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Vers une instance de déontologie pour la presse française

Écrit par Caroline Chauvet, Epoch Times
19.06.2013
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  • Salle de presse de l’Agence France Presse. (AFP)

La presse est-elle assez libre et diversifiée? Est-ce que l'information donnée au public est de qualité? Les journalistes insistent-ils assez sur la vérification des faits? Quel rapport entretenir avec la publicité? Les débats sur la déontologie journalistique sont anciens, mais les questions se posent quotidiennement aux professionnels. S'il existe déjà des chartes ou encore des règlements intérieurs dans certains organes de presse, aucun code de déontologie commun n'est cependant reconnu par l'ensemble des journalistes. Cependant, les choses bougent du côté des médias en France : la création d'un conseil de déontologie n'est plus une utopie et se concrétise petit à petit.

Cela devient une «nécessité» pour les invités de la conférence qui s'est tenue jeudi 13 juin à la Sorbonne. Préalable aux Assises du journalisme 2013, qui se tiendront le 5, 6 et 7 novembre prochains à Metz, trois tables rondes successives ont tenté de faire avancer la réflexion sur la concrétisation d'un conseil de déontologie, rassemblant les points de vue de journalistes, d'éditorialistes, d'hommes politiques et de membres de syndicats et d'associations. La conférence, intitulée : «Créer une instance de déontologie, comment et pourquoi» était organisée par «Journalisme et Citoyenneté» et par l'Association de Préfiguration d'un Conseil de Presse (APCP).

LES ENJEUX

Un tableau peu glorieux de la presse s'est dessiné à travers les discours alarmistes des intervenants, tous fervents défenseurs de la création d'une instance de déontologie journalistique en France. «L'information s'est dégradée au cours de ces dix dernières années», avertit Dominique Pradalié, secrétaire général et porte-parole du Syndicat National des Journalistes (SNJ). Selon les invités présents lors de la conférence, la qualité de l'information ainsi que l'activité citoyenne des journalistes sont en danger. La création d'une instance de déontologie répondrait à une nécessité de traiter les divers enjeux et problématiques qui se présentent au champ médiatique aujourd'hui. Celle-ci permettrait de résister à ce que ses défenseurs nomment les «dérives» de la presse et de rétablir une «information de qualité».

Les nouvelles règles du jeu

Depuis une dizaine d'années, la presse connaît de fortes mutations. L'arrivée d'Internet et la multiplication des supports d'où l'on peut y accéder a profondément modifié les pratiques et les modes de consommation de l’information, et fait apparaître de nouveaux questionnements. «Il y a une vraie difficulté», confie Michel Delberghe, membre du Bureau national de la CFDT Journalistes, avant d'expliquer qu'avec l'augmentation des nouveaux médias, les règles traditionnelles sont bouleversées : effets de concurrence par l'arrivée de multiples médias en ligne, rythme accéléré de production de l'information, etc. Les journaux ont souvent du mal à s'adapter au bimédia : l'édition sur papier et en ligne.

La question d’une information payante ou gratuite et de la recette économique fait également débat, et se surajoute à la crise de la presse papier. Une instance de déontologie permettrait de tendre vers des pratiques communes et codifiées de la presse en ligne.

La liberté de la presse toujours menacée

Une des préoccupations déontologiques principales concerne l'indépendance du journalisme. La censure et l'autocensure s'opèrent rapidement dès que la connivence avec les sources devient trop forte. La déontologie journalistique prône au contraire le détachement de la presse par rapport à ses sources, sans pour autant exclure le journalisme d'opinion défini par la ligne éditoriale de chaque rédaction.

Les intervenants du débat ont insisté sur la nécessité d'une indépendance par rapport au pôle commercial et au financement du journal. «La profession a évolué : la ligne jaune séparant les services de la rédaction et du marketing n'existe quasiment plus», signale Dominique Pradalié, secrétaire général et porte-parole du SNJ. Les entreprises de presse sont vendues puis revendues : les directions sont donc moins indépendantes.

