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Réinventer une consommation éthique et durable

Écrit par David Vives, Epoch Times
29.05.2013
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  • Daniel et Denise Vuillon, maraîchers et créateurs de la première Amap (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) le 29 novembre 2011, au milieu de leur production de courges dans leur exploitation à Ollioules. (Anne-Christine Poujoulat/AFP)

«Les distributeurs sont hors-la-loi». Cette dernière déclaration en date de Jean-René Buisson, président de l’Association Nationale des Industries Alimentaires (Ania), a bousculé le secteur agroalimentaire. De quoi relancer le débat agité qui secoue le monde de la distribution depuis deux décennies. Les distributeurs ont qualifié le commentaire d’«acte de propagande scandaleux», avançant les difficultés justifiant la mauvaise santé du secteur agroalimentaire. L’enjeu du secteur n’est pas seulement comment nourrir les Français mais comment garantir la compétitivité et la croissance. Ces deux objectifs ne vont pas toujours dans le même sens. En 2012, selon l’AFP, «l’agroalimentaire a réalisé un chiffre d’affaires de 160,9 milliards d’euros, en hausse de 2,3% par rapport à 2011». Et pourtant, le secteur a supprimé près de 4.000 emplois la même année, et 5.000 en 2013. On a compté également 300 défaillances d’entreprises sur cette période.

L’argumentaire des grandes enseignes reprend souvent des termes comme la baisse du pouvoir d’achat, la disponibilité des produits, l’essor économique et la création d’emploi. Les hommes politiques ont également réagi: en 1950, c’est sous leur impulsion – non affichée à cette époque –, que la première grande surface Leclerc a ouvert ses portes. Aujourd’hui, les grand groupes français sont des acteurs économiques majeurs, et ouvrent des grandes surfaces aux quatre coins du globe. Les commerces de proximité tels qu’ils existaient il y a cinquante ans, ont ainsi disparu de notre horizon quotidien. Les lieux de vie se sont déplacés vers les grandes surfaces et les centres commerciaux. Malgré cela, les habitudes de consommation ne sont pas irréversibles car le secteur de l’agroalimentaire industriel montre des signes de faiblesse depuis quelques années.

La difficile équation entre l’éthique et le pouvoir d’achat

Le cœur des Français n’est pas toujours en accord avec leur porte-monnaie: d’après un sondage, 80% des Français sont contre l’élevage massif. Pourtant, 90% des Français consomment ce qu’ils trouvent au supermarché ou à l’hypermarché du coin.

Certaines questions éthiques ont émergé avec la connaissance par le grand public des conditions de production. On a découvert qu’un poulet d’élevage, qui est vendu à bas prix, atteint l’âge adulte en seulement 21 jours, par les techniques sophistiquées de production massive, là où la nature met trois mois.

On constate que les normes sociales définies par l’OMC sont bien insuffisantes pour encadrer les conditions de travail. Par ailleurs, la précarité dans le secteur agroalimentaire est générale. Les PME peuvent rarement s’intégrer aux grandes surfaces, car les conditions sont trop lourdes ; par exemple, il leur faudrait pouvoir payer les nombreuses commissions réclamées par les grands groupes, être en mesure de produire dans de très grandes quantités, etc. Les petits producteurs sont donc rarement sur les rayons des hypermarchés, il leur est difficile de se faire connaître et d’exister. Les circuits de commercialisation, en dehors du système actuel, n’ont pour la plupart, pas survécu et la vente directe des produits issus de l’agriculture biologique est difficile à mettre en place.

Le développement unilatéral de la grande distribution

Dans les années 50, alors que le marché noir avait sérieusement dérégulé le commerce et que l’inflation galopait, l’apparition du premier supermarché a changé la donne. Encouragé par le milieu politique et plébiscité par les Français, dans un premier temps, tout le monde a trouvé cela intéressant. «Les consommateurs payent moins cher, et cela permet également au monde agricole d’avoir des débouchés importants. Au lieu de vendre 2 ou 3 cagettes aux épiciers, ils se trouvent face à des clients qui achètent par palette entière, voire par camions. Côté industriel, la vente en gros est tout aussi profitable», explique Christian Jacquiau, économiste et auteur d’ouvrage sur les coulisses de la grande distribution.

