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Vu du front. Représenter la Grande Guerre

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
16.11.2014
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  • Georges Scott (1873-1943). Blessés descendus par le téléphérique, 1917. Aquarelle, graphite et gouache sur papier vélin. (Paris, Musée de l'Armée)

Dans le cadre des commémorations de la Grande Guerre, la bibliothèque de documentation internationale contemporaine et le musée de l’Armée proposent une exposition qui s’intéresse à la manière dont les contemporains de la guerre ont vu, perçu et représenté le front.

L’exposition Vu du front. Représenter la Grande Guerre présente les œuvres des soldats ou des artistes missionnés qui ont témoigné de la guerre sur le vif. Elle offre pour la première fois au visiteur un tableau de l’ampleur des représentations de la guerre par ceux qui l’ont vécue, au moyen de 500 tableaux, dessins, photographies, articles de presse, films et affiches. Parmi leurs créateurs se trouvent de grands artistes tels que Guillaume Apollinaire, Fernand Léger ou Félix Vallotton.

Des images de guerre

Jamais auparavant autant de témoignages artistiques n’ont été produits et diffusés pendant une guerre. Au moment où la Première Guerre mondiale éclate, les sociétés européennes sont déjà «préparées», conditionnées par les images des guerres des Balkans (1877-1878), des Boers (1899-1902), des Boxers (1900-1901), ou russo-japonaise (1904-1905): elles connaissent la guerre. Les représentations partisanes de la guerre connues jusqu’alors contribuaient au patriotisme militaire. Les images circulent sous forme de cartes postales. Les journaux reproduisent et reprennent ces mêmes images. En Angleterre, en France ou en Russie, un imaginaire collectif de la guerre est conçu.

Souvent les photographies servaient de base pour les peintres. C’est le cas du correspondant français Georges Scott. Pour ses œuvres, il se sert de photos montrant les conditions déplorables des prisonniers de guerre ou les morts dans les champs de bataille des Balkans. Les images circulent, certaines inspireront les photographes et dessinateurs sur les fronts de la Grande Guerre.

À côté de ces peintures académiques, on peut trouver des estampes japonaises traditionnelles accompagnées de légendes, ou encore les tableaux des peintres avant-gardistes comme l’inoubliable Soldats en marche de Jacques Villon en 1913.

  • François Flameng (1856-1923). Guetteurs allemands équipés de cuirasses de tranchées et de masques à gaz, août 1917. Crayon et aquarelle, avec rehauts de gouache, sur papier. (Paris, Musée de l'Armée)

Le procédé de la production

La technologie se développe rapidement, non seulement l’apparence du champ de bataille et les relations de forces, mais également les supports des témoignages. Les appareils photos de poche sont de plus en plus répandus et s’ajoutent aux carnets de croquis.

Une section intéressante de cette exposition est consacrée au procédé de production, à savoir le processus de la documentation. On y trouve les différents appareils photos, les palettes de peintures, des photos de photographes en action, les sections photographiques de l’armée, mais aussi une lettre d’un soldat expliquant qu’il avait utilisé du bleu car le vert lui manquait pour son dessin.

Cette partie va de pair avec la manipulation des images par la censure. Une tenue de camouflage française présentée dans une vitrine accompagne une photo sur laquelle on perçoit deux taches blanches. La photo est parue dans l’Excelsior, n°1813, le 2 novembre 1915. Les deux taches dissimulent des soldats en tenue de camouflages. La photo censurée dans le journal français – pour ne pas dévoiler un «secret défense» – est par contre montrée dans les journaux de l’ennemi…

La censure atteint également les photos de fraternisation. Ce qui est toléré et même promu par la presse britannique est censuré par la presse française. Les soldats passent de longs moments dans les tranchées des deux côtés des barbelés, mais aux moments des pauses, ils oublient leur rivalité et sortent pour se serrer la main, s’entraider ou se faire photographier ensemble.

Il ne s’agit pas que de la censure ou de l’opinion publique de différents pays, mais du vécu subjectif des peintres ou photographes. Georges Scott et Karl Lotze donnent chacun le point de vue d’un éclatement d’obus et de la mort qu’il sème. Le premier, Français, peint l’ennemi, le deuxième est Allemand et peint l’explosion du point de vue de son propre camp.

