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Oblomov: un classique russe à la Comédie française

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
01.06.2013
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  • Marie-sophie Ferdane dans le rôle d’Olga est ravissante et nous touche comme elle touche Oblomov. (©Brigitte Enguérand/collection Comédie-Française)

Oblomov (1859), le classique d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov (1812-1891), symbole de la noblesse russe et de la Russie juste avant l’abolition du servage (1861), ne perd pas aujourd’hui de son actualité et de son aspect universel.

Oblomov était devenu un tel mythe qu’en 1859 le terme «oblomovisme» a été repris par le critique littéraire russe Nikolaï Dobrolyubov, dans son article «Qu’est-ce l’oblomovisme», pour designer le paradigme de la paresse et de l’apathie. D’ailleurs, Lénine qui disait relire Oblomov, a utilisé ce terme pour dénoncer les états d’âmes «antisoviétiques».

La petite histoire d’Oblomov propriétaire terrien

Oblomov, propriétaire terrien dans le petit village Oblomovka, habite depuis un moment à Saint-Pétersbourg, dans un appartement. La négligence du lieu est le reflet de son état d’âme. Il partage son appartement avec son serviteur Zakhar, formant ainsi le couple classique maître-valet – leurs relations intimes qui s’étalent sur plusieurs générations renforcent une symbiose et un chantage émotionnel.

Oblomov passe ses jours en robe de chambre sur sa méridienne. Cependant il n’est ni fatigué, ni malade, ni déprimé, juste accablé d’une profonde nostalgie. Il se languit de son enfance – son village natal, sa maison, ses forêts, ses plaines, la vie rurale –, ces instants où il était heureux et entouré d’amour.

Il refuse de vivre le présent, de participer à la vie, de prendre la moindre décision, ne serait-ce que la décision de se lever. S’agit-il d’un handicap, d’une paresse infranchissable, d’une peur paralysante, ou plutôt d’une philosophie : une perception qui ne voit dans toute intention humaine que la vanité des choses. Et, ce qui semble commencer par être tout d’abord un point faible devient finalement un atout. Car si dans un premier temps Oblomov se tourmente et se pose la question du pourquoi il n’est pas comme les autres, plus actif, dans un second temps, il se désintéressera totalement du monde illusoire.

Le déni d’une vie illusoire, la quête d’un sens

 Contrairement à Oblomov, son meilleur ami Stoltz, qui essaie de le faire participer à la vie, de travailler, de voyager, de fréquenter les gens, d’aimer, représente le monde du travail et celui de la logique occidentale. L’arrivée de Stoltz semble changer la vie d’Oblomov. Il est tenté un moment mais pas pour longtemps. Stoltz lui présente Olga dont la gentillesse égale la beauté.

Mais Oblomov renonce à sa passion pour la ravissante Olga au profit d’une vie calme auprès d’une femme simple qui lui prépare les mets de son enfance. Et une fois de plus, il refuse de participer à la course chimérique après la renommée et le gain, les composants d’un soi-disant amour propre : plus de dîners aux faux sourires où l’on n’échange «aucun mot authentique d’amitié». Car à quoi sert d’acquérir des biens. À quoi sert de jouer aux cartes, de fréquenter des gens qui n’éprouvent aucune bienveillance, aucune sympathie les uns envers les autres. Ne sont-ils pas aussi endormis que lui? À quoi sert une telle vie, questionne-t-il? Si nous vivons, il doit y avoir une raison, finit-il par dire.

La paresse d’Oblomov contient donc une dimension spirituelle.

Le contexte du roman Les slavophiles contre les occidentalistes

Ainsi Gontcharov met en opposition les deux courants principaux de son époque: les slavophiles et les occidentalistes. Les slavophiles incarnés par le personnage d’Oblomov éprouvaient une nostalgie du passé et souhaitaient le retour aux valeurs traditionnelles russes. Ils prônaient  deux aspects majeurs de ce qu’ils appelaient l’âme russe: la liberté intérieure d’un côté et la compassion provenant de la foi orthodoxe de l’autre. Les slavophiles rejetaient la modernisation, ainsi que le développement urbain auxquels ils préféraient la nature et le milieu rural.

À l’inverse d’Oblomov, Stoltz, toujours affairé et menant une vie sociale dynamique, représente les occidentalistes. La  rationalité et l’action portent un nom allemand. Les Allemands inspiraient plus que toute autre nationalité, le sentiment ambigu d’admiration et de ressentiment envers cette Europe qui «contaminait» la Russie du XVIIIe siècle.

Olga, comme Stoltz, est attirée par l’Europe. Ceci est incarné par l’air d’ouverture de la fameuse tragédie de l’opéra italien Norma (1831), qu’elle chante avec une voix divine, qui d’ailleurs séduit également Oblomov – La Casta Diva.

La mise en scène

Cette opposition prend une forme significative dans les rêves d’Oblomov sur son enfance à la campagne. La  mise en scène de Volodia Serre réussit parfaitement à les livrer. La vidéo (Thomas Rathier) du rêve projeté sur un écran, met en contraste le mouvement onirique avec la passivité d’Oblomov. Ainsi que l’arrivée de son ami Stoltz, ouvrant le toit et poussant les murs au sens littéral du mot.

  • Oblomov partage son appartement avec son serviteur Zakhar, formant ainsi le couple typique du maître-valet. (©Brigitte Enguérand/collection Comédie-Française)

Marie-Sophie Ferdane, dans le rôle d’Olga, est ravissante et nous touche comme elle touche Oblomov. Un grand mérite à Guillaume Gallienne qui tient la pièce quasiment seul. Ses dialogues avec Zakhar,Yves Gasc, sont habiles et comiques et nous font voyager dans cet univers de la noblesse russe. Sébastien Pouderoux dans le rôle de Stoltz, incarne bien le contraste entre l’homme de raison et d’action et celui du non-agir. Céline Samie et  Nicolas Lormeau nous projettent également dans ce monde de caractères russes.

En parlant d’Oblomov, il est presque impossible de ne pas mentionner le magnifique film de Nikita Mikhalkov et la scène de rêve qui entame et clôture le film Quelques jours dans la vie d’Oblomov (1979), où la caméra suit le petit Oblomov courant joyeusement dans les plaines de son enfance. Mikhalkov, slavophile connu, garde ainsi le contraste entre la beauté époustouflante de la nature et la laideur étouffante de la vie urbaine. Il exprime cette nostalgie d’une autre Russie authentique et grandiose.

Malgré ses caractéristiques profondément russes du XVIIIe siècle, Oblomov ne vieillit pas et reste universel. Et l’interrogation intérieure sur le sens de la vie et l’amour propre reste aussi actuelle à l’Occident qui continue son Rate Race, ou sa course folle, sans se poser et se demander «pourquoi?»

Oblomov de Gontcharov

Adaptation et mise en scène

de Volodia Serre.

Du 7 mai 2013 au 9 juin 2013

Vieux-Colombier

(Comédie-Française)

Tél. 01 44 39 87 00 et 01.

Durée du spectacle: 3h avec entracte

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