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Analyse

Les trois paradoxes du Burkina Faso

Écrit par Pierre Jacquemot, Chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques Affaires-stratégiques.info
11.11.2014
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  • Le président du Burkina Faso, Blaise Comparoé, serre la main du secrétaire d’État américain John Kerry le 6 août 2014 à Washington. Comparoé a été déposé par un soulèvement populaire. (Jim Watson/AFP/Getty Images)

Les émeutes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso de fin octobre, suivies de la démission du président burkinabé Blaise Compaoré, révèlent trois paradoxes. Ils ne sont qu’apparents, car derrière certaines interrogations se cachent en réalité de sévères dysfonctionnements du système de pouvoir en Afrique de l’Ouest.

Premier paradoxe

Blaise Compaoré a commis une erreur incompréhensible de la part d’un homme pourtant rompu à l’exercice du pouvoir et habile manœuvrier, souvent appelé à intervenir comme médiateur au Libéria, en Côte d’Ivoire et au Mali. Comment a-t-il pu tomber dans le piège de tenter un passage en force, pour obtenir le droit de se présenter pour un cinquième mandat, par la voie parlementaire plutôt que d’affronter un référendum? Manquait-il à ce point de discernement? Son système d’information était-il à ce point défaillant?

En réalité, ce n’est pas la première fois que l’ex-président burkinabé a montré qu’il était déconnecté du réel. On se souvient des émeutes de policiers il y a quelques années, qu’il n’avait su anticiper et qui restent comme l’exemple le plus saillant de la fragilité de son pouvoir.

Trop longtemps président, entouré d’une oligarchie politique et affairiste qui tenait ses postes et ses richesses de lui, il a assurément été mal conseillé par ceux qui craignaient de tout perdre avec son départ (mais qui seront prompts à pactiser avec le nouveau pouvoir pour préserver leurs prébendes).

Deuxième paradoxe

Les jeunes qui, dans les rues de Ouagadougou, réclamaient la démocratie s’en sont pris à l’Assemblée nationale, incendiée et saccagée, censée pourtant être le symbole même de cette démocratie. Peut-être que sous sa forme parlementaire, ils n’en veulent pas. Ni des «parlementeurs» du parti au pouvoir, ni de ceux de l’opposition qui, pour la majorité, d’entre eux sont des membres de l’oligarchie. Terrible rappel d’une évidence, la légalité des scrutins n’est pas la légitimité du pouvoir. Déjà Thomas Sankara et ses capitaines, parmi lesquels Blaise Compaoré, l’avaient proclamé en 1982, en évinçant la clique des politiciens et des «en-haut-d’en-haut» et en voulant édifier les «pays des hommes intègres».

  • Des manifestants burkinabés sont pris en photo avec un bouclier de polices à l’extérieur du parlement à Ouagadougou le 30 octobre 2014, alors que voitures et débris sont en feu. (Issouf Sanogo/AFP/Getty Images)

La crise du parlementarisme africain est une évidence depuis le célèbre rap de Y-en-a-marre contre Abdoulaye Wade à Dakar : «Si le président t’oublie, oublie le président!». On entendait le 28 octobre des slogans tels que «Blaise dégage!» dans les rues de Ouagadougou, et un appel au «Printemps noir».

Les «anocraties» (du grec akratia qui désigne les démocraties molles), installées depuis les indépendances africaines et qui ont jusqu’à présent satisfait les institutions internationales, ont la forme de la démocratie mais pas sa substance. Elles procèdent à des élections; elles ont des institutions formelles (police, armée, justice), mais elles restent vulnérables à la mauvaise gestion des affaires publiques, aux conflits sociaux. Inévitablement, les coalitions entre groupes rivaux sont changeantes et la vie politique est instable. Une trentaine d’États africains sont dans cette situation de grande précarité.

Troisième paradoxe

L’armée est appelée à remettre de l’ordre. Et, en son sein, le plus populaire est un général, Kouamé Lougé, pourtant coauteur du coup d’État avec Blaise Compaoré contre Thomas Sankara en 1987. Il fut son ministre de la Défense, jusqu’en 2003, avant d’être limogé. L’histoire se répète, la «grande muette» réprime un jour les manifestants, mais le lendemain sait prendre la parole quand il le faut.

Blaise Compaoré est parti assez lamentablement. Avant que la France ne l’aide à trouver une porte de sortie honorable dans une institution internationale ou comme médiateur de conflits. Avec une culpabilité mal assumée, celle du meurtre du journaliste Norbert Zongo, retrouvé carbonisé avec ses camarades, en décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur la disparition du chauffeur du frère du président. Un meurtre que les Burkinabés n’ont jamais oublié quand ils honorent la mémoire de Zongo par une manifestation pacifique chaque 13 décembre.

Il faut toujours se méfier de la mémoire du peuple, de l’eau qui dort, mais aussi des attentes frustrées de la jeunesse. La violence des émeutes, dans un pays pourtant connu pour être paisible, témoigne de la profondeur du malaise de la jeunesse burkinabé, une jeunesse africaine souvent qualifiée de «découragée» par les experts. Elle constitue en réalité une bombe à retardement, tant elle est confrontée au déni d’avenir, trop tôt précarisée, avec une fierté lésée à force d’arpenter les couloirs de l’assistanat et du secteur informel. Leurs ambitions stérilisées, les jeunes constituent naturellement le noyau le plus actif des protestataires.

Source : Affaires-stratégiques.info

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d'Epoch Times.

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