Les centrales d’achat ont ensuite demandé une contribution de «référencement», pour permettre aux fournisseurs de figurer sur une liste de produits conservés dans les supermarchés. D’autre part, les produits non référencés sont tout simplement condamnés à ne pas exister en magasin. Les centrales ont encore demandé aux fournisseurs de prendre en charge de plus en plus de coûts, faisant jouer la concurrence à l’intérieur même des supermarchés et hypermarchés.

D’après Christian Jacquiau, «il a été trouvé 548 raisons de demander de l’argent supplémentaire au fournisseur, ce qu’on appelle les marges arrières». Ainsi, ces marges qui représentent des bénéfices nets pour les distributeurs vont de 30% à 50% du prix du produit. À cela s’ajoutent les multiples leviers à disposition des centrales d’achat pour faire payer le producteur.

À ce jour, la France est le pays possédant le plus d’enseignes de grandes surfaces au monde. Le modèle de grande distribution propre à notre pays est une référence en matière de développement économique. Ce système s’exporte très bien à l’étranger ainsi que la délocalisation de la production. Le marché mondial permet alors de faire jouer la concurrence, et de faire produire ailleurs que chez nous, là où les conditions d’exploitation sont encore moins onéreuses.

Un cadre juridique impropre à apaiser les antagonismes

Entre 1990 et 2010, malgré les efforts des pouvoirs publics, 80% des agriculteurs français ont disparu. L’agriculture de masse, dans notre pays, est subventionnée par la PAC. Or, ce sont les contribuables qui payent et qui permettent à ce système de fonctionner. Pour alimenter ce système protectionniste, les responsables politiques français tentent d’obtenir gain de cause à Bruxelles. Parallèlement à cela, la législation existante pour encadrer le secteur de l’agroalimentaire fait encore défaut.

L’ordonnance de 1986 légiférant sur la concurrence et le commerce a réglementé les rapports commerciaux. Les pouvoirs publics se sont néanmoins aperçus des dérives liées au monopole évident du secteur par cinq centrales d’achat. Devant la menace de la disparition des petits commerces, une législation spécifique a été adoptée pour endiguer la progression des grandes surfaces.

L’extension des grandes surfaces se trouvait alors entravée par une commission locale, mais avec possibilité de faire appel au niveau national. Michel-Edouard Leclerc, dans son ouvrage La Fronde des caddies, évoque les pratiques des distributeurs consistant à acheter en millions d’euros l’implantation des grandes surfaces au niveau régional. Cette pratique concernerait, d’après lui, une grande surface sur deux.

De 1993 – date où des parlementaires ont étudié le dossier de la grande distribution – à 2000, peu de choses ont changé.

«Les différentes modifications réglementaires semblent refléter davantage une volonté politique de satisfaire certains groupes de pression, qu’une véritable analyse économique de la situation», relève Marie-Laure Allain, chercheuse au CNRS et Claire Chambolle, dans une étude parue dans Revues Françaises d’économie en 2000. Depuis les années 2000, les lois votées n’ont abouti qu’à peu de résultat en termes de régulation et de pérennisation du secteur industriel, mais elles ont cependant renforcé les paradoxes.

D’après Jean-René Buisson, président de l’Ania, «on retrouve des méthodes inacceptables qui avaient disparu. Il est temps que les distributeurs prennent leurs responsabilités et acceptent de payer le juste prix des produits. S’ils n’en prennent pas conscience eux-mêmes, il va falloir les y contraindre». D’après lui, sont en cause les pouvoirs publics, et la loi de modernisation de l’économie (LME), qui prévoit dans son volet «concurrence» la possibilité de créer une discrimination tarifaire. Cette pratique commerciale, interdite depuis la fin des années 50, est entrée en vigueur en 2009. Alors que cette loi prévoyait la fin des marges arrière, les industriels ont dénoncé une «situation catastrophique» amenée par la guerre des prix.

