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Analyse

Sotchi 2014 et la question du boycottage

Écrit par Pim Verschuuren et Carole Gomez, Affaires-stratégiques.info
05.09.2013
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  • Le président russe, Vladimir Poutine, et le premier ministre, Dmitri Medvedev, en visite à un site des Jeux de Sotchi en février 2011. (Alexey Druzhinin/AFP/Getty Images)

Dans le cadre des tensions actuelles entre la Russie et les États-Unis, un parlementaire américain a récemment appelé au boycottage des Jeux olympiques de Sotchi 2014(1). La ministre de la Justice allemande a également appelé au boycottage pour protester contre une nouvelle loi russe interdisant la propagande homosexuelle(2), alors qu’une pétition a été déposée au Comité international olympique (CIO) pour les mêmes raisons(3). Au fur et à mesure qu’approcheront les JO de Sotchi (prévus en février 2014), les voix appelant à un boycottage devraient se multiplier. Plusieurs raisons pourraient être avancées, mais les principales sources de protestations devraient être la situation des droits de l’homme en Russie, la politique de «pacification» dans le Caucase Nord et le soutien russe au régime syrien.

Cette campagne n’est pas sans rappeler les mois précédant les JO de Pékin 2008, pendant lesquels de nombreux représentants des sociétés civiles, relayés par des personnalités politiques du monde entier, appelaient au boycottage afin que l’événement sportif ne soit pas instrumentalisé par le régime chinois, autoritaire et non démocratique.

Pourtant, organiser un boycottage est aussi une forme d’instrumentalisation de l’événement sportif. Le boycottage est une arme politique (parmi d’autres) qui a déjà été utilisée par un État ou un groupe d’États. Notons par exemple que l’URSS avait boycotté les Jeux jusqu’en 1952, car les Soviétiques ne voulaient pas participer à une «pratique bourgeoise»(4). En 1976, 25 pays africains refusent de se rendre aux Jeux de Montréal pour protester contre la présence de la Nouvelle-Zélande, dont l’équipe de rugby avait réalisé une tournée controversée dans l’Afrique du Sud ségrégationniste quelques semaines plus tôt. Ici, le boycottage est autant une mesure de rétorsion qu’un message politique.

Lorsque l’URSS envahit brutalement l’Afghanistan la veille de Noël 1979, le président américain Jimmy Carter est mis sous pression. Au niveau interne, sa campagne de réélection débute alors, et au niveau international, les avancées de l’URSS depuis 1975 menacent l’équilibre de la guerre froide. En mettant un pied dans un pays stratégique, l’URSS force le président américain à agir. Plusieurs mesures de rétorsion seront entreprises, dont le boycottage des Jeux de Moscou, à l’été 1980. Le boycottage et les autres sanctions sont une façon de forcer le régime soviétique à revenir sur ses actes.

L’entreprise échouera, puisque l’URSS restera en Afghanistan jusqu’en 1989. De plus, la campagne de boycottage américain s’avérera plus compliquée qu’escomptée, l’administration Carter ayant sous-évalué l’indépendance politique du monde olympique. En effet, les Comités nationaux olympiques sont tenus par le CIO de ne pas obéir aux injonctions politiques(5). Finalement, de nombreuses délégations du bloc occidental, dont le Royaume-Uni, la France, l’Italie ou l’Australie, se rendront à Moscou, malgré les efforts de dissuasions américains. Quant au boycottage des JO de Los Angeles de 1984 par de nombreux pays du bloc communiste, il n’est rien d’autre qu’une réponse à celui de 1980.

Aujourd’hui, la question du boycottage se pose de manière différente. Certes, plus la compétition sportive est populaire et établie, plus le message et l’arme du boycottage apparaissent efficaces. Néanmoins, devant l’universalisation des grandes compétitions sportives et leurs enjeux économiques et politiques colossaux, la possibilité pour un gouvernement d’empêcher ses athlètes de concourir est devenue extrêmement difficile. Contraindre des athlètes à rater l’événement de leur vie, au nom de la protection des droits de l’homme, peut même paraître contradictoire. C’est aussi pourquoi Jimmy Carter n’a réussi que difficilement à forcer la délégation sportive nationale à refuser d’aller en URSS, et que Margaret Thatcher, elle, n’y est pas parvenue.

Si l’on peut désormais écarter les grands boycottages de la part des sportifs, la question se recentre autour des personnalités politiques qui choisissent de ne pas se rendre aux représentations comme les cérémonies d’ouverture. Ainsi, de nombreux hommes et femmes politiques ont refusé de se rendre à l’Euro 2012 pour afficher leur désaccord vis-à-vis du gouvernement et du système judiciaire ukrainien. Cette pratique peut néanmoins se heurter aux intérêts étatiques. En effet, malgré certaines tensions avec le pays hôte et les nombreux appels au boycottage, les principaux chefs d’État «occidentaux» étaient présents pour l’ouverture des Jeux de Pékin en 2008. Les dégâts potentiels d’une politique de la chaise vide sont trop importants au regard des intérêts économiques et politiques à préserver, surtout en ce qui concerne les grandes puissances comme la Chine ou la Russie.

C’est pourquoi un boycottage d’envergure des Jeux de Sotchi est a priori à écarter, même si la question va revenir sur le devant de la scène d’ici février. Des personnalités politiques, au gré de leurs intérêts personnels liés à leur image, vont s’afficher comme des partisans au boycottage, mais on peut douter qu’un boycottage d’État(s) ne voit le jour.

L’expérience chinoise a montré que les Jeux ne servent pas automatiquement de catalyseur de réformes de fond dans un régime autoritaire, au contraire des arguments du CIO qui, face aux critiques, avait défendu le choix de Pékin en affirmant que les Jeux allaient contribuer à l’ouverture du régime. Cinq ans après JO chinois, il est difficile d’approuver l’argument du mouvement olympique. Il devrait en être de même pour la Russie. À l’inverse, l’utilisation dans l’histoire du boycottage comme arme politique n’a jamais montré son efficacité, aucune des tentatives n’ayant concrètement débouché sur une inflexion du pays hôte.

1. Graham : US should consider Olympic boycott over possible Snowden asylum, NBC news, 17 juillet 2013.

2. Propagande gay : une ministre allemande suggère de boycotter les JO de Sotchi, RIA Novosti, 6 août 2013.

3. JO de Sotchi : remise d’une pétition au CIO contre la loi antigay russe, BFMTV, 7 août 2013.

4. Pascal Boniface, JO Politiques, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2012, p. 87.

5. Selon l’article 27.6 de la Charte olympique : «Les CNO doivent préserver leur autonomie et résister à toutes les pressions, y compris, mais sans s’y restreindre, les pressions politiques, juridiques, religieuses ou économiques qui pourraient les empêcher de se conformer à la Charte olympique.»

Source  : Affaires-stratégiques.info

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