les mots de Li Bifeng ont conclu la soirée en nous déléguant, mais aussi à tous ceux qui connaissent le privilège de vivre en liberté, la mission de porter la parole des prisonniers de conscience, de mener le combat de ceux qui sont enfermés dans les ténèbres des oubliettes nommées tantôt centres de rééducation, camps de travaux forcés, goulags, ou dans leur version chinoise lao gaï. Et notre responsabilité consiste justement à raconter leur histoire.

L’histoire de Liao Yiwu

Voici maintenant l’histoire de Liao Yiwu. Il était une fois, un poète très connu, un poète épanoui. Il avait des parents, il avait une épouse qui l’aimait et il avait des copains pour partager ses idéaux. Et lui, il aimait la poésie, il aimait Bob Dylan, il aimait Baudelaire et par-dessus tout, il aimait la liberté. Le régime, que le monde croyait être en pleine évolution vers la démocratie, était en fait exactement le même que celui qu’avait connu son père trente ans auparavant: celui de la Révolution culturelle. Or voici qu’un jour, ce régime hypocrite, que le monde pensait très avancé, ayant trouvé notre poète trop libre à son goût, décida de l’enfermer pendant quatre ans dans un centre de rééducation, pour le motif d’«activités contre-révolutionnaires». En effet Liao Yiwu, comme par prémonition, avait écrit un poème intitulé Le Grand massacre, juste avant que n’ait eu lieu le massacre de la Place Tienanmen. Dans un extrait du livre, il se souvient de ce moment: «[…] Guidé par une intuition, j’ai choisi la chanson Laissons l’amour remplir le monde comme fond musical […] sur la pochette, il y avait la photo de nombreuses stars chinoises avec leur signature. Elles étaient toutes vêtues d’un T-shirt de la sainte colombe de la paix […] et avec cette prière poussiéreuse chantée par des voix d’enfants […] le massacre qui se déroulait dans la réalité prenait tout son relief et n’en paraissait que plus brutal et cruel. Au petit matin vers six heures, j’ai terminé la bande originale du poème Massacre ainsi que son accompagnement musical, et on a enregistré trois cassettes. Sur la pochette de chacune d’elle j’écrivis «le temps de l’insurrection» puis je l’ai donné à Michael. Impassible, je l’ai regardé ouvrir son grand sac à dos de vagabond pour y fourrer cette petite bombe […]»

La vie de notre poète prend donc une autre direction et, en 1990, il est condamné au lao gaï. Enfermé là où la rééducation consiste à briser l’âme et la dignité humaine, il ne trouve qu’un seul moyen pour préserver sa liberté intérieure – l’écriture. Dans des conditions ahurissantes, entre «coups de poings et matraques électriques», des scènes de violence dont il est le témoin quand il ne les subit pas lui-même, Liao trouve le courage d’écrire son témoignage sur des bouts de papiers. Un document que Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, a qualifié, lors de la soirée, être une œuvre qui prendra sa place parmi «les grandes œuvres de la littérature carcérale… Nous avons un grand poète, un grand écrivain dans la lignée de Soljenitsyne».

Liao raconte son enfer dans la geôle chinoise avec une violence déroutante, mais également avec lyrisme et humour. Car les Chinois qui veulent la liberté «sont obligés de se défendre contre le régime avec humour», explique Liao Yiwu. Et, il s’agit des régimes carcéraux «les plus barbares que l’on ait connus», atteste Robert Badinter.

Liao raconte cet enfer destiné à briser l’être humain, où les détenus deviennent eux-mêmes bourreaux – la preuve ultime de la réussite opérationnelle du système carcéral des régimes totalitaires. Ainsi il décrit «les deux rouquins» qui purgent leur pénitence en assistant les gardiens. Ou encore, le chapitre dans lequel il présente avec humour ce menu de tortures que les détenus sont «libres» de choisir, exécuté par les chefs de cellules, à qui les gardiens confient la mission de semer la terreur et de réduire les détenus à l’esclavage. Liao raconte cette violation constante de la dignité humaine, mais aussi des moments rares et chaleureux où l’amitié et l’esprit humain triomphent. Un de ces moments est celui où il rencontre le gardien intellectuel qui admire ses poèmes «quelqu’un me tendit une main chaleureuse comme un chien qui guide un aveugle… «J’ai lu beaucoup de vos poèmes ils sont remarquables»».

