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À quand le retour de la moralité sur le petit écran?

Écrit par David Vives, Epoch Times
03.05.2013
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  • Deux Strasbourgeoises regardent le reality-show Loftstory diffusé sur M6 le 9 mai 2001 dans un grand magasin de Strasbourg. (Damien Meyer/AFP)

«L’ennui avec la télévision, c’est qu’on la regarde pour se changer les idées et qu’elle finit par nous laver le cerveau», disait l’humoriste américain Robert Orben.

Le petit écran a soixante bougies au compteur. Telle une éponge ou un miroir des évolutions de notre société et de nos comportements, son contenu a toujours été remis en question, discuté, approuvé ou controversé. Le plus marquant est peut-être de constater que son rôle et sa fonction deviennent «naturellement» de plus en plus présents. Ni les journaux ni la radio n’ont pu exercer un tel impact sur l’inconscient collectif. 

Sur l’année écoulée, le temps passé devant un téléviseur est passé de 3h27min à plus de 4h par jour. Il ne s’agit plus seulement de s’informer, de se divertir. Aujourd’hui, regarder la télévision, c’est aussi se chercher soi-même. Nous donner le pouvoir de passer à la télévision, nous, les personnes ordinaires. Voilà la promesse qui tient en haleine l’imaginaire et le désir de générations entières.

Mais le rôle de la télévision devient de plus en plus flou. Certaines émissions de télévision se plaisent à jouer avec les frontières morales, utilisant à leur compte le flou qui peut exister en matière de législation. Ainsi, depuis les émissions au format de téléréalité, la télévision devient apte à façonner le comportement de générations entières. Un phénomène qu’on aurait eu peine à imaginer il y a de cela à peine vingt ou trente ans et tout aussi impossible à diffuser envers un grand public à cette époque.

L’émergence de la société de consommation à travers le petit écran

Pendant les quarante ans qui ont suivi l’apparition de la télévision en France, le service public contrôlait la diffusion des émissions à l’écran. Dans les années 50, la télévision était réservée à certaines classes sociales privilégiées. Les programmes étaient rudimentaires, l’aspect culturel et informatif étant le plus courant. Avec la libéralisation de la télévision et l’émergence d’une société de consommation, ces programmes ont, eux aussi, évolué.

En 1987, Jacques Chirac revend TF1 à des fonds privés. Il avait été discuté d’abord de céder la célèbre chaîne au groupe Hachette, spécialisé dans la diffusion de contenus culturels. Mais c’est Bouygues, le plus offrant, qui a remporté la mise. C’est également en 1987 qu’est apparu le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), autorité indépendante ayant pour but de garantir l’exercice de la liberté dans le domaine de la communication audiovisuelle. Cependant, le CSA a rapidement été amené à jouer un rôle de censeur pour limiter les dérives apparues par la suite.

L’érosion d’une certaine image «humaine» de la télévision a eu lieu au cours des années 1990. Les speakers et speakerines ont été remplacés par des bandes annonces et des animateurs parfois peu préparés à ce rôle.

La privatisation de TF1 a été le grand tournant dans le PAF (paysage audiovisuel français) car dans les années 90 apparaît le concept de reality show. Des émissions comme Témoin n°1 ou Perdu de vue, présentées par Jacques Pradel, plongeaient le téléspectateur dans l’intrigue et une première interaction était créée avec lui: il prenait part à l’émission et devenait le sujet.

Il y a donc eu un avant et un après la téléréalité. Dans la continuité du reality show des années 90, la téléréalité a ouvert un autre chemin. Jean Drucker – frère de Michel – quitte la direction de M6 en 2000. M6 s’engage alors dans le chemin tracé par TF1 dans la diffusion de programmes pour la jeunesse où violence et vulgarité font parfois recette. Aujourd’hui, certaines chaînes de la TNT reprennent à leur compte cette approche avec toujours le même objectif de récupérer des parts d’audimat signifiant contrats publicitaires.

La téléréalité et la déconstruction de la pensée

En 2001, Le Loft débarque donc. Le voyeurisme et l’exhibitionnisme, qui au départ étaient dénoncés de façon globale, en viennent peu à peu à se banaliser. À travers la télévision, on pénètre maintenant dans la vie d’un individu, on explore son intimité. L’interaction entre le téléspectateur et le petit écran a changé de nature pour devenir intrusive. La caméra devient la confidente des candidats et la télévision donne au téléspectateur un rôle qui n’est pas le sien.

