Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Tombouctou dans la tourmente : les Maliens attendent le retour de l'état

Écrit par IRIN News
26.06.2013
| A-/A+

  • Vue d'une région du Nord Mali - Tombouctou, comme une grande partie du Nord du Mali, peine à retrouver son équilibre économique, social et culturel après des mois d'occupation islamiste (Photo IRIN)

Près de cinq mois après avoir été libérée des combattants islamistes par les troupes françaises, l’antique cité désertique de Tombouctou, comme presque tout le Nord-Mali, peine à se remettre des effets de ces neuf mois d’occupation et reste confrontée à des problèmes de sécurité et de développement plus endémiques.

Peu d’éléments essentiels au bon fonctionnement d’une ville — comme l’électricité, les combustibles, les banques, les marchés et les services publics de base tels qu’une mairie ou un tribunal — sont complètement rétablis.

D’autres problèmes moins visibles, mais tout aussi pernicieux perturbent Tombouctou, notamment la dégradation de la base même d’un tissu citoyen réputé depuis toujours pour son melting-pot culturel et ethnique en raison de la situation géographique de la ville, au carrefour du Sahara. Le Mali est également confronté à une crise chronique de sécurité alimentaire régionale qui menace de catastrophe des millions d’habitants chaque fois que la pluie tombe.

Ces problèmes et bien d’autres sont abordés dans le dernier webdocumentaire de l'IRIN : "Tombouctou dans la tourmente — Le Nord-Mali après l’occupation."

« Tombouctou est à nouveau libre, mais c’est une ville où l’économie est anéantie, une ville où il n’y a plus rien, où tout est perdu, à part l’espoir, » dit Hallé Ousmane, maire de la ville.

« 80 % des fonctionnaires sont absents. Même s’ils étaient là, leurs bureaux sont vides. Le matériel a disparu, il n’y a plus d’ordinateurs, plus rien, pas même une chaise. Il est impossible de travailler, », ajoute-t-il.

L’électricité à Tombouctou ne fonctionne que de 19h à minuit. Il n’y a pas de stations-service : l’essence est vendue dans des bouteilles récupérées, sur des étals en bord de route.

Début 2012, les séparatistes touaregs ont lancé une offensive dans le Nord et pris le contrôle d’une grande partie du pays. Après un coup d’état militaire en mars dernier, les séparatistes ont été écartés par plusieurs mouvements islamistes qui se sont installés dans des villes comme Tombouctou. De nombreux habitants, dont la plupart des fonctionnaires, ont alors fui.

Les occupants ont imposé leur propre interprétation du droit islamique, rejetée par les habitants soufis de Tombouctou. Les femmes devaient porter le voile, les hommes se faire pousser la barbe et les personnes de sexe opposé ne devaient pas se fréquenter en-dehors du mariage. Les contrevenants étaient fouettés en public ou enfermés dans des cellules surpeuplées.

« Nous vivions dans la peur. Des hommes armés sillonnaient les rues. Personne ne savait ce qui allait se passer d’un jour à l’autre, » explique Seydou Baba Kounta, guide touristique professionnel.

« Ils coupaient les mains et les pieds des gens. Les écoles étaient abandonnées [...] Chaque jour, des gens fuyaient la ville en camion, en bateau ou en 4x4, » complète-t-il.

Selon Patrick David, analyste de la sécurité alimentaire régionale du département Alimentation et agriculture de l’ONU, l’insécurité croissante au Nord-Mali a eu de multiples conséquences sur la population : perte ou vol de bétail, licenciements, hausse des prix et fermeture des marchés, entre autres.

« Les gens avaient beaucoup de mal à se procurer des produits alimentaires de base à cause des pénuries d’approvisionnement et des hausses de prix. La mortalité du bétail était supérieure à la normale. De nombreux éleveurs ont fui vers la Mauritanie. Même maintenant, les marchés aux bestiaux sont mal approvisionnés, » a-t-il dit.

Dans le Nord-Mali, environ 1,3 million de personnes ont actuellement besoin d’une aide alimentaire d’urgence.

