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«Non» à l’expansion de l’Accord économique et commercial global entre l'UE et le Canada

Écrit par Scott Sinclair
06.07.2013
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  • L'économiste Scott Sinclair est convaincu de la mise sous pression du contrôle réglementaire exercé par le Canada sur ses propres banques, en raison de l’accord de libre-échange recherché par le gouvernement canadien avec l'Union européenne. Toute modification générera des frais, comme ceux figurant sur la tarification de la banque belgo-néerlandaise Fortis. Situation qui incite les investisseurs chinois à poursuivre la Belgique en raison de la restructuration de Fortis, lors de la crise financière. (Dominique Faget/AFP/Getty Images)

Le nœud de la question consiste à saisir la puissance de ce traité, à attribuer aux investisseurs étrangers la possibilité de contester la réglementation prudentielle. Si les enjeux des dernières discussions de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’UE sont élevés, il existe un sérieux manque d'information et de débat sur le contenu réel des accords.

Les négociateurs qualifient haut et fort l'AECG comme le traité économique le plus ambitieux et le plus exhaustif de tous les temps, doté de règles de commerce et d’investissement ouvrant à de nouveaux territoires. L'accord lierait pourtant les mains des gouvernements dans de nombreux domaines vaguement liées au commerce, y compris la protection des brevets pharmaceutiques, les dépenses publiques des administrations locales, les droits des investisseurs étrangers et la régulation financière.

Comme l'économiste américain Hyman Minksy l’avait remarqué depuis plus de 30 ans, les marchés financiers sont soumis à la spéculation galopante et à des cycles d'expansion et de récession. Lors de la crise financière de 2008, des richesses en milliards de dollars se sont évaporées pratiquement du jour au lendemain; le système financier mondial a failli s'effondrer, le commerce international a été réduit et la majorité des nations les plus riches du monde sont tombées dans la récession. De toute évidence, une forte réglementation gouvernementale est indispensable pour éviter les nuisances d’excès spéculatifs du secteur financier sur l'économie en général. Ainsi, l'un des plus grands obstacles à l’AECG est le refus du Canada d’affaiblir son pouvoir de réglementation sur les services bancaires et financiers.

La défaillance d'une seule entreprise (comme Lehman Brothers en octobre 2008) ou la croissance anarchique des marchés portant sur des produits financiers à haut risque peut vite dégénérer en une situation incontrôlable menaçant l'intégrité de l'ensemble du système. Les régulateurs financiers doivent faire des choix décisifs, en particulier, en période de crise. Ils doivent les faire sans se soucier des poursuites judiciaires coûteuses d’investisseurs étrangers mécontents. C'est précisément l'élément toxique introduit par l’AECG dans les négociations.

Si, pour l'UE, les investisseurs privés doivent avoir le droit de contester librement d'autres réglementations bancaires et financières grâce aux modalités de résolution des différends entre investisseurs et État, selon le ministère des Finances du Canada, la réglementation du secteur financier revêt une importance si cruciale pour l'économie que les mesures réglementaires doivent être protégées de la contestation directe provenant des investisseurs étrangers.

Les négociations traversent une impasse et cette question épineuse reste à présent sur la liste des points à régler. Compte tenu de l’intense pression à conclure une affaire, les politiciens pourraient contourner les fonctionnaires des finances et saper la capacité des régulateurs à anticiper ou à endiguer les futures crises financières. Malgré la crise financière actuelle traversée par la zone euro, l'UE aborde les traités commerciaux et d'investissement comme des services financiers de n'importe quel autre secteur, offrant aux investisseurs des opportunités de croissance. Les banques canadiennes voient plutôt la croissance à travers l'expansion du grand marché européen, la pression pour adoucir les réglementations provient des investisseurs des deux côtés.

Le point épineux reste de saisir l’étendue des pouvoirs octroyés par le traité à contester la réglementation prudentielle des services financiers par les investisseurs étrangers? L’objectif des lois est de protéger les déposants et d'assurer l'intégrité et la stabilité du système financier. La procédure de résolution des différends entre investisseurs et État selon l'AECG donnerait aux investisseurs étrangers des droits extraordinaires pour contourner le système judiciaire national et pour attaquer directement les mesures régulatrices du gouvernement.