Jean Mauduit, secrétaire général du magazine Elle, écrivait à ce sujet: «Les scénaristes et producteurs ont cultivé l’ambition de travailler en pleine pâte humaine, faisant ainsi accéder la télévision à des fonctions et des rôles qu’elle n’exerçait pas jusque-là ou qu’elle n’exerçait qu’indirectement: responsable de laboratoire comportemental, psychanalyste, médecin, éducateur, coach, animateur de psychodrames, etc. En somme, la grande invasion non seulement du "moi" mais aussi du "ça"», c’est-à-dire conditionner le spectateur.

Il est intéressant de constater que les réseaux sociaux qui se sont développés cette dernière décennie jouent totalement avec ce nouvel aspect émergeant de notre société humaine, mélangeant voyeurisme et exhibitionnisme. La vie elle-même d’une personne devient le sujet d’une histoire. Ses passions, ses cachotteries, son intimité, tout devient du contenu scénaristique mis à la vue de tous et annhihilant le respect de la vie privée.

Enfants et adolescents consomment allègrement ce type de télévision. D’ailleurs, les réseaux sociaux créent un espace tout à fait adapté à la promotion de la téléréalité. 65% des adolescents avouent préférer la télévision à tout autre type d’écran. Les cours de récré aussi bien que les réseaux sociaux permettent de diffuser et de répandre le contenu de ces émissions.

«Actuellement je suis pion dans un lycée, et il faut entendre les conversations entre les élèves. Ils confondent Robespierre et l’abbé Pierre, le pape François et François Ier, mais sont au courant du "allo quoi, non mais allo" de Nabilla, nouvelle star siliconée de la téléréalité», partage Kalel, sur un forum. On voit aussi de plus en plus apparaître des vocations comme «chanteur» ou «star» au sein des écoles, collèges, lycées.

La téléréalité est donc passée maître dans l’art d’impliquer le téléspectateur avec ce qu’il regarde. On sympathise facilement avec les candidats, on s’identifie à leur vécu, tout en demeurant assuré de l’illusoire mise à distance que procure l’écran. À travers ces deux leviers psychologiques, les scénaristes et producteurs dosent savamment ce qui peut tenir en haleine les spectateurs, et forment le scénario.

Quant à l’espace nécessaire pour comprendre ces comportements, il n’existe peu ou pas. Qu’on se moque allègrement de Nabilla et de son «Allo quoi!... non mais allo!», cela ne tient pas forcément pour une mise à distance qui correspondrait à une réflexion. La réaction émotive du public est stimulée et exacerbée au possible. Si l’adolescent était réellement capable de prendre le recul dont sont capables les adultes, s’il pouvait mettre à distance, peut-être s’intéresserait-il à autre chose. Mais les producteurs ont-ils vraiment pour but de permettre à l’adolescent de comprendre ce qu’il voit?

Une étude américaine a été menée auprès de 1.141 filles âgées de 11 à 17 ans. 47% de ces filles ont déclaré regarder régulièrement des émissions de téléréalité et parmi elles, 68% considèrent qu’il est dans la nature des filles d’être méchantes et en compétition avec les autres. 37% estiment qu’il faut mentir pour obtenir ce que l’on veut, 24% pensent qu’il faut être méchante pour arriver à ses fins. Pour finir, 72% d’entre elles passent beaucoup de temps à soigner leur apparence. Celles qui ne regardent pas la téléréalité ne sont que 42%.

Les recommandations du CSA peuvent-elles suffire?

Françoise Laborde et Francine Mariani-Ducray ont co-présidé une commission de réflexion sur l’évolution des programmes. Plusieurs solutions ont été abordées, comme la transmission des programmes de téléréalité après 22h, l’usage de pictogrammes, ou encore une meilleure information sur les conditions de tournage, pour mieux informer le public de ce qu’il regarde.

En 2012, un bilan a été dressé, en concertation avec des sociétés de production, des groupes audiovisuels, des chercheurs et des associations familiales. Suite à ce bilan, il a été recommandé aux producteurs des émissions d’être vigilant dans le recrutement des candidats, d’assurer un suivi médical et psychologique adapté et de mieux prévenir le public de l’aspect artificiel du programme.

