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L’inquiétante lettre ouverte accusant les professeurs d’université chinois de ternir l’image du pays

Écrit par Global Voices
24.11.2014
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  • Les professeurs d’université sont priés de parler positivement de leur pays. (Photo from Flickr user Neal Lantela CC: BY-SA-NC.)

Les autorités chinoises ont mené de sévères batailles idéologiques à l’encontre des médias dominants au cours des deux dernières années, augmentant encore davantage l’impératif de se soumettre à la ligne du Parti Communiste Chinois ou d’en subir les conséquences. Aujourd’hui, certains craignent que les autorités se tournent vers le milieu universitaire, ce qui marquerait un nouveau combat contre la liberté de pensée. 

Porte-parole régional du parti communiste, le Liaoning Daily a publié une inhabituelle lettre ouverte aux professeurs d’université le 13 novembre dernier. Celle-ci leur reprochait de présenter la Chine sous un jour négatif devant leurs étudiants.

Le China Media Project de l’université de Hong Kong a traduit ladite lettre, intitulée “Professeurs, merci de ne pas parler ainsi de la Chine: une lettre ouverte aux professeurs de philosophie et de science sociale”. L’article se fonderait ainsi sur 300 anecdotes récoltées directement auprès d’étudiants ou via sondages en lignes et autres rapports d’enquête collectés dans 20 universités de 5 villes: Pékin, Shanghaï, Guangzhou, Wuhan et Shenyang.

Le document souligne que 80% des étudiants auraient été confrontés à des professeurs enclins à se plaindre du pays, et que ce ternissement antipatriotique les dérangeait. Les causes de cette attitude seraient à chercher dans trois directions principales: le manque de reconnaissance académique, le manque de reconnaissance politique et le manque d’identification “émotionnelle” (à l’histoire et à l’idéologie du parti).

Pour les autorités de propagande locales, il n’est pas usuel d’adresser de tels messages à l’encontre de professeurs du supérieur qui dépendent en vérité du service public de l’enseignement. Normalement, ce genre de directives provient du ministère de l’éducation chinois directement. L’an dernier ce dernier a demandé aux professeurs d’université de ne pas enseigner sept sujets, incluant la liberté de la presse, les erreurs passées du parti communiste et les droits des citoyens. 

Certains commentateurs voient en cette lettre non seulement un énième empiètement sur la liberté de l’enseignement supérieur qui doit déjà compter avec d’importantes menaces de la part de la Chine, mais également une possible préparation de terrain en vue de purger le système des professeurs qui ne suivent pas les lignes directrices du parti.

Le Liaoning Daily joint au diagnostic un remède: celui de l’énergie positive , un terme de plus en plus employé depuis que le président chinois Xi Jinping l’a utilisé lors d’un forum artistique et culturel du parti en octobre dernier. L’idée d’énergie positive a été introduite par Lu Wei, directeur du Bureau de l’information numérique, en janvier 2013, afin de museler les célébrités qui s’exprimaient sur le twitter local “Sina Weibo”  

Sun Liping, professeur en science sociale réputé à l’université de Tshinhua de Pekin,  a répondu à la lettre ouverte par une de son cru :

