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Albert Londres, pionnier du grand reportage

Écrit par Caroline Chauvet, Epoch Times
09.07.2013
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  • Portrait non daté du reporter Albert Londres, dont le regard s'est posé sur de nombreuses parties du monde ainsi que sur de nombreuses souffrances. (Photo AFP)

«Le prince des reporters» ainsi est nommé Albert Londres, le célèbre journaliste né en 1884 à Vichy. Véritable référence pour toute la profession, sa mémoire est aujourd'hui honorée par le prix éponyme, équivalent français du prix Pulitzer. Parfois désigné comme le premier des grands reporters, il a voyagé aux quatre coins du monde, dénoncé nombre d’injustices et noirci de sa plume des milliers de lignes de papier.

Une vocation ratée

Fils d'un chaudronnier, le jeune Vichyssois fait ses études à Moulins, puis part à Lyon lorsqu'il atteint la majorité afin d'y exercer la profession de comptable. Toutefois, déjà, son esprit d'aventure le pousse à prendre la route de la capitale. À 19 ans, Albert Londres avait l'intention de devenir poète. Il publiera trois recueils au cours de sa vie, dont le premier paraît en 1904. La même année, sa femme Florise donne naissance à une fille, qui décède 11 mois plus tard. 

Au début du XXe siècle, être poète représentait un statut, une profession en plus d'un idéal de vie. Cependant, «il [Albert Londres] s'est vite rendu compte, grâce à sa grande lucidité, qu'il ne serait pas un poète, mais un amateur de poésie», explique Pierre Assouline, auteur du livre biographique Albert Londres, vie et mort d'un grand reporter, 1884-1932, dans une interview à France Info. Les recueils de poésie du journaliste, disponibles à l'heure actuelle aux archives seulement, «ne sont pas fameux», confesse le biographe.

Toutefois, Albert Londres ne résiste pas à l'envie d'écrire, et le journalisme le rattrape déjà. Plus facile d'accès à l'époque et moins prestigieux, le métier est souvent considéré alors comme un tremplin vers une carrière d'écrivain ou encore d'homme politique.

À 20 ans, le jeune devient ainsi correspondant parisien pour le journal lyonnais Le Salut Public, puis entre par la petite porte dans Le Matin en 1906, où il est chargé de récupérer quelques échos de la Chambre des Députés et d'écrire des articles non signés.

En 1914, la guerre gronde et le destin d'Albert Londres lui en est redevable. En septembre, la cathédrale de Reims subit un important bombardement allemand. À défaut d'autres journalistes disponibles, le jeune Londres va être envoyé dans la ville des sacres royaux par Le Matin afin de couvrir l'événement. En pleine nuit, il se rend à vélo à plus de 130 kilomètres de Paris. À son retour, il décrit dans un article apocalyptique publié le 29 septembre, la cathédrale ravagée comme «une plaie», «un corps ouvert par le chirurgien et dont on surprendrait les secrets», personnalisant le monument et l'érigeant ainsi en symbole des victimes tombées sous les bombes.

Là se situe la clé de la réussite d'Albert Londres qui ne renie pas totalement sa vocation première : «il est resté poète toute sa vie dans la mesure où, dans ses articles, il a toujours mis de la poésie», décrit Pierre Assouline. Le journaliste est né.

La vie de grand reporter

Quand la guerre éclate, Albert Londres est réformé, à cause de sa santé fragile. Il s'y rend tout de même en tant que journaliste. Il couvre plusieurs fronts en France, puis à l'étranger avec Le Petit Journal. Son ami Henri Béraud, grand journaliste également et directeur littéraire du Petit Parisien, qu'il a connu à Lyon le qualifie de «flâneur salarié». Dans la Russie bolchevique, envoyé par Excelsior il est effaré par le mensonge communiste. Emporté par son zèle et son engagement, il prévoit même un attentat contre un pont, une voie ferrée ou un arsenal, qu'il ne sera pas autorisé à concrétiser. Il voyage ensuite en Asie orientale, où il décrit notamment la guerre civile chinoise (La Chine en folie, 1922). Les grands reportages d'Albert Londres sont publiés et signés dans les journaux sous forme de chroniques. Mais, dès 1923, l'éditeur Albin Michel rassemble ses articles en livres.

La notoriété du reporter explose en 1923, à son retour du bagne de Cayenne. Il y décrit les conditions atroces de détention des forçats. Ses articles font grand bruit dans l'opinion et obligent les autorités à humaniser la prison. Le bagne fermera définitivement en 1937, grâce à l'influence des articles de Londres, pouvait-on lire alors dans la presse.

Les bagnards deviennent alors l'objet d'étude de prédilection du journaliste. En 1924, il enquête en Afrique du Nord sur les travaux forcés imposés à des militaires condamnés (Dante n'avait rien vu, 1924). Dans la même veine, il décrit le Tour de France comme impitoyable (Les Forçats de la route et Tour de France, tour de souffrance, 1924).

De «flâneur salarié», le grand reporter devient alors «redresseur de torts». Il va se rapprocher des grandes causes humanitaires, traitant de la condition des fous dans les asiles (Chez les fous, 1925), de la traite des Blanches à Buenos Aires (Le Chemin de Buenos Aires, 1927), de l'esclavage des Noirs au Congo belge (Terre d'ébène, 1929), etc.

Son dernier reportage l'amène vers la Chine à nouveau, pour Le Journal, au moment de l'invasion japonaise. Toutefois, le sujet de son enquête et ses découvertes resteront à jamais un mystère. Il s'agissait probablement d'affaires de trafic d'armes ou de drogue. Le Georges Philippar, le bateau qui devait le ramener en France, prend feu et chavire. Albert Londres meurt noyé en 1932, à l'âge de 48 ans, emportant avec lui au fond de l'océan les secrets de son dernier reportage.

