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Festival de poésie à Tolède

«Donne-leur le temps de vivre en paix»(1)

Écrit par Armelle Chitrit
01.09.2013
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  • Tolède, ancienne capitale de l’empire ibérique, creuset de cultures et d’architectures singulières, reste un puissant symbole multiculturel où convergent les trois monothéismes. (Alicia Martinez Juan/Voix vives de Tolède)

Que sont les Voix Vives? Un festival international où se poursuit la route des poètes. Comme les routes du sel et de la soie qui sillonnent le paysage, on voudra bien suivre la route que les poèmes surfilent sur la carte du temps et de l’espace. Entre obstination et grâce, le rêve devient réalité et c’est un enchantement, d’un coin de rue à l’autre; le poème bat sa chamade; on reconnaît quelqu’un qu’on ne pensait jamais rencontrer; on expérimente un passage insolite; savoure une performance; provoque une rencontre; dégote un billet pour une tête d’affiche. Les voix de poètes viennent à nous pour fleurir la langue qui pense à ses racines, tandis que notre mémoire en fuite peinait encore à formuler cet espoir, poète ou pas!

Ces voix ont déjà rayonné: d’abord dans la région du Languedoc-Roussillon au mois de juillet, Sète succédant à Lodève, au fil des éditions; le Maroc était de la partie en mai à El Jadida; elles se sont faites italiennes au solstice d’été, à Gênes, et bientôt elles seront espagnoles, avec ce nouvel ancrage à Tolède, début septembre. Si Sète et Gênes ont en commun la figure de Paul Valéry, on apprend que Gênes vit naître Christophe Colomb: pointe de l’iceberg de la cartographie des étonnants voyageurs qui nous mènent en Espagne.

Ce sera une bombe dans cette ville symbole! 

Musée à ciel ouvert, Tolède, ancienne capitale de l’Empire ibérique, creuset de cultures et d’architectures singulières, reste un puissant symbole multiculturel où convergent les trois  monothéismes. Si proche de Madrid, Tolède, triangle tendu vers le ciel, nous enivre de ses richesses: églises, palais, forteresses, mosquées et synagogues, Toletum, la capitale de l’Hispanie, concentre un précieux raffinement d'un séjour aussi inattendu qu’inoubliable aux Voix Vives.

C’est au XIIe siècle que Tolède devint le centre de traduction (des textes arabes en langue romane et textes hébreux et grecs en arabe) très réputé qu’il est encore aujourd’hui, mais surtout le lieu de rencontre entre savants et intellectuels.

Puisse la paix jaillir à nouveau de profusion architecturale et inspirer le pas des contemporains en éveil.

  • Éveiller la mémoire tout en or de Tolède, ville-musée. (Alicia Martinez Juan/Voix vives de Tolède)

Le poème attend l’heure de réintégrer son Histoire au cœur de cette richesse: «Ce sera une bombe dans cette ville symbole!», assure Alicia Martinez, directrice de l'évènement. Car il s’agit de rompre avec l’idée dominante d’une Espagne encore aujourd’hui dans l’inconscience des peuples qu’elle a exclus de l’héritage. Tout en or, le silence règne, là où l’exclusion a quelque peu amputé la mémoire. Ces voix qui font partie du patrimoine ont emporté leur chant en exil, au Proche-Orient, en Afrique du Nord et dans les Balkans, prenant accents et fantaisies des pays d’accueil.

L’architecture époustouflante sommeille encore dans ce cœur pétrifié de l’Espagne, en attendant de sortir ses voix du mutisme. Il faut croire que le festival les délivre du mauvais sort; que le poème court-circuite l’histoire.

La langue prisonnière

«Ma langue! Prisonnière de la bouche, tu es liée au fond de la gorge et sur toi des portes se ferment. Comment alors décoches-tu des phrases comme des flèches, lances-tu des mots comme des stylets? Comment, tapie dans ta caverne, précipites-tu l’innocent dans la fosse?

Pas de baume en toi, sinon pour le ver dévorant tes restes dans la tombe.»

Ce poème traduit de l’hébreu est tiré de Guerre, amour et vanité, de Samuel Ha-Naguid qui fut vizir du roi berbère de Grenade, comme certains Juifs devenus influents dans divers royaumes après 1013.

Quelques repères dans le cours de l’Histoire…

En 711, le royaume wisigoth chrétien d’Espagne s’écroule. C’est l’occasion pour les Juifs persécutés et forcés à la conversion, par les décrets de Tolède (693 et 694), de soutenir les troupes musulmanes dans leur conquête qui prendra le nom d’Al-Andalus. À l’image de l’empire sassanide et de Byzance, la perspective de la paix n’est pas un mirage, mais un projet qui se réalise.

  • Le poète espagnol, Juan Carlos Mestre.

L’Empire musulman, depuis Damas, s’étend de l’Atlantique jusqu’en Inde. Les Omeyades, une dynastie qui domine dans la Mecque du VIIe siècle, sont suspectés d’hérésie, ainsi que la tribu des Quraysh, où naquit vers 570 le prophète de l’Islam. Renversés par une coalition agissant à l’instigation des Abbassides qui installent leur cour à Bagdad, Abd al-Rahman, seul rescapé, prend le chemin de l’Ouest et s’installe en Andalousie où la présence d’une légion syrienne lui permet de s’imposer.