On peut également affirmer que s’il est facile de légiférer, les questions relatives au contenu de la téléréalité sont compliquées. Par exemple, la question de la violence. Celle-ci est relative, on mesure mal son impact sur le jeune public. La violence verbale est plus subtile à déceler que des images «violentes» susceptibles de choquer. Pourtant, celle-ci est excessivement présente à l’écran.

À titre d’exemple, en 1990, le CSA avait supprimé le dessin animé Ken le survivant en raison de la trop grande violence de ce dernier, alors qu’il figurait dans un programme jeunesse. Il était alors facile de trancher. Cependant, les émissions de téléréalité sont nombreuses et montrent les différents aspects des violences morales, verbales ou psychologiques.

Il a été aussi convenu à la suite des débats menés par le CSA que le terme «téléréalité» était difficile à cerner. Il existe simplement des «formats», qui se déclinent différemment selon les pays: Supernanny, Un Dîner presque parfait, Qui veut gagner des millions rentrent tous sous cette appellation, même si on y constate souvent, à des degrés différents, des tendances comme l’encouragement à la compétition, à la ruse et au mensonge. Comme les émissions sont nombreuses et montrent toutes des choses différentes, tracer une ligne jaune s’avère effectivement difficile pour le CSA.

À ce propos, Olivier Schrameck, président du CSA, a récemment affirmé: «Le CSA n’est pas un censeur. […] Le CSA a fixé un certain nombre de règles et préconisé des précautions». Enfin, le CSA appelle producteurs et éditeurs «à réfléchir sur leur responsabilité sociale et éthique concernant les valeurs que véhiculent ces programmes, susceptibles d’être regardés par le jeune public». Il incite également à la réflexion et au dialogue à l’intérieur de la famille.

Les habitudes et mœurs françaises en matière de télévision

Le débat et la controverse sont très particuliers à la France, et ne se sont jamais éteints depuis Le Loft. Dans les autres pays, on trouve moins de questionnements et on ose plus facilement. Aux États-Unis par exemple, la téléréalité a beaucoup moins de limites qu’ici. Que ce soit au niveau culturel ou du divertissement, le concept de téléréalité a bien moins pénétré le paysage audiovisuel français qu’à l’étranger.

D’après Lancelot Orfé, travaillant au service public de France Télévision, «en France, les sociétés de production sont en général moins créatives et s’inspirent plus facilement de ce qui marche à l’étranger. Ainsi, beaucoup de formats d’émissions de téléréalité viennent des Pays-Bas. Les Français ont bien créé la Star Academy, mais globalement, peu de choses viennent de chez nous. En période de crise, il est moins coûteux d’importer des fictions et des programmes étrangers, que de risquer de les créer».

Le goût des téléspectateurs français est aussi particulier. En termes de fiction et de séries, les pays européens ont l’habitude de regarder ce qui est produit chez eux. Dans notre pays, on regarde facilement les fictions provenant de l’étranger (particulièrement des États-Unis) alors qu’on boude les fictions françaises.

La question des mœurs françaises est aussi très présente sur le petit écran. «Il y a des domaines où les Français sont plus pudiques que dans d’autres pays. Par exemple, il existe aux États-Unis des jeux où des liasses d’argent sont posées sur les tables. En France, ce n’est pas possible de montrer cela. Même si on propose aux candidats de gagner de l’argent, on privilégiera l’aspect culturel et des questions portant sur la connaissance», explique Lancelot Orfé. Dans cette optique, le CSA a récemment décidé de supprimer certaines émissions dites «tirelire», où les téléspectateurs appellent des numéros surtaxés pour gagner de l’argent.

On trouve ainsi une séparation de plus en plus forte entre le contenu des chaînes privées, particulièrement celles qui tentent d’attirer le jeune public, et le contenu des chaînes de service public, qui sont soumises à un certain nombre d’obligations et où l’encadrement des contenus doit répondre à des critères de pluralisme, d’information et de culture.

L’attitude et le rapport des Français au contenu culturel et au divertissement se rapprochent, dans une certaine mesure, de celles des autres pays européens. Même si l’on note de fortes disparités entre eux, on trouve aussi des envies communes. Un rapport établi par la commission européenne en 2004 confirme l’intérêt des téléspectateurs français pour des contenus «européens» dans les programmes. D’après cette étude, la demande dans ce domaine n’était pas satisfaite. D’autre part, les Français établissent aussi très clairement la séparation entre les contenus culturels qu’ils associent à des chaînes spécialisées ou au service public plutôt qu’aux contenus commerciaux des grandes chaînes généralistes privées.

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