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Thaïlande: une impasse politique sans fin?

Écrit par Olivier Guillard, Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques, directeur de l’information chez Crisis 24
26.05.2014
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  • Des soldats thaïlandais contrôlent une foule manifestant contre le coup d’État le 23 mai 2014 à Bangkok. (Rufus Cox/Getty Images)

L’armée thaïlandaise a officiellement annoncé qu’elle opérait un coup d’État, après sept mois de crise politique. Quelles sont les raisons de cette crise? Dans quelle mesure est-elle révélatrice des fractures sociales? Comment les différents groupes de la population réagissent-ils à cette prise de pouvoir?

Deux jours après avoir montré le bout de leurs galons et de leur casquette en proclamant la loi martiale (20 mai), les généraux thaïlandais – qui se refusaient alors à parler de coup d’État – se sont finalement convaincus qu’une implication plus directe, plus franche, de l’institution militaire dans l’impasse actuelle ne pourrait probablement que profiter au Royaume et à ses 67 millions de sujets, plus divisés que jamais autour de projets politiques diamétralement opposés.

Ce coup de force en douceur – qui ne s’est guère accompagné de violences ou de réactions partisanes jusqu’alors – a été décidé à l’issue d’une réunion (visiblement peu fructueuse…) rassemblant les diverses parties à la crise (représentants de l’opposition, du gouvernement, des sympathisants de ce dernier, de l’armée et de la police) dans le dessein de trouver quelques pistes mutuellement acceptables de sortie de crise; un agenda donc a priori trop ambitieux pour des acteurs aux antipodes l’un de l’autre...

On est enclin à penser que l’opposition – sympathisants du PDRC, du parti démocrate et «chemises jaunes» – arcboutée depuis des mois, si ce n’est des années, sur les principes complémentaires d’un «départ à tout prix» du clan Shinawatra du pouvoir et d’une révision inédite du cadre électoral vers moins de démocratie (cf. mise en place d’un premier ministre non élu), se réjouit de la tournure des événements des derniers jours. Destitution de la première ministre Yingluck Shinawatra le 7 mai, imposition de la loi martiale le 20 mai, coup d’État militaire le 22 mai tendent à l’évidence à réduire le fonctionnement démocratique des institutions et à bouter, étape après étape hors du pouvoir, un gouvernement pourtant issu des urnes, soutenu par une majorité d’électeurs – dont les fameuses «chemises rouges» fidèles depuis une quinzaine d’années au clan Shinawatra et à sa gestion plus populiste des affaires nationales.

Une gouvernance nouvelle qui déplaît fort à l’establishment (palais royal, élites urbaines, classes moyennes éduquées, milieux d’affaires, capitaines d’industrie, armée et police), dont les représentants politiques ont perdu toutes les élections organisées depuis 2001 face à cette «Thaïlande d’en bas», portée par les populations rurales du Nord et de l’Est, numériquement les plus nombreuses. Un camouflet de plus en plus difficile à accepter pour les anciens tenants traditionnels du pouvoir et de l’autorité; pour ces derniers, une «bonne démocratie» doit être confiée à leurs bons soins; ou ne pas être.

Que peuvent attendre les Thaïlandais de ce nouveau pouvoir militaire? Une grande partie des opposants à la première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, destituée en mai par la justice, sont des partisans de la monarchie. Peut-on craindre que ce coup d’État ne marque la fin de la démocratie thaïlandaise?

La population thaïlandaise est hélas familière, depuis 1932 et l’instauration de la monarchie constitutionnelle dans le royaume, de l’intervention directe des militaires dans la gouvernance nationale. Après tout, le coup d’État militaire du 22 mai n’est jamais que le 13e du genre (on peut également ajouter à ce total respectable une demi-douzaine de tentatives avortées). Il ne faut remonter que huit ans en arrière pour trouver trace de la jurisprudence la plus récente en la matière, lorsque l’armée était intervenue pour destituer le premier ministre d’alors, Thaksin Shinawatra, le frère aîné de la première ministre Yingluck Shinawatra, démise de ses fonctions le 7 mai.

