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«Les cieux et le destin en sont les spectateurs»

Rencontre avec Rimas Tuminas, directeur du théâtre Vakhtangov

Écrit par Ekaterina Bogopolskaia
22.02.2014
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  • Rimas Tuminas, directeur du théâtre Vakhtangov. (Ekaterina Bogopolskaia)

Rencontre avec Rimas Tuminas directeur du théâtre Vakhtangov à l’occasion de la tournée du théâtre à Paris. Dans le cadre du Festival du théâtre russe des années croisées France-Russie, le théâtre de Bobigny a accueilli, du 31 janvier au 5 février, le théâtre Vakhtangov.

Rimas Tuminas: Une interview à Paris, j’en rêvais il y a trente ans…

L’événement tout à fait extraordinaire, le théâtre Vakhtangov enfin à Paris. En France on connaît assez bien Stanislavski, un peu Meyerhold et pratiquement pas Vakhtangov. Pourriez-vous nous parler de l’école Vakhtangov, définir en quelques mots ses particularités?

Rimas Tuminas: Vakhtangov lui-même a créé plutôt une méthode, une technique de jeu, mais pas une école. Ce qu’on appelle l’école Vakhtangov a été formée plus tard par ses disciples. Vakhtangov lui-même était le disciple de Stanislavski. Si Vakhtangov n’était pas mort si tôt en 1922 à l’âge de 39 ans, si Meyerhold n’avait pas été fusillé, le théâtre russe aurait pu être très différent. Vakhtangov refusait le théâtre psychologique ou quotidien, il travaillait davantage avec le principe affiché du théâtre de jeu, et la quête de la joie dans le jeu d'acteurs qui sera retransmise aux spectateurs. L’essentiel dans sa théorie du théâtre, c’est la sensation de fête, l’énergie créative de la vie. C’était une période  terrible, les années 20, la famine, la guerre civile, et il a inventé son esthétique de la résistance à tous ces malheurs, en approfondissant  les recherches de Stanislavski dans la voie du plaisir du jeu malgré toutes les circonstances de la vie. La fête ne signifie pas la légèreté ou l’ignorance des problèmes, elle contient toute la complexité de la vie.

Les actrices et les acteurs du théâtre Vakhtangov se distinguaient toujours par leur élégance, par leur façon d’être, même durant les années des pires privations, habillés à la mode – être beau sur scène et dans la vie quotidienne. Il y avait quelque chose d’aristocratique en eux, ils étaient indépendants, ils étaient dissidents, oui dissidents intérieurs.

Comment peut-on définir votre style de mise en scène? Vous-même, vous êtes passé par GITIS, le conservatoire national d'art dramatique de Moscou. Peut-on vous définir comme metteur en scène de l’école russe ou sinon, en quoi consiste votre différence?

Rimas Tuminas: Probablement, j’appartiens à cette école russe. En même temps, il ne faut pas oublier que j’ai vécu jusqu’à 18 ans dans la campagne profonde de Lituanie. Je suis très attaché à cette terre et à la terre tout court. Je pense que nous sommes païens. La Lituanie est le dernier pays en Europe à adopter le christianisme au XIVe siècle. Les racines païennes sont encore si vivantes en nous – le chêne, la pierre, cela m’attire, et je crois qu’ils sont habités par les divinités. La terre, la pierre, le bois, on peut y ajouter le feu et l’eau, et avec tous ces éléments, je fais un spectacle. Ils vont communiquer entre eux,  ils vont… et tout sera dirigé vers le ciel. Je dis toujours aux acteurs qu’il ne faut pas jouer pour les spectateurs, mais pour le troisième œil, et sentir toujours sa présence sur scène, comme le dit l’Évangile: «Car là où il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je me trouve au milieu d’eux» (Mathieu, 18.20). Ne pas jouer pour les spectateurs, ne pas jouer pour son partenaire, mais parler aux cieux. Et le spectateur comprendra vers qui notre regard est dirigé. Et à travers les acteurs, il sentira le ciel, le cosmos et il nous comprendra. J’essaie de créer de telles circonstances dans lesquelles l’acteur ne pourra pas mentir. Il sera obligé de rester pur, attaché uniquement au destin de son personnage et à l’histoire de la pièce, prisonnier de cette honnêteté et de la vie spirituelle.

Quand nous comprendrons pleinement les mots de Ronsard – car cette célèbre citation «Le monde est le théâtre et les hommes acteurs», qu’on attribue généralement à Shakespeare, est bien de Ronsard et qui continue ainsi: «La Fortune, qui est maîtresse de la scène, Apprête les habits, et de la vie humaine, Les Cieux et les Destins en sont les spectateurs» [Pléiade II, 843] – les cieux en spectateurs! C’est en refusant l’instinct de plaire au public, de le servir, que nous pourrons entrouvrir les cieux. Je suis persuadé que quelque part au balcon, au paradis, sur les planches, vivent les anges qui nous observent. Si nous entrons sur scène incultes, ils nous quittent. Voilà pourquoi il faut entrer sur scène avec un certain savoir, avec la souffrance et dans l’attente de la joie, alors les anges vont nous aider. La plus haute mission du théâtre est d’harmoniser le monde.

L’harmonie est si caractéristique de l’œuvre de Pouchkine!

Rimas Tuminas: C’est pour cela que je l’ai choisie. Non pas pour l’excellence de sa poésie, mais pour cette harmonie que j’ai ressentie. C’est impossible de trouver aujourd’hui des pièces pareilles. Je demande aux auteurs dramatiques: faites quelque chose pour harmoniser le monde, je ne parle pas de happy end, mais laissez-nous à la fin une lueur d’espoir. Pour qu’on puisse sortir du spectacle en croyant, même un tout petit instant, que nous sommes immortels, en croyant à la justice, à la possibilité d’harmonie. Et je ne pense pas que ce soit un mensonge. Tout simplement, l’harmonie nous est cachée parce que nous sommes emportés par la destruction, par le cynisme. Nous sommes devenus repoussants l’un pour l’autre. Alors le théâtre devient notre purgatoire.

Pour en savoir plus: web magazine Affiche Paris-Europe

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