Début mai 2013, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a décidé de rééquilibrer la balance. La loi Hamon permettra aux industriels d’imposer ou d’augmenter leurs tarifs de base, ainsi que leurs conditions générales de vente aux distributeurs. Ce dispositif, censé «redonner du pouvoir aux consommateurs» d’après le Premier ministre, diminuera celui des distributeurs qui devront répondre aux engagements des fournisseurs en s’engageant sur les quantités achetées ou la mise en avant de celles-ci.

L’intervention positive des pouvoirs publics

La volonté des pouvoirs publics de se saisir de la question de la souveraineté alimentaire peut changer la donne. Prenons un exemple venant de l’étranger.

À Toronto, la cherté et le long acheminement de la nourriture rend celle-ci difficilement disponible pour les populations défavorisées, contraintes à se rabattre sur la nourriture low-cost, généralement plus grasse et moins riche en nutriments. Pour lutter contre ce phénomène, la ville a mis à disposition des terrains situés dans des quartiers défavorisés. La logistique et la distribution sont subventionnées, et les produits sont vendus à prix coûtant. Grâce aux associations en place, notamment Foodshare, les fruits et légumes sont redevenus disponibles aux personnes les plus défavorisées.

La stratégie a réussi à redynamiser les rapports entre organisations publiques et privées, et même si les grandes compagnies règnent toujours sur l’approvisionnement en nourriture, les résultats sont là. «Depuis 25 ans, les grandes compagnies dominent le système. Mais on pourrait bien être en train d’assister à une reconfiguration du pouvoir qui ferait plus de place aux aspirations sociales», explique Harriet Friedmann, géographe à l’université de Toronto et membre du conseil des citoyens.

La souveraineté alimentaire est un concept plutôt novateur, évoqué en 1996 pour la première fois lors d’un Sommet de l’alimentation, et depuis, repris par divers courants altermondialistes. L’idée est qu’il existerait un droit international permettant aux États de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées aux populations.

Les nouveaux consommateurs en action

La succession des scandales sanitaires a été la raison principale pour une remise en question profonde de la part des populations sur leurs habitudes alimentaires. En 1970, au Japon, suite à la maladie de Minhata qui touchait les vaches, les mamans ont cherché du meilleur lait pour leurs enfants. Le concept de ferme solidaire, «Teikei», a émergé. Les populations locales se sont détournées des points de ventes habituels. Aux États-Unis, puis en France suite à la maladie de la vache folle, une poignée de paysans se sont rassemblés pour créer l’AMAP, en important le concept né au Japon.

L’Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP), qui regroupe 6 000 producteurs répartis dans toute la France, a créé un système tout à fait novateur. Le principe est que l’association vit grâce à l’engagement pendant un an de consommateurs sur la production d’une ferme, afin de permettre à un maraîcher de vivre dignement. Le producteur s’engage en retour à leur fournir, chaque semaine, des paniers de fruits et de légumes qu’il aura produits sur son terrain.

L’association fournit un cadre de développement au paysan pour garantir son revenu, et met l’accent sur le rapport direct avec le consommateur. Les avantages sont multiples. L’AMAP favorise l’installation des jeunes agriculteurs et leur fournit un revenu décent. Le consommateur devient alors un partenaire direct et l’agriculteur s’engage à respecter une charte déontologique et écologique.

«Beaucoup de consommateurs souhaitent devenir acteurs, beaucoup d’agriculteurs veulent continuer leur métier, beaucoup de jeunes souhaitent s’installer dans une agriculture de qualité [les jeunes agriculteurs représentent 80% des fermes en Amap actuellement en Provence]. La mise en relation des uns avec les autres, reste la préoccupation essentielle d’un mouvement qui est avant tout un mouvement de consommateurs», témoigne Daniel Vuillon, membre fondateur du projet AMAP. Pour la seule ville de Paris, il existe 60 points de distributions où l’on peut s’inscrire en AMAP et profiter de leurs services.

Pour en savoir plus:

Les coulisses de la grande distribution, de Christian Jacquiau (étude).

Les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Bilan et limites de trente ans de régulation, Marie-Laure Allain et Claire Chambolle, Revue Française d’Economie (2003), 17 (4), 169-212.

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