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Le choc de la culture face au libre-échange

Défendue par la France, l’«exception culturelle» appliquée à l’audiovisuel en vue de l’accord bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis divise toujours

Écrit par Caroline Chauvet
26.06.2013
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Non sans peine, la France a, pour le moment, réussi à imposer ses conditions: l’audiovisuel ne fera pas partie du gigantesque accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis – le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) – dont le coup d’envoi pour les négociations a été donné en mars dernier. D’abord au niveau européen, puis face aux États-Unis, l’«exception culturelle» est devenue un sujet de discorde. Vendredi 14 juin, l’Hexagone a fini par faire accepter à la Commission européenne, sous la menace d’un véto, que le mandat confié à cette dernière pour les négociations sur le TTIP exclue l’audiovisuel. La ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, a obtenu que le cinéma, la télévision, la radio, la musique, y compris sur Internet, soient séparés de l’accord qui sera négocié par la Commission.

L’exception culturelle française fonctionne sur un système de subventions étatiques. Concernant la production cinématographique, aucun autre pays européen ne connaît une si forte prégnance de l’État. Ce financement permet également l’organisation des festivals de Cannes, de Clermont-Ferrand pour le court-métrage ou d’Annecy pour les films d’animation.

Le débat sur la place de la culture dans le marché n’est pas nouveau. Paris avait défendu, en 1994, lors des négociations de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade, GATT), la thèse de l’exception culturelle. La radio allemande Deutsche Welle rappelle que la France et les États-Unis se disputent depuis plus de cent ans, afin de savoir si la production des films relève de l’industrie, ou est au contraire, un bien culturel, comme le pense la France. Questions de vision économique différente, mais surtout d’identité: l’Hexagone est historiquement attaché à l’exception culturelle face à une Amérique plus libérale, et dont la culture inonde déjà la planète entière. Pour la France, la culture n’est pas une marchandise comme les autres, comme l’a rappelé Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication, dans une tribune du Monde.

La France veut préserver son soft-power

Les chiffres, en ce sens, sont louables. Elle se classe seconde derrière les États-Unis en terme d’exportations de films. En 2012, les films français à l’étranger ont également attiré 140 millions d’entrées et généré 875 millions d’euros de recettes selon un bilan du Figaro de janvier 2013. En Europe, l’exception culturelle «fait partie, avec le siège du Parlement à Strasbourg et la politique agricole commune, des constantes politiques françaises», explique un diplomate français à Libération.

Mais, plus récemment, avec l’exponentielle montée de l’industrie on-line, tels Google, YouTube, Apple ou Facebook, Paris avance l’argument que l’Europe se protégerait de ces géants américains en adoptant le principe de l’exception culturelle.

Des soutiens de poids

Acte symbolique mais représentatif et de dimension internationale, plusieurs réalisateurs ont signé une pétition de soutien à la défense de l’exception culturelle européenne. «Nous nous battrons pour que l’Europe continue à écrire son histoire par l’esprit, par la culture, par un regard divers sur soi et sur le monde, afin que les citoyens puissent apporter des réponses profondes et complexes aux défis que notre époque soulève», écrivent les auteurs de la pétition en ligne. Parmi les artistes signataires, de grands noms comme Costa-Gavras, Steven Spielberg, Michael Haneke, le Danois Thomas Vinterberg, les Français Michel Hazanavicius (The Artist), Eric Toledano et Olivier Nakache (Intouchables), l’Espagnol Pedro Almodovar, les Britanniques Ken Loach, Mike Leigh et Stephen Frears et même l’Américain David Lynch.

Par ailleurs, la politique intérieure française est marquée d’un esprit de consensus. L’opposition UMP approuve ainsi l’inclusion de l’exception culturelle pour l’audiovisuel dans le mandat donné à la Commission pour l’accord TTIP. Le président du parti, Jean-François Copé, rappelle sur le site officiel de l’UMP l’engagement de l’Unesco qui reconnaît «la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens».

Au niveau de l’UE, le Parlement européen a exprimé son soutien, ainsi qu’une quinzaine de pays. Pourtant, la détermination des pays européens en faveur de l’exception culturelle est assez faible (sans compter les opposants) excepté pour la Pologne, l’Italie, la Belgique, la Roumanie et l’Autriche.

