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Le miracle économique de la Turquie en péril

Le Premier ministre turc soutient le droit à la dissidence dans d’autres pays, mais pas sur son territoire

Écrit par Dilip Hiro
26.06.2013
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La stabilité politique de la Turquie du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son intégration dans l’économie mondialisée a contribué à transformer le pays en une puissance régionale en Asie Centrale. Mais leurs relations avec le monde semblent aujourd’hui être remises en cause par le style de plus en plus autoritaire d’Erdogan. Des protestations, menées par de jeunes citadins turcs, donnent à réfléchir aux investisseurs étrangers qui ont contribué à la naissance de l’essor économique de la Turquie.

Le Parti de la Justice et du Développement (Adalat ve Kalk’nma Partisi ou AKP) dirigé par Erdogan a peut-être passé son zénith. Les manifestations, causant plus de 5 000 blessés et l’arrestation de plus de 900 manifestants, ont révélé une faille inquiétante dans la manière de diriger du Premier ministre. Gonflé par ses succès dans le pays et dans la région, il a échoué à saisir l’essence du comportement démocratique et de la puissance des médias sociaux dans un pays de 74 millions d’habitants avec 66 millions d’abonnés au téléphone portable et 32 millions d’abonnements à Internet.

Aux premiers jours du conflit, il a commencé à dénoncer les manifestants comme des vandales, des ivrognes, et des extrémistes, se présentant comme l’incarnation de la «volonté nationale». Il a également accusé les groupes marginaux de «prendre en otage» la manifestation, de tromper «les citoyens» et a averti: «Nous ne permettrons aucune attaque sur la volonté nationale, quelle que soit la façon dont elle pourrait être présentée et peu importe qui la soutiendrait».

À l’origine, une petite manifestation écologiste contre la transformation du seul parc public du centre d’Istanbul en un centre commercial et culturel, qui s’est répandue comme une traînée de poudre à des manifestations antigouvernementales dans plus de 70 centres urbains. Le démarrage du projet de réaménagement avait coïncidé avec la décision soudaine du gouvernement d’interdire la vente d’alcool entre 22 h 00 et 6 h 00. Erdogan, qui ne fume pas et ne boit jamais d’alcool, a été le principal instigateur de cette restriction.

La montée de l’AKP

En novembre 2002, l’AKP islamiste, remportant près des deux tiers des sièges au Parlement, a hérité d’une économie avec une croissance nulle. Le parti socialement conservateur a adopté des politiques néolibérales, ouvrant l’économie aux marchés financiers mondiaux et privatisant les biens de l’État. Entre 2003 et 2007, la croissance du PIB sans inflation réelle se situait entre 4,5 et 8,2% par an.

Mais le succès du Parti à l’élection générale de 2007 n’a pas réussi à protéger la Turquie contre les effets néfastes de la récession de 2008-2009. Au moment où les Turcs sont allés aux urnes en juin 2011, cependant, l’économie fredonnait à 8,5% de croissance. La reprise a été le résultat du gouvernement Erdogan. Il a assoupli la réglementation sur les entreprises et les start-ups, et a supprimé les restrictions de visas pour les Russes afin de stimuler le tourisme. Avec un record de 50% de votes populaires, l’AKP avait remporté 315 des 550 sièges parlementaires. Cette année, la Turquie est devenue la sixième destination touristique la plus populaire, avec 31 millions de touristes étrangers soutenant une industrie de 23 milliards d’euros.

Dans l’ensemble, l’économie en plein essor a été la toile de fond sur laquelle Erdogan a engrangé plusieurs succès diplomatiques. En mai 2010, il a soutenu la flottille de la Liberté de Gaza, organisée principalement par une ONG turque pour forcer le blocus israélo-égyptien de la bande de Gaza. Elle a été attaquée par l’armée israélienne et a conduit à la mort de neuf Turcs. Furieux, Erdogan a rétrogradé ses relations diplomatiques avec Israël. Cela a augmenté sa cote parmi les Palestiniens et les Arabes au détriment du président Hosni Moubarak. Il a continué à soutenir la tentative de l’Autorité palestinienne à assurer le statut d’État souverain par les Nations unies pour la Palestine.

Au début des manifestations anti-Moubarak en janvier 2011, il a hésité à prendre une position ferme contre le dirigeant égyptien, mais a très vite changé de tactique et a fait un discours émouvant appelant à la démission de Moubarak. Après que des appels à démissionner au colonel Mouammar Kadhafi ont échoué, il a signé un accord avec l’OTAN lui permettant de prendre le contrôle de la zone d’exclusion aérienne en Libye en mars 2011.