Le pluralisme de la presse en danger

La concentration de l'information par certains groupes de presse pose également des problèmes déontologiques ont évoqué quelques intervenants de la conférence. Une diversité des titres et des groupes de presse permettrait une plus grande diversité de l'information. Récemment, le Crédit Mutuel, via le groupe Ebra, déjà détenteur des Dernières Nouvelles d'Alsace  (DNA), a racheté le titre L'Alsace. En a découlé notamment une mutualisation des pages nationales et internationales, rappelle Maurice Botbol, président du syndicat de la presse d'information en ligne. Il pointe la nécessité d'un pluralisme de la presse qui serait soutenu par l'État.

Des rapports ambigus avec la publicité

L'argent est le nerf de la guerre. Dans cette même recherche de financement, les intervenants ont pointé du doigt les liens parfois ambigus entre les médias et la publicité. Le «publireportage» est, déontologiquement parlant, peu acceptable. Il s'agit pourtant d'une pratique courante pour certains organes de presse. Un code de déontologie commun permettrait, selon Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, de résister aux pressions des agences et annonceurs. Cela établirait également une égalité entre les titres.

Faire vendre, à tout prix

«La course à l'audience et les pratiques liées à celle-ci sont mortifères pour la profession», explique Maurice Botbol en connaissance de cause. La course à l'audimat, au lectorat ou au nombre de clics sur Internet peut en effet avoir tendance à privilégier le sensationnel, le people, le fait divers,  sur une information «de qualité», plus citoyenne, davantage liée à l'intérêt général et non pas à des logiques commerciales.

Les médias ont mauvaise presse

«La réputation de la presse est exécrable», constate Laurent Joffrin. «Les journalistes sont en quête de crédibilité», signale Yves Agnès, président de l'Association pour la Préfiguration d'un Conseil de Presse (APCP). «Le public a le droit, également, à une information fiable», a-t-elle poursuivi. La déontologie journalistique voudrait rappeler l'objectif civique du journaliste, qui est de produire une information de qualité. Laurent Joffrin joint l'idéologie à l'esprit pratique, en ajoutant que la dévalorisation actuelle des journaux se répercute au niveau commercial, par une baisse de leurs achats. Un argument lancé aux éditeurs et aux directeurs de journaux.

QUELS ANTÉCÉDENTS?

Quelques chartes existantes

Les réflexions sur la déontologie du journalisme datent du début du siècle. Dès 1918, le Syndicat National des Journalistes publie la Charte des devoirs professionnels des journalistes français, qui sera révisée en 1938. En 1971, la Charte de Munich est reconnue par l'ensemble des syndicats du journalisme en France et adoptée par la Fédération européenne des journalistes.

De même, certaines entreprises possèdent leur propre charte de déontologie en interne, comme Ouest France, France Télévisions ou Le Monde, le Nouvel Observateur ou encore Libération.

«On a des points de référence en matière de déontologie», souligne Michel Delberghe, membre du bureau national de la CFDT Journalistes. Les chartes des droits et des devoirs des journalistes, «qui ont au moins le mérite d'exister», serviraient de base à la nouvelle instance de déontologie.

Un débat à l'ordre du jour

Petit à petit, l'idée d'une instance déontologique s'impose. En 2008 ont eu lieu les États Généraux de la Presse, avec trois recommandations : les souhaits communs de créer un code de déontologie, de mettre en place une formation renforcée à ce code de déontologie et de voir la concrétisation d'un observatoire. D'autre part, la critique des médias se fait de plus en plus acerbe, notamment à travers les réseaux sociaux et les sites Internet : les journalistes ne peuvent rester à observer leur image se dégrader. Enfin, en Europe, la déontologie journalistique est à l'ordre du jour. Un commissaire européen a demandé un rapport, qui a été remis le 21 janvier 2013. Il en a découlé une recommandation : que chaque pays puisse être équipé d'un conseil de presse. Enfin, le conseil serait soutenu par la majorité. Le PS s'est engagé à voir naître un conseil de presse en France, comme l'a rappelé Philippe Buisson, maire socialiste de Libourne, secrétaire national aux médias.

