Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Crise médiatique au Venezuela

Écrit par Asa K. Cusack
22.03.2014
| A-/A+
  • VENEZUELA – Des milliers de personnes manifestent contre le gouvernement du président Nicolas Maduro. (luis Robayo/AFP/Getty Images.)

La manifestation contre le président du Venezuela, Nicolas Maduro, en raison d’une augmentation de la criminalité, de l’inflation, des pénuries sans fin, marque également le 5 mars, date anniversaire de la mort de Hugo Chavez. Il semble que la politique du Venezuela atteigne un point critique.

La vérité est que l’histoire récente du Venezuela ainsi que la situation actuelle sont beaucoup trop complexes pour être résumées dans un simple article. Mais au lieu de reconnaître cette complexité, les commentateurs pro et anti se contentent de souligner les faits qui correspondent à leurs versions, en omettant les autres. Par conséquent, le pays reste largement incompris et renvoie une fausse image. Après quinze ans de débat stérile, les mêmes vieux faux thèmes se retrouvent mis en avant dans les manifestations actuelles.

D’abord, la vision du Venezuela se caractérise par une lecture sélective du contexte historique. Les anti-gouvernements ont tendance à détacher l’ère Chavez de l’histoire, en la comparant soit à un Venezuela imaginaire dont le fort potentiel a été gaspillé, soit à une vision idéalisée de nos propres politiques et sociétés «développées». Cela a pour effet de présenter la corruption, la dépendance au pétrole et l’inflation, les anciens défauts de l’économie politique vénézuélienne, comme étant les conséquences d’un gouvernement qui serait au mieux malchanceux et au pire malveillant.

Concernant l’inflation, actuellement de 56%, et en moyenne de 50% entre 1990 et 1998, le Venezuela a échoué à «semer le pétrole» depuis le moment où il est sorti du sol. De plus, la corruption est aussi tristement et profondément enracinée que l’idée que la femme vénézuélienne doit forcément ressembler à une poupée Barbie.

Les représentants pro-gouvernementaux, en attendant, nous rappellent que la répression des émeutes en mode «tirer pour tuer» de 1989, ont fait des milliers de morts et que l’ère de partage du pouvoir superficiellement pacifique vantée par l’opposition, n’est pacifique que pour les 32% qui ne sont pas dans la pauvreté (en 1991), et que cette mascarade de démocratie exclut tout, sauf les élites dirigeantes - qui sont depuis, devenues les plus féroces adversaires du gouvernement.

Entre les lignes

De même que l’opposition ne peut nier le passé, le gouvernement ne peut nier le présent. Clamant comme il le peut que le projet bolivarien est une évolution progressive et une révolution permanente, après 15 ans au pouvoir, les faits sont une gouvernance improvisée, une planification déficiente, et des services publics de mauvaise qualité.

Une autre hypothèse trompeuse est l’idée que les institutions du Venezuela sont approximativement analogues aux nôtres. Par exemple, quand les critiques parlent des atteintes à la liberté des médias, l’hypothèse est que le paysage médiatique du Venezuela est globalement comparable à celui des pays européens. Mais se pourrait-il qu’une chaîne de télévision française promeuve le renversement d’un gouvernement démocratiquement élu, comme les différentes stations du Venezuela l’ont fait pendant le coup d’État avorté de 2002? Aucun des moyens de dissuasion ne fonctionne au Venezuela. Pratiquement tous les grands journaux El Nacional, El Universal, El Mundo; et les stations les plus populaires de télévision (surtout RCTV et Globovisión) ont toujours été farouchement opposés au gouvernement. Malgré cela, les critiques affirment fréquemment que le gouvernement a obtenu la domination totale des médias en fermant RCTV et en lançant diverses chaînes publiques. Les partisans du gouvernement rétorquent que RCTV a joué un rôle essentiel dans le coup d’État de 2002 et soulignent que sa licence de radiodiffusion a tout simplement expiré en 2007, ajoutant que les médias de l’opposition représentent toujours la part du lion de l’audience.

Encore une fois, les deux parties sont très sélectives. L’accusation classique de censure est clairement fausse. Le venin éhonté des médias vénézuéliens ferait tressaillir la plupart des Britanniques habitués à la BBC – quant au fait de se focaliser sur le nombre de canaux plutôt que sur les chiffres d’audience, cela reviendrait à dire que les chaînes de la BBC parlementaire et CBeebies l’emportent sur ITV. Pourtant, alors que RCTV a participé activement au coup d’État, le niveau d’arbitraire du gouvernement s’est arrêté à sa fermeture par «non-renouvellement», et les chiffres d’audience des stations de l’opposition sont déformés par la popularité des telenovelas (feuilletons).