«La liberté, la démocratie et les droits de l’homme doivent être un slogan uni pour l’avenir de notre peuple», a déclaré Erdogan dans son discours aux ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe en septembre 2011.

Le plaidoyer sur la démocratie du chef de file de l’AKP a facilité le chemin des Frères musulmans en Égypte et le mouvement Ennahda, en Tunisie pour participer légalement à la politique. Le succès électoral de ces partis respectivement au Caire et à Tunis a conduit à des relations cordiales avec Ankara, renforçant encore l’influence de la Turquie. Dans le cas de la guerre civile syrienne, Istanbul est apparue comme la principale base de l’opposition syrienne. Et la frontière turco-syrienne est devenue la principale voie d’approvisionnement en armes et munitions aux rebelles.

Dans le pays, à travers une série de manœuvres bien orchestrées, Erdogan a amené l’armée sous le contrôle civil, ce qui a changé les bases d’une république vieille de 70 ans. En utilisant le pouvoir législatif, l’AKP a modifié la Constitution pour que les plus hauts magistrats et les procureurs de l’État représentent la société plutôt que ce soit des groupes d’élite ultra-laïques.

Non moins important était l’accord de paix trouvé en mars avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, le Partiya Karkaren-e Kurdistan, ou PKK, qui luttait depuis 1984 avec les armes pour un État indépendant et une région autonome au sein de la Turquie.

Vers une autocratie

Ces réalisations remarquables, la victoire de trois élections générales et l’effondrement virtuel du Parti populaire républicain, sont apparemment montés à la tête d’Erdogan et cela l’a rendu trop confiant au point d’agir comme un autocrate.

Erdogan a omis de remarquer l’énorme croissance des médias sociaux et son pouvoir de mobiliser les individus autour d’un but spécifique, saper la censure imposée ou adoptée volontairement par les médias établis. «Il y a maintenant une menace qui est appelé Twitter», a-t-il déclaré le 3 juin. «Les meilleurs exemples de mensonges peuvent être trouvés là. Pour moi, les médias sociaux sont la pire menace pour la société».

Il ne semblait pas conscient que la Turquie a eu l’une des plus rapides croissances démographiques des utilisateurs de médias sociaux de la planète, leur utilisation ayant triplé ces dernières années. Une opinion contraire a été pourtant donnée par Taha Akyol, chroniqueur et personnalité de la télévision: «Les médias sociaux sont la voix du pluralisme.»

«Si nous acceptons la modernité et la démocratie, nous devons accepter les médias sociaux», a-t-il ajouté.

Erdogan était tout aussi provocant face à la chute de 22% de la Bourse d’Istanbul depuis le début des manifestations. «Le lobby des taux d’intérêt pense qu’ils peuvent nous menacer en entrant dans des spéculations à la Bourse», a-t-il déclaré. «Ils doivent savoir que nous ne les laisserons pas abuser de la richesse de la nation.»

Pour stimuler la timide croissance économique de 2,5% l’année dernière, Erdogan, ancien maire d’Istanbul, est venu avec un projet d’infrastructures de 60 milliards d’euros. Transformer le parc Gezi au centre d’Istanbul en un complexe polyvalent faisait partie de ce projet. Il s’agissait aussi de construire le troisième pont sur le Bosphore et un canal artificiel pour relier la mer Noire et la mer Marmara. Il n’y a pas eu d’audiences publiques sur ces propositions ou de débats dans les médias.

Pendant ce temps, les taux d’intérêt intérieurs se sont élevés et l’inflation de 7% a soulevé la question de la valeur de la livre turque, déclenchant alors la demande de biens étrangers. Cela rend la prospérité turque dépendante des investisseurs spéculatifs de l’étranger. Cette hot money a contribué à 90 milliards d’euros depuis le début de l’année, avec aussi 30 milliards de dollars venant de prêts étrangers dans les banques turques – les sommes devant atteindre 150 milliards d’euros par an et la Turquie en ayant besoin pour financer son déficit de la balance courante et sa dette de 312 milliards d’euros.

«L’afflux de capitaux étrangers et la croissance a donné la perception de la stabilité», a remarqué Ergin Yildizoglu, chroniqueur pour le quotidien Cumhuriyet. «Maintenant que la stabilité est en question, l’afflux de ces capitaux est en question, et cela place le "miracle économique" dans le doute.»

La porte ouverte sur le monde que M. Erdogan a utilisée pour augmenter le PIB de la Turquie est maintenant une menace à sa nouvelle façon de gouverner.

Dilip Hiro est l’auteur de Inside Central Asia: A Political and Cultural History of Uzbekistan, Turkmenistan, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Tajikistan, Turkey and Iran (Overlook-Duckworth, New York et Londres). Copyright © 2013, Yale Center for the Study of Globalization, Yale University.

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