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Les chaînes de productions mondiales sont-elles responsables?

Après l’effondrement de l’usine à Dacca, les consommateurs pourraient insister sur la sécurité dans le monde du travail

Écrit par Gerald F. Davis
09.06.2013
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  • Une femme d’une famille bangladaise tenant le portrait d’une parente disparue, probablement prise au piège dans les décombres de l’effondrement de l’immeuble de huit étages dans la banlieue de Dacca, le 29 Avril 2013. Après cet accident ayant provoqué des centaines de morts, la question se pose de savoir quelle est la responsabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. (Munir Uz Zaman/AFP/Getty Images)

La mondialisation a transformé chaque virée dans les magasins en un parcours obstrué de dilemmes moraux. En avril, plus de 1.100 travailleurs bangladais de l’industrie du vêtement ont perdu la vie dans l’effondrement d’un bâtiment, rappelant aux consommateurs du monde entier que les T-shirts à bas prix peuvent être produits au moyen d’un coût humain élevé.

La plupart des consommateurs ne font pas directement le lien, concevant que la distance élimine toutes les tâches morales durant le temps nécessaire pour que les marchandises atteignent les rayons des magasins. Cependant les technologies de l’information qui ont permis aux chaînes d’approvisionnement de s’étendre à travers le monde permettent également aux consommateurs de mieux comprendre les conséquences de leurs choix, s’ils décident d’y faire attention. Les espoirs de réforme dans le milieu du travail ciblent la fin de tragédies comme celle de Dacca, qui dépendent de ce choix.

La fabrication de vêtements est traditionnellement la première étape de l’industrialisation, et l’industrie du vêtement a longtemps été à l’avant-garde de la mondialisation. Les entreprises mondiales à succès ressemblent généralement à Nike, qui se concentre sur la conception et la commercialisation de ses baskets et de ses vêtements en sous-traitant sa production chez des fournisseurs en Asie ou ailleurs.

Durant la dernière génération, aux États-Unis en particulier, la «Nikefication» s’est répandue dans presque tous les secteurs. Des produits électroniques pour le grand public à la nourriture pour les animaux en passant par les produits pharmaceutiques, les sociétés qui gèrent des marques à grande échelle ne sont finalement pour la plupart que les nœuds centraux de la production mondiale et du réseau de distribution. Les produits sont régulièrement manufacturés, distribués et vendus sans jamais avoir été touchés par un quelconque employé de la société mentionnée sur l’étiquette.

En raison de cette «Nikefication» omniprésente, les entreprises sont souvent responsables de pratiques répréhensibles telles que l’atelier de misère de Dacca aux conditions mortelles.

Dans son effort pour éradiquer les conflits dits «de minerais» concernant ses produits, Hewlett-Packard a constaté que le point critique de l’effet de levier touchait les minéraux destinés aux fonderies dont les ventes ont contribué à financer des conflits armés interminables au Congo. Les fondeurs se situaient quatre pas en arrière dans la chaîne de production, à savoir parmi les fournisseurs des fournisseurs des fournisseurs de HP. HP a fourni un effort supplémentaire pour localiser ces fonderies afin que les fournisseurs puissent faire pression et éliminer les approvisionneurs congolais non vérifiés, mais ce cas constitue une exception et non la règle.

Etiqueter les produits avec une «chaîne de traçabilité»

La «Nikefication» est rendue possible par les technologies de l’information, Internet en particulier. N’importe qui avec un produit conçu, une connexion Internet et une carte de crédit peut faire fonctionner des lignes d’assemblage en Chine grâce à Alibaba.com. Certains des produits les plus vendus aux États-Unis sont fabriqués par de minuscules entreprises qui fonctionnent essentiellement en sous-traitant à tous les niveaux du travail physique et à la production. Ces entreprises, qui produisent souvent des produits à court terme comme la caméra Flip, représentent la nouvelle étape de la «Nikefication».

Les mêmes technologies qui ont rendu possible la «Nikefication», et les dilemmes moraux qui en découlent, peuvent offrir une solution. Aujourd’hui il existe des technologies qui permettent d’étiqueter les produits avec une «chaîne de traçabilité», permettant aux consommateurs de suivre la provenance de leurs achats. Le phénomène est commun dans le monde de l’art: ces millions dépensés sur les objets précieux exigent que les sentiers des bénéficiaires soit connu. À savoir qu’à chaque minute actuellement les coûts d’une telle transparence sont en baisse. Quiconque a suivi les envois FedEx sur son téléphone peut imaginer les possibilités à venir.

Des applications Smartphone sont déjà disponibles pour permettre aux consommateurs de scanner les codes barres des produits afin de vérifier les évaluations sur la durabilité ou le respect éthique de la production, comme par exemple GoodGuide, l’outil technologique similaire qui permet aux consommateurs de vérifier les prix des concurrents sur Amazon avant d’acheter. Les ratings établis par des tiers donnent l’évaluation concernant la conception. Ce n’est pas si difficile d’imaginer une marque résolument tournée vers l’avenir affichant ses codes QR – codes-barre matriciels qui peuvent être scannés par les téléphones portables – des étiquettes donc qui permettraient aux acheteurs potentiels de visualiser une vidéo de l’usine, de la localiser sur Google Maps, ou de vérifier l’empreinte carbone des méthodes d’expédition. Imaginez le slogan: «Nos vêtements ne sont pas transparents, mais notre processus de production si.»