La représentation de la guerre sur différents fronts

L’intérêt de l’exposition est dû à sa grande diversité. Elle présente non seulement le front occidental et le regard conditionné par les tranchées, mais également les fronts moins connus comme le front germano-russe, le front austro-italien, le front du Proche-Orient, ceux des Dardanelles et des Balkans.

Les représentations du front occidental sont focalisées sur les scènes d’attaques souvent réinventées – tranchées, explosions d’obus, barbelés – sur la vie quotidienne et sur la mort, ainsi que sur les ruines des villes. Avec la nouvelle technologie et l’aviation, les œuvres montrent de nouvelles perspectives vues du ciel.

Sur les autres fronts, où le regard ne se limite pas à la hauteur des tranchées, un paysage magnifique se déploie accompagnant les horreurs de la guerre. Georges Scott dépeint les blessés descendus par le téléphérique dans les montagnes somptueuses et enneigées. James McBey peint les montagnes arides de Jérusalem, dans Nebi Samwil: la première vision de Jérusalem, 1917. Les paysages du désert et des montagnes remplissent les représentations de ces fronts.

  • André Devambez (1867-1944). Avions fantaisistes, 1911-1914. Huile sur toile. Beauvais, musée départemental de l’Oise. (©RMN-Grand Palais/Hervé Lewandoski/Service de Press ©ADAGP, Paris 2014)

L’évolution technologique

En partant à la guerre, les soldats croyaient rentrer rapidement chez eux. La Grande Guerre qui devait être courte a duré quatre ans. Pendant ces années, la technologie a évolué. On ne présente pas la même guerre en 1914 et en 1917. L’artillerie à longue portée et le rôle croissant des dispositifs de communication, et de l’aviation, font aussi bouger les lignes.

Les peintres dénoncent cette nouvelle guerre à l’armement moderne et aux machines monstrueuses. Les artistes éprouvent à la fois une nostalgie pour la guerre d’antan, la guerre d’épée, et une fascination pour ces armes nouvelles et leur pouvoir de destruction.

Dans une lettre à Hélène Jacob en 1916, Otto Dix exprime ce sentiment ambigu: «Les cratères d’obus à l’intérieur des villages sont pleins de violence élémentaire. Aux alentours, tout semble soumis à la brutalité de ces cratères symétriques. Ce sont les orbites des yeux de la terre et ce qui leur tourne autour ce sont des lignes folles douloureuses et fantastiques (…) Une rare étrange beauté s’exprime ici.»

Pendant et après la guerre

Dès les premiers jours de la guerre, des expositions sont organisées. Le musée du Luxembourg changeait d’accrochage tous les mois. L’État achète une partie de ces tableaux qui rentrent dans les musées. Les expositions de la guerre sont divisées en différentes catégories et certaines sont réservées aux artistes du front.

Les peintres peuvent représenter les mêmes événements vécus de manière différente une fois qu’ils quittent le terrain.

Henry Valensi présente les Dardanelles. Son œuvre se caractérise par une production abondante sur place, de petits formats qu’il qualifie lui-même de documentaires. Après la bataille, il repeint le même thème de façon plus abstraite et l’intitule Expression des Dardanelles, 1917.

De même, Félix Vallotton ne croit plus à ses propres croquis sanglants mais se dirige vers une recherche plastique des événements.

Le parcours de l’exposition se termine par le témoignage bouleversant d’André Masson. Son témoignage est d’autant plus troublant qu’il date de 1971. Durant 
60 ans, le peintre surréaliste, connu pour ses dessins automatiques, s’est tu sur tout ce qui concernait la guerre.

60 ans plus tard, André Masson, à travers 12 dessins, exprime ses expériences de guerre qui ont ressurgi suite à une psychanalyse. Ce témoignage fortement touchant nous rappelle que les blessures de la guerre restent à jamais inscrites dans le corps et la psyché.

Vu du front. Représenter la Grande Guerre

Du 15 octobre 2014 
au 25 janvier 2015

Hôtel des Invalides 
Musée de l’Armée

129 rue de Grenelle, Paris 7e

 

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