Tissu social déchiré

Lorsque les forces françaises ont chassé les islamistes de leurs bastions en janvier 2012, de nombreux habitants arabes et touaregs sont eux aussi partis, craignant d’être soupçonnés de liens avec les occupants et de subir des représailles.

« Nous avons observé un déchirement du tissu social dans des lieux comme Tombouctou. Les communautés arabes et touarègues ont quitté ces endroits. Une grande partie de l’économie reposait sur ces groupes avant la guerre [...] depuis des milliers d’années. Mais maintenant, ils sont absents, alors le moteur économique du Nord s’est en grande partie arrêté, »,explique Fernando Arroyo, directeur du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies au Mali.

Pour Ousmane Maïga, revenu depuis peu à Tombouctou, « il revient maintenant au gouvernement d’instaurer la paix et de réconcilier les différentes communautés. »

La commission pour le dialogue et la réconciliation, nouvellement formée, sera chargée de cette tâche.

« Nous allons passer beaucoup de temps à écouter, écouter l’ensemble de la population, » confie Mohamed Salia Sokona, président de la commission.

« Nombreux sont ceux qui pensent qu’il ne s’agit que d’une réconciliation entre le Nord et le Sud. En réalité, elle concerne tout le monde. C’est une réconciliation inter- et intracommunautaire, entre le Nord et le Sud, mais également entre les différents habitants du Nord et entre les différents habitants du Sud, » explique-t-il.

« Il s’agit de l’ensemble du Mali, car la crise ne concerne pas seulement la rébellion dans le Nord. Il y a également eu une crise institutionnelle dans le Sud qui a engendré des divisions auxquelles il faut mettre un terme, » ajoute-t-il.

La perspective de nouvelles élections fin juillet a divisé encore davantage la population.

La gravité et la complexité des difficultés relatives à la sécurité et à la gouvernance sont soulignées par l’actuel déploiement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), mandatée pour protéger les civils, surveiller les atteintes aux droits de l’homme, créer les conditions indispensables à l’acheminement de l’aide humanitaire et au retour des personnes déplacées et contribuer à étendre l’autorité de l’état.

Si l’attention de la communauté internationale s’est concentrée ces derniers temps sur les activités des islamistes dans le Nord, de nombreux analystes pensent que le jihad et le terrorisme sont moins responsables de l’instabilité chronique au Mali que les défaillances en matière de gouvernance, la corruption et le narcotrafic international.

Trafic de cocaïne

Au milieu des années 2000, le Nord-Mali a commencé à devenir un secteur clé dans le trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe, en raison de son isolement et de la faible présence de l’état. La contrebande d’autres produits comme les cigarettes n’est pas nouvelle dans la région, mais selon l'ICG, le groupe de crise international International, la cocaïne « a multiplié les enjeux financiers et fortement altéré les dynamiques économiques et politiques. »

« Les alliances présumées développées au fil des ans entre l’élite politique, les contrebandiers et les narcotrafiquants ont considérablement ébranlé la stabilité et le développement du pays », confirme l’analyste politique Imad Mesdoua.

L’une des principales inconnues au Mali et dans les états voisins reste cependant l’ampleur de la menace que posent encore les jihadistes dirigés depuis l’étranger.

Depuis la libération de Tombouctou et d’autres villes du Nord, les jihadistes ont organisé plusieurs attaques et attentats suicide dans le cadre de ce que le commandant de l’armée dans la région a décrit comme une « phase asymétrique de la guerre ».

Ce qu’attendent maintenant les habitants de Tombouctou, après tant de mois d’épreuves sous l’occupation, c’est le développement, conclut M. Kounta, le guide touristique.

« Depuis le départ des islamistes, rien n’a été fait. Nous ne ressentons pas la présence de l’état. L’état n’est pas là. J’implore le gouvernement de travailler dur pour que Tombouctou émerge de cette obscurité. »

Pour en savoir plus : http://www.irinnews.org/fr/

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.