«La lettre ouverte du Liaoning Daily ne peut pas rester ignorée. La version sur laquelle je me fonde provient d’internet et je ne suis pas certain de sa fiabilité. Elle est signée de l’équipe éditoriale du journal. Nous savons tous que le Liaoning Daily est le journal official de l’antenne locale du parti au Liaoning. Il n’est pas commun que l’équipe éditoriale rédige un tel article, qui peut être considéré comme une commande de la section du parti communiste de Liaoning regroupant les professeurs d’université du pays. Le comité d’un parti local donnant de telles instructions à des professeurs d’université, n’est-ce pas étrange? De ce que je peux me souvenir, même pendant la Révolution Culturelle , aucun parti local ne s’est prononcé ouvertement en direction de l’ensemble du pays. A la limite, seule l’équipe révolutionnaire [les Gardes Rouges qui ont défié les autorités] l’aurait pu. Si l’équipe éditoriale du Liaoning avait une once d’intelligence, elle n’aurait pas agi de la sorte. Comment assombrir quelque chose qui n’est pas sombre dès le départ? Jetez simplement un coup d’oeil aux archives du journal et vous trouvez un aperçu de tout ce que le journal a tenté en vain de “ternir” dans le passé.  Partant de là, on me dit qu’il est insensé de critiquer. D’autres disent qu’il vaut mieux offrir des solutions aux problèmes soulevés. La critique pure est mauvaise. Que les choses soient claires, bien sûr qu’il est utile de trouver des solutions et je répète à mes étudiants que je m’exprime seulement sur des sujets auxquels je pense pouvoir suggérer des solutions. Mais cela reste mon engagement et ma pratique personnelle. Je ne pense pas que la critique sociale soit négative en soi. Identifier les problèmes d’une société et en analyser les causes sans apporter de réponses reste utile. Mettre au jour un phénomène déplaisant est utile. Aux Etats-Unis, vous aviez le muckracker movement [des "fouille-merde] où beaucoup n’offraient pas de solutions. La manière dont vous réagissez à la critique est primordiale. En 1962, Michael Harrington a écrit “L’Autre Amérique”. L’ouvrage liste les parts d’ombre des Etats-Unis. Il se dit que Lyndon Johnson, alors président du pays, fut choqué par le livre. Pourtant, il n’en a pas pris ombrage, au contraire. Johnson a mis en place une stratégie pour construire une société solide en déclarant la guerre à la pauvreté, l’inégalité et l’inhumanité. Ternir l’image de notre mère patrie? Quel âge a-t-elle, notre mère patrie? Vous hurlez et criez et attaquez notre ancienne société [avant la libération de la Chine par le parti communiste], mais l’ancienne société n’est-elle pas partie intégrante de notre mère patrie? J’ai écrit quelques courts billets en commentaire de la lettre du Liaoning Daily. Une lettre ouverte est une lettre, nous devons faire notre possible en tant que professeurs pour y répondre. Pour conclure je souhaiterais en tant que professeur, donner quelques conseils au bureau éditorial (Je présume que les auteurs sont de la génération de mes étudiants): 1.  Quand vous avancez un argument, s’il vous plait, étayez le au mieux. N’ouvrez pas un débat sans fondements 2. Si vous ne trouvez pas de théorie, au moins soyez logiques 3. Si vous ne parvenez pas à remplir les conditions énoncées, soyez au moins modestes.»

Zhang Ming est politologue est enseigne à l’Université Remin. Il en veut au Liaoning Daily d’espionner les professeurs:

«Le Liaoning Daily a envoyé des journalistes pour qu’ils enquêtent sur les professeurs et collectent des informations à leur sujet pour les salir. Ce n’est pas du travail de journaliste mais d’espionnage pur et simple. Non seulement cela dresse les professeurs contre vous, mais lie également les autorités du comité communiste universitaire local aux informateurs de ce dernier.»

M. Ming croit qu’un autre mouvement attentatoire aux droits de l’homme est en marche:

«Depuis quelques temps, j’entends les gens parler d’un nouveau mouvement liberticide qui serait en train de prendre forme. Je n’y ai d’abord pas cru mais la lettre ouverte du Liaoning Daily m’a fait changer d’avis. Combien de défenseurs des droits de l’homme vont être arretés cette fois-ci?»

Xiong Feijun, auteur indépendant, pense que la solution à la corruption du pays est la critique et non les louanges:

«La patrie est malade de la corruption.  Si nous ne la soignons pas de ce fléau, elle en mourra. Mais les corrompus continuent à dire que le corps est sain. Au final, la fenêtre de temps va se refermer avant que nous puissions trouver un remède. Ceux qui osent dirent la vérité aiment leur pays et commandent à la patrie de se rendre à l’hôpital pour que la tumeur soit excisée et la santé recouvrée. Les corrompus appellent cela “ternir la Chine? Où est la logique là dedans?»

La bataille idéologique contre les leaders d’opinion du net a sapé tout débat sensé depuis que les utilisateurs de Weibo s’auto-limitent dans l’énoncé de leur pensée. Si le champ de bataille est en effet étendu à l’université, un endroit où des experts du savoir discutent des problèmes de la société de manière rationnelle, cela ne portera pas seulement atteinte aux salles de cours. Persécuter l’enseignement supérieur n’aura pas pour seul effet de freiner la croissance sociale et politique du pays, mais provoquera l’extension d’une lutte de pouvoir parmi la classe dirigeante et un chaos social – une issue malheureusement familière pour la Chine. De tels désastres que l’homme s’inflige paraissent se répéter dans l’histoire contemporaine du pays.

Source: Global Voices

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