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Femme non-rééducable réflexion sur le confort du silence

Écrit par Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
12.04.2014
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  • Anne Alvaro et Régis Royer dans Femme non-rééducable. (Pascal Victor)

«Les ennemis de l’État se divisent en deux catégories: ceux que l’on peut ramener à la raison et les incorrigibles. Avec ces derniers, il n’est pas possible de dialoguer, ce qui les rend non-rééducables. Il est nécessaire que l’État s’emploie à éradiquer de son territoire ces sujets non-rééducables.»

Cette déclaration nauséabonde ne provient pas d’un film de science-fiction, d’une pièce de théâtre délirante, ou à la rigueur d’un État bien connu pour sa dévalorisation de la vie humaine, comme la Corée du Nord, la Chine, ou la Syrie. Ce décret a été rédigé par Vladislav Sourkov dans une circulaire interne du Kremlin en 2005.

En réalité, cette circulaire ne faisait que confirmer la situation sinistre qui se déroulait depuis des années en Russie. L’assassinat des journalistes qui couvraient des sujets que le gouvernement n’approuvait pas, comme par exemple la corruption ou la Tchétchénie.

Le sort d’Anna Politkovskaïa ne sera pas contraire et c’est ainsi que s’annonce le début de la fin de sa mésaventure. Assassinée le 7 octobre 2006, jour de l’anniversaire de Poutine, la journaliste a été trouvée dans l’ascenseur de son immeuble, gisant parmi ses sacs de courses. Quatre balles l’ont achevée, une méthode souvent appliquée pour liquider les personnes non rééducables. Aujourd’hui encore en Russie, des journalistes qui ne travaillent pas au service de l’État, comme la majorité écrasante de la presse, sont toujours menacés de mort.

Femme non-rééducable de Stefano Massini est une pièce de théâtre poignante, explosive, dont on ne sort pas indemne. Une pièce du genre, qui nous fait comprendre notre responsabilité face aux événements, même quand nous sommes à l’autre bout du monde: une  réflexion sur le confort de notre silence.

Anna Politkovskaïa a osé couvrir une affaire taboue dans la Russie de Poutine. Elle a porté des témoignages sur cette contrée lointaine et infernale de la Tchétchénie. C’était la seule journaliste à avoir couvert la deuxième guerre de Tchétchénie, les horreurs que son pays infligeait aux Tchétchènes, comme les horreurs des terroristes massacrant hommes, femmes, vieillards et enfants sans distinction et sans scrupule. Anna Politkovskaïa n’a pas de camp, elle témoigne de ce No man’s land. On se souvient encore de sa participation dans les négociations lors de la prise d’otages du théâtre de la rue Melnikov à Moscou. On se souvient de son empoisonnement sur la route de Beslan, où elle devait également participer aux négociations avec les preneurs d’otages de l’école, le jour de la rentrée, le 1er septembre 2004. Après son rétablissement, elle n’y trouvera que des tombes.

Anna Politkovskaïa n’était pas une héroïne, c’est juste qu’elle ne pouvait pas faire autrement.

L’Anna Politkovskaïa de Stefano Massini

Une femme comme toi et moi «deux yeux, un stylo», c’est ainsi que voulait la présenter l’écrivain Stefano Massini: c’est ainsi que l’incarne avec modestie et dignité l’actrice Anne Alvaro, choisie pour ce rôle par le metteur en scène Arnaud Meunier.

Arnaud Meunier dit avoir prévu de mettre en scène cette pièce de Stefano Massini en travaillant avec lui sur Chapitres de la Chute, Saga des Lehman brothers, présenté au Théâtre du Rond-Point, l’année dernière.

Le texte précis et froid, saccadé, répétitif, sans ordre ou chronologie, comme un carnet de notes, change de rythme et de mélodie, créant une sorte de poésie effrayante.

Anne Alvaro, connue pour ses rôles dans le répertoire classique, donne la parole à cette journaliste avec simplicité et droiture. Sans pathos, elle touche le public, réveille les consciences.

Aux côtés d’Anne Alvaro, l’acteur Régis Royer lui répond par cette mélodie que le texte dicte. Sa voix incarnant divers rôles d’homme établit un équilibre avec la voix de l’actrice.

Arnaud Meunier joue avec ces deux voix en contrepoint, en superposition, elles se complètent, s’opposent, se relayent, s’harmonisent en une voix à double niveau: gardant ainsi une tension soutenue tout au long de la pièce. À la musique de leur voix s’ajoute celle du violon électrique de Régis Huby. Le son aigu et froid du violon passe comme un fil rouge entrelacé avec les voix, comme l’était le témoignage d’Anna Politkovskaïa. Tantôt comme musique de fond, tantôt comme une voix à part entière avertissant les spectateurs d’un prochain désastre ou rappelant un desastre passé, le violon renforce ainsi la tension, la peur, le dégoût, l’espoir. On voit Régis Huby derrière une espèce d’écran au fond de la scène, comme une tombe de mémorial, comme un poste de télévision, parfois illuminé comme un flash de photo et parfois tout noir comme le néant.

Arnaud Meunier nous propose une mise en scène à plusieurs niveaux, jouant sur la voix aussi bien que sur la distribution de l’espace. Les acteurs se déplacent sur un sol en verre morcelé. Seraient-ce des éclats après l’explosion? La fragilité des pays en conflit? Un puzzle éparpillé de la carte de la Tchétchénie? De la carte de la Russie? Des débris de mémoires? Une mise en abîme du texte composé des notes, des morceaux d’interviews, des lettres, des faits réels? À moins que ce ne soit tout cela à la fois, un mémorandum, comme le souhaitait Stefano Massini.

INFOS PRATIQUES:

Du 13 mars au 28 mai

Théâtre de l’Atelier

1, rue Charles Dullin

75018 Paris

www.theatre-atelier.com

Réservations:  01 46 06 49 24

Tarifs: 35€, 28€, 15€

Du mardi au samedi à 19h.Le dimanche à 17h.

Métros: Anvers, Pigalle, Abbesses.

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