Comme d’autres prisonniers de conscience, Liao se trouve dans la même cellule que des voleurs et assassins, et certains condamnés à mort. Il n’est pas étonnant que le régime ait mis tant d’effort et de menaces pour que le manuscrit ne voit pas le jour. Liao nous révèle le rouage secret de ce système totalitaire. Dans une des scènes, onirique et réaliste à la fois, Liao nous donne des frissons. Dans les crépuscules de la conscience, abattu sur son lit de torture «Chang le mort» raconte le trafic d’organes mené par le Parti assisté par le système médical: «quelques heures plus tard, j’ai pu sentir une aiguille se planter dans mon bras. Elle semblait aussi épaisse qu’un verre à liqueur et a rapidement viré au rouge... je me suis réveillé et je me suis rendu compte qu’ils étaient en train de me prélever du sang… J’ai senti mon corps sombrer puis de nouveau flotter… J’ai quand même pu apercevoir brièvement une blouse blanche, c’était celle d’un médecin».

En liberté

Et voilà qu’au bout de quatre ans notre poète se trouve enfin en liberté. Une fois dehors il découvre que le monde a changé. Sa femme l’a quitté, ses copains d’autrefois aiment moins la liberté, en tout cas, ils préfèrent la course effrénée après l’argent, celle qui fait oublier les barreaux qui enferment leur esprit.

«Quand j’ai quitté la liberté pour entrer en prison, on peut dire que dans la bouche des Chinois, il y avait partout la démocratie, les idéaux; et quand j’ai quitté la prison pour revenir dans la société, c’était plus simple, il y avait l’argent, l’argent et l’argent», dit-il en réponse à la question de Pierre Haski, cofondateur et collaborateur du site Rue 89, qui lui a demandé si «le retour à la liberté n’était pas plus cruel que la privation de la liberté».

Dans la schizophrénie des régimes totalitaires, ses seuls amis, raconte Liao, étaient les policiers. Les autres étaient trop occupés à gagner de l’argent. Le même policier avec qui il avait passé des nuits à boire et à parler était aussi celui qui était venu chez lui, entouré de renforts pour confisquer son manuscrit. En 1995, Liao recommence son livre. Mais un an après, la police revient et retrouve de nouveau son manuscrit. Pour la troisième fois Liao Yiwu réécrit son témoignage. De nouveau, il est menacé par les autorités qui font tout pour que son témoignage ne soit pas publié à l’étranger. Entre retourner en prison et vendre son âme – comme l’a fait le dernier prix Nobel de littérature, Mo Yan, afin de récolter les honneurs – Liao décide de s’enfuir de Chine. En 201, il arrive en Allemagne qui lui ouvre ses bras et où il reçoit le Prix pour la paix des libraires allemands.

Liao Yiwu est enfin libre mais son histoire ne s’achève pas ici. Elle s’achèvera le jour où il pourra lire sur la place Tienanmen son poème Massacre, en présence de ses amis Li Bifeng et Liu Xiao Bo ainsi que des milliers d’autres prisonniers politiques, humiliés et torturés dans les ténèbres des geôles chinoises.

Ne l’oublions pas.


Extrait:

Le grand massacre

(...) Le pouvoir, c'est avoir la victoire éternellement. Mais la cendre morte peut à nouveau redevenir incandescente, brûlante pour d'autres générations telle la faible lumière précédant l'aube éclatante. Et maintenant rien, un point de lumière. Aucune lumière au centre du pouvoir communiste. Notre cœur tout noir, devient aussi brûlant qu'un grand feu engloutissant tous les cadavres. Un jour nous pourrons exister. Le gouvernement qui nous dirige, disparaîtra un jour. Mais maintenant, ce jour finissant n'a pas un rayon de lumière (...)

Poèmes de Prison, Editions L'Harmattan, 2008, traduction Shanshan Sun et Anne-Marie Jeanjean

Dans l'empire des ténèbres de Liao Yiwu, traduit par Marie Holtzman, Gao Yun, Marc Raimbourg, postface d'Herta Müller, François Bourin, Éditions Les Moutons noirs, 672p.


Epoch Times est publié en 21 langues et dans 36 pays.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.