L'exemple de l'étranger

D'autres pays possèdent déjà de telles instances qui servent de repère au projet d'un conseil français. Invité à la conférence, André Linard présente le Conseil de Déontologie journalistique de Belgique francophone et germanophone dont il est le secrétaire général. Le Conseil de déontologie belge existe depuis 2009 et regroupe 30 % de journalistes, 30 % d'éditeurs, 30 % de la société civile et 10 % de rédacteurs en chef (catégorie à part en Belgique). Il est composé d'une structure juridique et d'une opérationnelle, et possède un rôle législatif ou un rôle préventif.

LES CONCLUSIONS DE LA CONFÉRENCE SUR LE FONCTIONNEMENT D'UN CONSEIL DE PRESSE FRANÇAIS

Un meilleur rapport au public

Consensus parmi les invités du débat : l'instance déontologique viserait une meilleure prise en compte des revendications du public et de son droit d'être correctement informé. Charles-Henri Dubail, président du syndicat de la presse professionnelle prône une meilleure traçabilité, en réponse à un «consommateur» (sic) plus exigeant. Il faudrait que celui-ci soit au courant de «qui parle, qui on est, qui finance, quelles sont les règles qu'un support exige», explique le journaliste. Maurice Botbol ajoute que le public devrait savoir «comment on gère nos commentaires, comment nous nous comportons avec nos éditeurs».

L'instance viserait à «créer ou recréer des liens entre citoyens en faiseurs d'information», souligne Marcel Desvergne, président de l'Association des lecteurs internautes et mobinautes de Sud-Ouest (ALIMSO). Il existe, poursuit-il, un «besoin de participation».

Le conseil comporterait ainsi une partie de représentants de la société civile en son sein. «Un gendarme sans matraque» : c'est ainsi qu'André Linard, invité à la conférence désigne le Conseil de Déontologie journalistique de Belgique francophone et germanophone dont il est le secrétaire général. Le Conseil de déontologie belge est composé d'une structure juridique et d'une opérationnelle. Il possède un rôle législatif ou un rôle préventif. Il n'agit pas tel un tribunal, mais la publicité de la faute baisse de crédibilité du journaliste.

La question des sanctions

L'opposition à un conseil de presse de la part d'éditeurs ou de directeurs de journaux est souvent basée sur la crainte de voir apparaître un organe vichyste, un tribunal qui régenterait leurs actions, ce qui serait «la meilleure manière de tuer le projet» selon Laurent Joffrin. «Le but, c'est d'abord de se débarrasser des abus criants», poursuit le directeur du Nouvel Observateur. L'instance permettrait de responsabiliser la presse, tout en lui donnant des repères, sans pour autant agir de façon contraignante, en sanctionnant tout manquement au code.

À un journaliste de Télérama inquiet : «ne peut-on pas faire d'erreurs?», Dominique Pradalié, secrétaire générale et porte-parole du SNJ répond que la déontologie représenterait plutôt un outil pédagogique, empêchant les récidives. Charles-Henri Dubail rappelle qu'aujourd'hui, en matière de déontologie, le régulateur est le juge. Le conseil risquerait d'empiéter sur son territoire en voulant s'attribuer les fonctions de tribunal.

Le conseil ne pourra pas faire des miracles

Les intervenants sont réalistes : la création d'une instance de déontologie journalistique n'impliquera pas une éradication des «dérives» et des erreurs de la presse. Concluant la conférence, Loïc Hervouet, ancien médiateur et journaliste à RFI a rappelé qu'il ne s'agit pas de «la solution», mais d'un élément de réponse à la crise de la presse.

Encore du pain sur la planche

Si l'horizon d'une instance de déontologie est désormais visible, la mise en place de celle-ci est tout de même loin de se concrétiser. Pierre Laurent, secrétaire général du PCF–Front de Gauche, conserve quelques interrogations : qui devrait la composer et avec quels pouvoirs? Qui dépose des plaintes? De quelle nature? À qui?

De même, le projet d'un conseil de déontologie devra encore traverser des «passages obligés», selon les mots de Loïc Hervouet : il faudra fracturer une partie de «l'opposition larvée» politique et patronale et – plus compliqué selon le journaliste – établir un dialogue entre éditeurs et syndicats de journalistes sur le sujet.

Pour en savoir davantage :

http://www.journalisme.com/

 

 

 

   

 

   

 

   

 

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