Al-Andalus connaît à la fois une grande prospérité et une effervescence poétique et philosophique où les savants et Juifs courtisans jouent un rôle de premier ordre, plusieurs siècles durant.

 

Par exemple, Dunash ben Labrat, grammairien comparatiste et poète, applique la métrique arabe à l’hébreu biblique ainsi renouvelé. Les significations se ramifient avec une liberté extraordinaire, provoquant tantôt une tension productive, tantôt un malaise.

Samuel Ha-Naguid, grammairien avisé de l’hébreu et talmudiste réputé, connaisseur de la religion et de la culture littéraire arabes, pratiquant la langue de ses maîtres et participant à leur vie mondaine comme figure centrale du renouveau des études bibliques et poète de très belle envergure, ignore que l’Espagne est à la veille d’une nouvelle occupation meurtrière par les Almoravides, une dynastie berbère.

En 1013, les Berbères, venus d’Afrique, ravagent Cordoue et à l’image de ce que l’on croit aujourd’hui indéniable, les rivalités entre ethnies dominent la vie politique et militaire de l’Espagne musulmane… L’incendie de Grenade, qui a eu lieu en 1066, leur sera attribué selon certains chercheurs. En tout état de cause, cet état amènera le déclin irréversible de cet «âge d'or» de la culture judéo-mauresque.

  • Doucey: Le poète et éditeur français Bruno Doucey.

Tous les chemins mènent à Tolède

Jusqu'à l'aube du XVIe siècle, Tolède était réputée pour sa tolérance religieuse: en 1492, lors de l’expulsion de la péninsule ibérique par Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, Juifs et Musulmans vont se répartir dans tout le bassin méditerranéen.

Les pierres vont bientôt connaître un réveil poétique: puisque les Voix Vives s'offrent le luxe de traverser le temps, Tolède résonnera d'une profusion contemporaine et familière, pour faire écho aux lumières de son apogée, joignant le meilleur des peuples comme les doigts de la main. Éveiller la mémoire tout en or de Tolède, ville-musée, c’est tenter de faire à nouveau converger les voix chassées ou converties d’une Espagne cramponnée à son christianisme. Ancrer le festival en Espagne, c’est créer une agitation qui ne serait pas meurtrière pour remettre en route cette passion cosmopolite. Car la poésie a aussi ce pouvoir de poser le débat sur la table, comme en témoigne les poètes fleurissant l’arborescence «de méditerranée en méditerranée».

 

Grande fête de la poésie méditerranéenne contemporaine, le Festival Les Voix Vives accueille de nombreux poètes et des artistes venus de toutes les Méditerranées: Méditerranée latine, d’Afrique, des Balkans, d’Orient ou encore de celles que l’Histoire a «exportées» dans le monde: Amérique du Sud, Amérique centrale, Afrique de l’Ouest, Francophonie…, sous la direction de Maïthé Vallès-Bled qui, d’année en année, a su s’entourer de poètes et de bénévoles, l’événement réalise et affermit ce qui tient de l’utopie dans la plupart des esprits.

  • Le poète et critique littéraire français Daniel Leuwers.

Le cœur de l’Espagne résonnera de toutes ces voix pour celles qui se sont tues, pour celles aussi qui, dans la peur ou l’ignorance de leur langue, se sont nouées aux vents de cette diaspora.

Dès cette fin d’été, Tolède s’épanouira donc de monument en monument au son des voix vivantes de 44 poètes invités et, bien sûr, traduits en espagnol. La vieille ville sera dans l’enchantement de ses quelque 20 à 30 sites résonnant du singulier pluriel de 20 pays et de 9 langues.

Le festin sera de mots mais aussi de musique, avec ses promesses autochtones et toute sa richesse arabo-andalouse. L’Espagne aura aussi sa «Place du Livre», telle qu’on la connaît à Saint-Sulpice, à Sète, à Gênes, pour permettre à chacun de flâner dans les recueils qui sont devenus des raretés chez la plupart des libraires. Car si le poète ne fait pas souvent recette, le festival des Voix Vives nous invite à glaner quelques merveilles par ces éditions et revues invitées.

Le Tage, parmi les fleuves de l’Histoire, donnera à nouveau de l’eau au commerce des esprits et permettra, aux prochaines éditions du festival, de s’étendre en caravane aux petites villes alentours et, qui sait, peut-être jusqu’en Andalousie… Soyons certaine que cette route continuera à faire poème dans les mains ouvertes du lecteur?

Au cœur du langage pour rêver d’inconnu et trouver du nouveau …

(1) Tlemcen, poème issu du recueil Kanutsuk, Armelle Chitrit, Lyon, 2007, Jacques André éditeur

Armelle Chitrit, essayiste, poète et comédienne (lelabodelettres@live.fr)

Pour en savoir plus:

www.voixvivesmediterranee.com

Mairie et Libre culture

150, rue François Desnoyer

34200 Sète

Tél : 04 99 04 72 51

 courriel: sete.festival@voixvivesmediterranee.com

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