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Le choix du «patriotisme économique»

Écrit par Caroline Chauvet, Epoch Times
20.05.2014
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  • Le ministre français de l’Économie Arnaud Montebourg et le ministre français du Travail François Rebsamen lors d’une réunion à l’hôtel Matignon, le 15 mai 2014. (Patrick Kovarik/AFP/GETTY IMAGES)

Il n’hésite pas à employer les mots de «patriotisme économique» et de «démondialisation». En pleine bataille avec l’américain General Electrics, qui fait de l’œil au français Alstom pour le rachat de sa branche énergie, le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg a annoncé la création d’un décret permettant de protéger davantage d’entreprises jugées «stratégiques» pour la France.

Colbertiste assumé, le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg a élaboré une nouvelle arme protectionniste qu’il compte utiliser dans la bataille qui l’oppose à l’entreprise française Alstom. Celle-ci penche du côté de l’américain General Electrics pour le rachat de sa branche énergie, alors que le ministre de l’Économie préférerait l’allier avec le groupe allemand Siemens.

Le 1er mai, Arnaud Montebourg cosignait avec le Premier ministre Manuel Valls un décret permettant à l’État français de s’opposer à la prise de contrôle d’entreprises françaises dans les secteurs élargis de l’énergie, des transports, de l’eau, de la santé et des télécoms. Environ un tiers des entreprises du CAC 40 sont concernées. Il faut désormais une autorisation du ministre de l’Économie pour valider les investissements de groupes étrangers en France.

Reprenant l’article R. 153-2 du code monétaire et financier mis en place sous le gouvernement de Dominique de Villepin en 2005, Arnaud Montebourg a voulu étendre un dispositif auparavant réservé aux domaines de la défense et des jeux d’argent. Défense d’intérêts stratégiques ou libéralisme à la française : difficile de voir les effets à long terme du décret Valls-Montebourg.

Une mesure fustigée par l’Union européenne

Dès l’annonce du nouveau décret le 14 mai, le ministre de l’Économie s’est attiré les remontrances de la Commission européenne, connue pour prôner une politique plus libérale. Le décret, validé par le Conseil d’État, devra encore passer par Bruxelles, pour savoir si les mesures «entrent bien dans le champ de la défense légitime de l’intérêt public», explique Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur mais également ancien ministre français.

Ce dernier étaye son point de vue: «On n’assurera pas une bonne protection de l’industrie européenne, de son développement, avec du protectionnisme». Pour lui, «l’objectif de protéger les intérêts essentiels stratégiques dans chaque État membre est essentiel dès qu’il s’agit de sécurité ou ordre public». C’est l’investissement qui devrait être avant tout favorisé.

Montebourg veut élargir le champ des intérêts nationaux

Arnaud Montebourg veut agir pour la grandeur de la France. En phase avec la tendance de plus de «diplomatie économique» – qui consiste à mieux intégrer et mettre en valeur les intérêts économiques de la France dans sa diplomatie – le ministre de l’Économie inscrit son décret dans le cadre d’une reconquête de la «puissance» du pays.

«S’agissant d’Alstom, il faut rappeler que c’est un maillon essentiel de notre indépendance énergétique. Que ce soit pour nos centrales nucléaires ou les nouvelles technologies de la transition énergétique», explique Arnaud Montebourg dans une interview au Monde.

Dans une tribune sur le site Atlantico, Éric Denécé, chercheur ès Science Politique, Jean-Marie Burguburu, ancien bâtonnier de Paris et François-Bernard Huyghe de l’IRIS, soulignent que les turbines produites par Alstom équipent les centrales nucléaires, les porte-avions ou les sous-marins nucléaires français.

Arnaud Montebourg, qui s’est souvent confronté à de grands groupes dans le cadre de son précédent mandat à la tête du ministère du Redressement productif, veut se donner les outils pour peser dans les négociations avec les multinationales. «Avec ce décret, nous rééquilibrons le rapport de force entre les intérêts des entreprises multinationales et les intérêts des États, qui ne sont pas toujours alignés. Les conditions d’une négociation juste et équilibrée sont maintenant réunies.»

Un protectionnisme économique déjà présent chez les grandes économies mondiales

Dans un monde bien paradoxal où la loi des marchés côtoie les logiques de souveraineté et de puissance étatiques, il arrive souvent que les plus grands défenseurs des théories libérales usent également d’armes protectionnistes redoutables.

Les États-Unis, que le magazine économique Challenges n’hésite pas à qualifier de «maîtres en matière de protection des intérêts nationaux», agissent sous le couvert de l’amendement dit «Exon-Florio» (1988), qui permet au CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States) d’examiner les investissements afin de déterminer si ceux-ci mettent en jeu la «sécurité nationale». En 2005, des menaces parlementaires ont suffi pour que la compagnie chinoise CNOOC soit dissuadée de racheter Unocal, une société pétrolière américaine.

En Allemagne, la réforme de la loi sur le commerce extérieur de 2009 permet de contrôler tous les investissements étrangers (hors UE) dont la participation excède 25%, dans tous les secteurs de l’économie, si ceux-ci sont jugés menaçants pour l’ordre public ou la sécurité.

Pays pourtant connu pour sa défense d’une politique économique libérale et favorable aux investissements étrangers, le Royaume-Uni peut protéger ses entreprises clefs grâce à l’Enterprise Act de 2002. Le ministre de l’Industrie peut agir grâce à des ordonnances, celles-ci pouvant être adoptées alors qu’une opération de rachat est en cours. Même si l’Enterprise Act n’a jamais vraiment été utilisé, il a pu dissuader l’entreprise d’exportation de gaz russe Gazprom de racheter l’énergéticien Centrica.

Une réponse tardive à un problème structurel

Traditionnellement adepte d’un État plutôt fort, la France ne figure pas, historiquement, parmi les plus grands défenseurs du libéralisme. Face à la mondialisation où la souveraineté étatique est souvent mise à mal, Arnaud Montebourg a fait le choix d’un encadrement accru par l’État.

«C’est une mauvaise idée car c’est très défensif alors qu’il faut être dans l’offensif», juge pour sa part le patron du syndicat patronal du Medef, Pierre Gattaz, en ajoutant: «En effet, d’autres pays ont aussi des mécanismes de protection de leurs entreprises sensibles. Mais en l’occurrence cela (le décret) apparaît comme une réponse tardive à un problème structurel».

La Bourse a permis de mesurer la réception du décret par les investisseurs: jeudi 15 mai, le titre Alstom perdait 2,88% à 28,48€, l’annonce du décret pourrait en effet refroidir l’investissement étranger cependant il est encore difficile de voir les effets d’une telle mesure sur le long terme.

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