Si les théories du complot évoquent l'idée d'un feu déclenché comme un attentat contre le journaliste, qui aurait révélé des scandales trop sulfureux à son retour, Pierre Assouline écarte cette hypothèse. Selon le biographe, Albert Londres aurait très bien pu se faire tuer en Chine beaucoup plus facilement, et sans bruit, au coin d'une rue pendant la nuit. Cependant, le couple Lang-Willar, à qui le journaliste avait confié quelques révélations, meurt un peu plus tard dans un accident d'avion.

Le prix Albert Londres : une sacralisation du journalisme

À sa mort, Albert Londres est déjà une sorte de légende vivante, à l'image d'un Joseph Kessel. Le prix, instauré dès 1933 par sa fille, Florise-Martinet Londres, à la mémoire de son père, assure la perpétuation de son souvenir.

Cependant, cette récompense représente également un moyen, pour le corps des journalistes, de sacraliser et d'institutionnaliser la profession. Honorant d'abord des articles de presse écrite, il s'est étendu à l'audiovisuel en 1985.

À l'image de prix littéraires, la récompense promise aux reporters prime le meilleur grand reportage, selon les critères du jury. De façon inavouée, ceux-ci se basent apparemment autant sur la qualité de la plume que sur les conditions de réalisation du reportage ou même sur la personnalité de son auteur. Ainsi, le prix Albert Londres a récompensé le 16 mai dernier Roméo Langlois, journaliste de 36 ans – 40 ans est l'âge limite pour recevoir le prix – pour son reportage vidéo Colombie : à balles réelles, reportage au cours duquel il a lui-même été blessé et fait prisonnier par les FARC. Le facteur «prise de risque» a sûrement joué un rôle dans l'obtention de la récompense, comme en 1986, quand Philippe Rochot, alors otage au Liban, avait reçu le prix en hommage, pour l'ensemble de sa production journalistique.

Le modèle du journalisme

Souvent cité en exemple, et même en référence, Albert Londres incarne à lui seul l'idéal du grand reporter pour de nombreux membres de la profession. Dans la préface de son livre Terre d'Ébène (1929), sur l'esclavage au Congo, le célèbre reporter écrit : «Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.» La dernière phrase de cette citation est restée comme un dicton, une courte charte déontologique, dans la mémoire collective des journalistes. L'image du journaliste justicier et redresseur de torts, un peu comme Tintin, fait encore long feu. Cette représentation est corrélée à l'idée d'un journaliste humain, proche des gens, partageant leur souffrance. S'y ajoute également le «journaliste-aventurier», voyageant à ses risques et périls en milieu souvent hostile et éloigné de chez lui.

«Curieux», c'est ainsi qu'aime se définir chaque journaliste. Avec l'expression «l'esprit Albert Londres», Pierre Assouline explique que le journalisme est également «une façon de faire un pas de côté face aux événements et face à l'actualité. Aller chercher autre chose que ce que l'on nous sert directement dans les milieux officiels». Enfin, le dernier critère – indispensable – concerne la qualité de la plume. Même dans l'audiovisuel, un bon style se distingue et se fait apprécier.

Ériger le personnage d'Albert Londres en idéal journalistique peut pourtant paraître à certains égards exagéré. En effet, le style du grand reporter, s'exprimant souvent à la première personne, parfois ampoulé et se permettant des jugements trop personnels, ne correspond plus totalement aux critères actuels de l'écriture journalistique. De même, son engagement trop prononcé, lorsqu'il prévoit par exemple d'effectuer un attentat en Russie, est en contradiction avec une certaine neutralité et distance prônée par la profession.

Les conditions de production d'un reportage ont bien changé depuis le début du XXe siècle. Le journaliste ne part plus en Chine en bateau; il est relié par téléphone mobile ou Internet directement à sa rédaction, il ne se déplace pas toujours sur le terrain, etc. Les nouvelles technologies ont changé la production de l'information, la rendant plus rapide – aussi bien dans sa réception que dans son élaboration – et plus concise.

Demeure néanmoins un «esprit Albert Londres», encore porté parmi les journalistes au titre d'idéal, et représentatif également de la manière d'appréhender le grand reportage. La figure mythique du grand reporter, incarnée par Albert Londres à l'origine et réactualisée chaque année dans le prix éponyme, sacralise la profession. Désormais, les vocations pour le métier de journaliste surpassent celles de poète.

Les œuvres d'Albert Londres

Article publié le 29 septembre 1914 dans Le Matin sur le bombardement de la cathédrale de Reims : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/guerre_14-18/reims_albert-londres.asp

-    Visions orientales (1902)

-    Contre le bourrage de crâne (1917-1918)

-    Dans la Russie des Soviets (1920)

-    La Chine en folie (1922)

-    Au bagne (1923)

-    Dante n'avait rien vu (1924)

-    Les Forçats de la route ou Tour de France, tour de souffrance (1924)

-    Chez les fous (1925)

-    Le Chemin de Buenos Aires (1927)

-    Marseille, porte du sud (1927)

-    L'Homme qui s'évada (1928)

-    Terre d'ébène (1929)

-    Le Juif errant est arrivé (1930)

-    Pêcheurs de perles (1931)

-    Les Comitadjis (1932)

-    La Guerre à Shanghai (1932)

Ses recueils de poèmes

-    Suivant les heures (1904)

-    L'Âme qui vibre (1908)

-    Le poème effréné contenant Lointaine et La marche à l'étoile (1911)

 

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