Des accusations de protectionnisme

Pour les Américains, c’est l’idée même de subventions nationales qui relève de l’inconcevable. De nombreux journaux n’ont pas manqué de railler la France en ce sens. La vision d’une vieille patrie protectionniste et gaulliste se dessine au cours de la majorité de leurs descriptions.

Selon les États-Unis et d’autres partisans d’un libéralisme accru en matière d’audiovisuel, la diversité des productions ne serait pas en danger, même si celles-ci étaient considérées davantage comme des marchandises. Mais, comme souvent, l’éternel débat entre intervention étatique et libre-échange où s’ajoutent des considérations politiques, ne peut cependant être tranché.

De même, l’exception culturelle a déjà pu être critiquée en France pour ses subventions jugées excessives pour certains, ou mal gérées. «Le problème du cinéma français, c’est que son financement très généreux a provoqué à la fois une envolée des coûts et une surproduction. Le coût moyen d’un film français (5,4 millions d’euros) est anormal. Et les recettes des super-productions à plus de 10 millions ne couvrent plus leurs budgets: Les Seigneurs, Pamela Rose, Stars 80, Populaire, ont tous perdu de l’argent», a-t-on entendu le 8 janvier dernier sur France Culture dans la chronique de Brice Couturier.

Avant d’affronter l’allié américain, Paris a octroyé un mandat à la Commission européenne. Mais son président, José Manuel Barroso, s’est déclaré fermement opposé à la politique française. S’exprimant dans une interview au New York Times, il déclare: «Cela fait partie de cet état d’esprit sous-jacent anti-mondialisation que je considère comme complètement réactionnaire». Mais La Croix laisse entrevoir une motivation plus pragmatique de M. Barroso. Selon le journal, des soupçons à Bruxelles évoquent les ambitions du président, dont la proximité avec les positions américaines serait à relier avec son espoir d’intégrer un poste prestigieux à l’ONU ou à l’Otan après la fin de son mandat européen en octobre 2014.

Enfin, certains pays européens, tels le Royaume-Uni, se rangent plutôt du côté du pays outre-Atlantique, tandis que l’Allemagne possède une position peu claire sur le sujet. Les deux puissances européennes ont cependant tenté de faire pression sur Paris pour faire pencher la France du côté de Barack Obama après que celui-ci a exprimé son mécontentement.

«L’enjeu stratégique est ailleurs»

L’inclusion ou non du secteur audiovisuel dans le TTIP n’est qu’un point spécifique du vaste et très ambitieux accord de libre-échange, dont les négociations devraient reprendre en juillet prochain à Washington et se terminer 18 mois plus tard. Comme le remarque en effet un fonctionnaire européen dans Libération, «l’enjeu stratégique du Transatlantic Trade and Investment Partnership est ailleurs».

Le but pour l’Union européenne et pour les États-Unis est de renforcer leurs liens commerciaux. Les États-Unis représentent déjà le premier partenaire commercial de l’Europe, le premier investisseur en France, et aussi le premier client de la France hors Europe. Une étude réalisée par le centre de recherche en économie basé à Londres (Centre for Economic Policy Research)  et publiée mi-mars, établit que l’accord rapporterait environ 119 milliards d’euros par an à l’UE et environ 95 milliards d’euros par an pour les États-Unis. Selon les estimations, en 2011, les échanges commerciaux entre l’UE et les États-Unis se sont élevés à près de 449 milliards d’euros en 2012, soit 381 milliards d’euros d’exportations et 265 milliards d’importations. La mise en place du TTIP possède également pour objectif de créer des emplois.

À la suite du sommet européen à Bruxelles mi-mars, François Hollande avait déclaré être en faveur de l’ouverture de négociations «pour lutter contre un certain nombre de barrières douanières ou de freins aux échanges, de façon à favoriser la croissance».

Mais pour Libération, il ne s’agit pas d’abaisser des droits de douane déjà suffisamment bas (4% en moyenne), mais d’éliminer les «obstacles non tarifaires» aux échanges. Certaines normes (environnementales, sanitaires, phytosanitaires), les lois protégeant les consommateurs ou les données personnelles, les droits d’auteur, le droit bancaire et financier, l’accès aux marchés publics, etc. seraient touchés. La société civile a toutefois permis d’éviter des accords commerciaux sur les OGM ou encore sur le bœuf aux hormones.

La frilosité de la plupart des pays de l’UE, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne face aux revendications de Paris s’explique par la peur de voir une Europe divisée – donc affaiblie – face à la puissance américaine.

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