Le problème sous-jacent est qu’il n’y a qu’un seul média qui donne un point de vue équilibré, le journal Noticias Últimas. Sur un plan national, la plupart des médias ne servent que de chambres d’écho. Ils acceptent les revendications de leur propre parti, sans trop les étudier, y ajoutant ainsi le vernis de la crédibilité journalistique. À l’échelle internationale, cependant, cela donne aussi bien aux partisans qu’aux détracteurs une large palette de couleurs locales pour augmenter l’autorité de leur propre camp.

Dans le sillage tout à fait différent du printemps arabe, Twitter est également devenu le media juste, comme un raccourci vers la «réalité du terrain». Mais contrairement à l’institution du journalisme, Twitter ne prétend pas à une obligation éthique de représentation équitable. Vérités, déformations et mensonges s’adressent à des groupes auto-sélectifs qui les amplifient à leur tour, créant un buzz autour de thèmes qui s’autoalimentent.

Une grande partie de cette déformation provient de l’hypothèse que les voix qui constituent le débat national vénézuélien parlent en toute bonne foi et essaient de donner une image précise de la vie du pays. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité.

Au lieu de cela, la polarisation politique au Venezuela est si extrême qu’il est presque impossible de trouver un observateur désintéressé. Que ce soit pour des motifs purs ou corrompus, le gouvernement cherche visiblement à conserver le pouvoir. Les riches sont menacés par la politique de redistribution et les pauvres par son éventuelle résiliation. La plupart des schémas de pensées représentent des groupes d’intérêt, avec la couleur de leurs pompons comme seule différence à leur numéro de majorette. Les étudiants et les universitaires sont menacés par une réorientation des fonds dans le budget de l’éducation. Même les sociétés de sondage peuvent être divisées très clairement entre pro et anti-gouvernementales, produisant ainsi des distorsions capricieuses de la réalité.

Nouveau Cuba ou faux socialisme?

Les détracteurs du gouvernement utilisent régulièrement la distorsion la plus grotesque de toutes: le Venezuela est une dictature. Si c’en est une, c’est le genre de dictature dans laquelle de vraies élections ont lieu fréquemment, les gens sont libres de former des partis politiques rivaux et les citoyens peuvent critiquer ouvertement et protester contre leur gouvernement. J’ai une photo d’un graffiti qui dit, sans soupçon d’ironie, «Votez non à la dictature!». Les partisans du gouvernement, quant à eux, présentent le Venezuela comme le phare du «socialisme du XXIe siècle», où la gouvernance de bas en haut donne une vraie parole à l’homme du peuple alors que les coopératives et la gestion des travailleurs se socialisent et diversifient l’économie.

La plus cruelle déformation est que l’auto-proclamé progrès du gouvernement vers le socialisme permet à l’opposition de représenter le Venezuela comme un nouveau Cuba. Cela évoque un pays imaginaire méconnaissable pour ceux qui ont déjà mis les pieds dans ce pays. On ignore le fait que des millions de Vénézuéliens sont désormais plus émancipés qu’avant sous Chavez, avec la participation des électeurs et la foi en la démocratie à un niveau dont on pourrait être fier en Europe. Mais cela passe également sous silence l’augmentation de la part du secteur privé dans le PIB, et la consommation effrénée alimentée par des panneaux d’affichage de la taille d’un gratte-ciel en faveur des produits de luxe importés.

Comme l’anthropologue vénézuélien Fernando Coronil l’a dit, pour la plupart des Vénézuéliens, le socialisme signifie ce que Chávez a déclaré que cela signifiait. Les commentateurs étrangers sont insensibles ou indifférents à ce fait, préférant choisir ce qui apporte le meilleur soutien à leurs récits.

Le seul antidote à la représentation trompeuse du Venezuela dans les médias étrangers est la reconnaissance de ce que nous ne savons pas. Telle a été ma propre leçon; et je souhaite permettre à la BBC, The Guardian, ou The Times qu’ils continuent ces démarches pour moi, car je ne le puis plus. Mais si nous voulons tout simplement renforcer ce que nous pensons déjà, nous pouvons faire comme tout le monde avec le Venezuela et nous contenter de choisir notre camp.

Epoch Times est publié en 21 langues et dans 35 pays.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.