  • Un manifestant s’opposant au coup d’État en Thaïlande est transporté par des soldats le 24 mai 2014 à Bangkok. (Christophe Archambault/AFP/Getty Images)

S’il est pour l’heure justifié, selon les généraux thaïlandais, par la nécessité de prévenir tout affrontement violent majeur entre pro et anti-gouvernement Shinawatra – des manifestations et défilés concurrents étaient initialement prévus par les deux camps, ces tout prochains jours, dans la capitale –  et placer plus près encore du gouffre une nation déjà éreintée par cette crise sans fin, entamée il y a près de dix ans, ce nouveau coup de boutoir contre le modèle démocratique est naturellement préoccupant.

Criant au déni de démocratie et à un complot ourdi par l’establishment et validé par l’influente institution militaire (de tout temps très proches du palais royal), les pro-démocratie («chemises rouges» notamment) s’émeuvent de ce retour des hommes en uniforme en lieu et place d’autorités portées au pouvoir par la voie des urnes et craignent que la démocratie ne figure, à l’issue de quelques nouveaux assauts (constitutionnels, politiques, judiciaires) discutables, au nombre des victimes directes de cette intervention.

Quelles sont les conséquences de la crise politique sur l’économie thaïlandaise et, notamment, sur le tourisme?

L’ordre public, le fonctionnement des institutions (quasi paralysé dans les faits depuis des mois), la cohésion nationale de ce royaume majoritairement bouddhiste, ou encore l’image extérieure de cet État du Sud-Est asiatique ne sont pas les seuls à pâtir de cet interminable maelstrom politico-sociétal. L’économie thaïlandaise, seconde économie de l’ASEAN derrière l’Indonésie (29e économie mondiale en 2013 selon le FMI), paie également le prix de cette scène intérieure tourmentée. Entre 2012 et 2013, sa croissance a été divisée par deux (PIB +6,5 % en 2012; +2,9 % en 2013); pour 2014, le scénario est plus noir; au premier trimestre, l’économie se serait contractée.

Les investisseurs étrangers, inquiets autant que lassés de cet imbroglio politique faisant peu cas du fonctionnement normal de la société et des institutions, laissent poindre ces derniers mois leur courroux et menacent, à demi-mot, de reconsidérer leurs projets si ce n’est leur présence dans le royaume si d’aventure la paralysie actuelle devait s’éterniser. Parmi les premiers – et non des moindres – à réagir à chaud à ce retour des officiers généraux aux commandes de la nation, les investisseurs japonais, n’hésitant pas à qualifier cette décision, à l’unisson de Tokyo, «d’initiative extrêmement regrettable» (Bangkok Post du 23 mai).

À l’image des chancelleries occidentales s’interrogeant sur le «bénéfice» (pour l’ordre public) ou le coût (politique, industriel) de cette nouvelle intervention militaire (dont la durée est par nature inconnue), les responsables économiques internationaux sont pour l’heure globalement circonspects face à ce nouveau soubresaut, attendant d’en connaître davantage sur les intentions des nouveaux dirigeants et sur leurs aptitudes à ramener la nation sur une voie plus paisible, acceptée par chacun.

Important pour l’économie thaïlandaise, le secteur du tourisme et des transports (entre 7 et 8 % du PIB; fournit un emploi plus ou moins directement à plus de 5 millions d’individus; plus de 22 millions de visiteurs étrangers en 2013) est directement exposé à la conjoncture politique dégradée actuelle. Si les manifestations répétées des anti-gouvernement et des «chemises rouges» dans la capitale ces derniers mois n’incitaient guère les voyageurs à faire à court terme l’expérience d’un séjour dans l’ancien Siam, l’imposition de la loi martiale le 20 mai a naturellement douché, à un mois du début des vacances estivales, les espoirs des plus curieux et intrépides; a priori, l’annonce du coup d’État militaire et l’imposition d’un couvre-feu (entre 22 heures et 5 heures du matin) devraient porter le coup de grâce à la saison touristique 2014; une autre mauvaise nouvelle dont se serait bien passée une majorité de Thaïlandais.

  

Source : Affaires-stratégiques.info

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