La menace d'avoir à payer des dommages et intérêts colossaux aux investisseurs touchés empêche d’avoir une régulation efficace. Comme le rapportait récemment la Presse canadienne, les organismes de réglementation canadiens ont prévenu des risques liés à ces «super-droits» accordés aux investisseurs, pouvant «créer un effet paralysant qui aurait des conséquences négatives sur l'économie globale du pays».

L'ALÉNA (l’Accord de libre-échange nord-américain) avait déclenché une avalanche d’oppositions investisseurs/État aux lois canadiennes de protection de l'environnement, entraînant le gel de la réglementation et le versement de millions de dollars de dommages et intérêts. Toutefois, les puissants organismes de réglementation financière canadiens et américains ont réussi à limiter strictement les droits des investisseurs à contester la réglementation des services financiers. Cependant, la hâte de conclure une nouvelle affaire ne va-t-elle pas affaiblir, voire faire disparaître complètement cette protection?

Certaines mesures de protection des investissements de l’ALÉNA, comme la règle controversée des «normes minimales de traitement», ne sont pas applicables dans le secteur financier. L’ALÉNA permet aussi aux régulateurs financiers de prendre des mesures pour assurer l'intégrité et la stabilité du système financier, même si ces mesures peuvent violer les règles de protection des investissements de l’ALÉNA. Cette «exception prudentielle» peut stopper l’arbitrage investisseur-État dans son élan.

Sur ce point critique, l'UE se montre intraitable. Ses négociateurs insistent pour que l'AECG donne aux tribunaux arbitraux investisseur-État, le pouvoir d'accorder des dommages et intérêts aux investisseurs étrangers prétendument «expropriés» par la réglementation financière.

Ironie du sort, les Européens prennent durement conscience de cette folie. Les investisseurs étrangers se sont tournés vers l'arbitrage investisseur-État pour tenter de récupérer les pertes de la crise financière sans fin traversée par l'Europe. Dans le tout premier cas opposant investisseur et État, une entreprise de services financiers de Chine poursuit la Belgique en vertu d'un traité de protection des investissements signé entre la Belgique et la Chine en 2005. Ping An, le principal actionnaire de Fortis, une banque belgo-néerlandaise, aurait perdu 2,3 milliards de dollars lorsque les pouvoirs publics sont intervenus pour sauver le géant de la finance, en vendant des actifs malgré les objections des actionnaires minoritaires. Les investisseurs étrangers ont également déposé des réclamations contre la Grèce et Chypre afin de récupérer les pertes subies au titre des programmes de restructuration financière.

Bien que le risque d'un conflit investisseur-État soit plus élevé en période de crise, l’approche de l'AECG proposée par l'Europe induit une vulnérabilité des réglementations financières les plus courantes. Par exemple, depuis 2008, le gouvernement canadien a resserré la réglementation des prêts hypothécaires à quatre reprises. Les fonctionnaires canadiens ont déclaré publiquement que c’est justement ce type d’intervention que les Européens veulent remettre en cause.

Une autre cible potentielle est la règle «très répandue» de la propriété qui, en limitant toute participation dans une grande banque canadienne, entrave toute prise de contrôle étrangère. Les agents commerciaux canadiens sont convaincus des effets protectionnistes de cette règle protégée par leur cotation prudentielle. Si cette protection disparaît ou est affaiblie par l'AECG, les investisseurs étrangers pourront poursuivre directement le gouvernement canadien sur les questions de règlements bancaires nationaux.

Les décisions clés concernant les règlements financiers vitaux seraient dès lors prises par des groupes quasi judiciaires d’investisseurs favorables. Ces jurés seraient hors d’atteinte des législateurs nationaux et des poursuites des tribunaux nationaux et ce seront les contribuables qui paieront les dommages financiers. Ce processus manquant d’ouverture, de transparence et de responsables est en passe de devenir l’inquiétante marque des traités expéditifs qui satisfont les puissants investisseurs étrangers, sans prendre en compte l'intérêt public.

Comme le délai relatif à la signature de l’ambitieux accord global AECG approche, les citoyens canadiens doivent réaliser que la soumission aux exigences des Européens et des multinationales aura de graves répercussions sur la stabilité tant admirée du système financier canadien.

Scott Sinclair est chercheur important du Centre canadien des politiques alternatives, où il dirige le projet du Centre de recherche du commerce et de l’investissement.

 

Version originale : The EU Wants a Wide-Open Banking System. We Should Say ‘no’

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