Cette technologie, possible maintenant, va bientôt être assez abordable pour être réalisable. Si la confiance des consommateurs privilégiera les biens produits avec éthique, alors les marques entreront en compétition concernant la provenance, et non pas seulement le style et la qualité. Dans le secteur automobile la marque Toyota Prius communique sa haute performance environnementale aux clients. Chaque constructeur automobile majeur tente de proposer désormais une voiture hybride pour rivaliser avec la Prius. Il est inévitable que les marques de vêtements viables vont émerger, en se distinguant par des chaînes de productions transparentes.

Inverser la course vers le bas

Cependant, un changement du comportement des marques n’est pas suffisant. Tout comme les marques rivalisent sur les rayons en magasin, les pays se font concurrence pour attirer les fabricants et les emplois. Dans l’industrie du vêtement, la concurrence est rude, impliquant des pays à faible revenu tels que le Cambodge, le Honduras, le Pakistan et l’Indonésie. Durant l’histoire, la nature de cette concurrence n’a jamais été favorable à une application scrupuleuse des normes du travail ni aux syndicats. Le Bangladesh n’est pas un cas unique. Tant que la concurrence des prix favorise une course vers le bas, les pays producteurs ont peu de chances de se distinguer par un monde du travail bienveillant. D’autre part, si les marques se mettent à rivaliser sur la provenance, alors l’espace s’ouvrirait vers un pays pour sa caractéristique distinctive.

Le Cambodge a cherché à suivre une stratégie d’ateliers d’exploitation sans limitation, avec des usines contrôlées par l’Organisation internationale du travail et des salaires minimums généreux par rapport aux normes misérables du secteur. Rien ne laisse présager que les consommateurs vont affluer vers le label «Made in Cambodia», les consommateurs n’ont probablement pas été assez informés de cette démarche de la part du Cambodge. Le pays n’est pas épargné par les problèmes, les rapports ayant indiqué à la mi-mai l’effondrement d’un plafond dans une petite usine de chaussures près de Phnom Penh. Après la tragédie du Bangladesh l’accent est mis sur les usines des marchés émergents.

Un fait analogue surprenant existe au niveau des marchés financiers concernant cette inversion de la course vers le bas. Les placements bousiers des étrangers sur les marchés dits émergents étaient inexistants au début des années 1980. Après la crise de la dette mexicaine de 1982, les prêts bancaires se sont taris et les pays à faible revenu ont été contraints de chercher d’autres sources de capitaux. Poussé en partie par le Fonds monétaire international, un grand nombre de ces pays ont poursuivi des réformes visant à persuader les investisseurs des pays riches à fournir des capitaux aux entreprises locales par une ouverture vers les marchés boursiers, ce qui a réduit les contrôles des capitaux, et jouer en faveur d’un soutien venant directement des investisseurs.

Le défi n’était pas sans importance: pourquoi les investisseurs américains achèteraient des actions de sociétés dans des pays lointains? Contrairement à une chemise polo, dont la qualité peut être facilement évaluée par les consommateurs sans qu’ils aient à connaitre la trame de fond, les actions du marché nécessitent d’être vérifiées, en d’autres termes, elles impliquent une certaine confiance concernant leur provenance. Mais les rendements potentiels étaient grands, si les marchés avaient intégré les garanties et les politiques économiques locales adaptées. À la fin des années 90, les fonds des marchés émergents ont constitué l’aliment de base du portefeuille de la plupart des investisseurs avertis, et après une génération de réformes ces marchés auront au moins atteint un niveau de transparence équivalent aux marchés boursiers américains avec des investissements favorables à la pratique d’une gouvernance corporative devenant le standard.

Pour les produits de consommation, la provenance n’a pas encore d’importance. Pour que les marques et les pays évitent la course vers le bas, une proportion significative de consommateurs doit s’en préoccuper. Le manque de sensibilisation des consommateurs est peut-être le plus grand obstacle à la réforme. Les marques et les pays peuvent appliquer des normes de travail plus élevées si les consommateurs préfèrent systématiquement des biens issus du commerce équitable ou des chemises cambodgiennes à celles du Bangladesh. Il y a certainement des raisons de scepticisme à ce niveau. Les clients des boutiques de vêtements de marques qui ont été tracées jusqu’à l’usine qui s’est effondrée au Bangladesh sont apparus à la fois ignorants et, lorsqu’on a attiré leur attention à faire le lien, largement indifférents.

Un changement culturel est nécessaire pour rendre les consommateurs conscients de l’impact de leurs choix. Peut-être qu’un environnement de l’information devenant plus riche et une provenance des marchandises devenant aussi essentielle pour les consommateurs que la gouvernance des entreprises derrière chaque action pour les investisseurs, peut-être qu’en effet ces éléments encourageront des courses au bénéfice allant vers le haut.

Gerald F. Davis est professeur de gestion Wilbur K. Pierpont, Ross School of Business et professeur de sociologie à l’Université du Michigan. Il a publié de nombreux articles dans les domaines de la gestion, de la sociologie et de la finance. Son livre le plus récent s’intitule Géré par les marchés: Comment la Finance Remodèle l’Amérique (Oxford U Press 2009). L’ouvrage a remporté le Prix Terry pour sa contribution exceptionnelle à l’avancement des connaissances en termes de gestion en 2010. Avec la permission de YaleGlobal Online. Copyright © 2013, Yale Centre d’étude de la mondialisation, Yale University.

Version en anglais: Can Global Supply Chains Be Accountable?

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