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Constituer une coalition pour défaire l’État islamique: quels enjeux, quelles conséquences?

Écrit par Karim Pakzad, Chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques Affaires-stratégiques.info
15.09.2014
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  • Peu de temps après avoir été sévèrement critiqué pour avoir indiqué qu’il n’avait pas de stratégie pour combattre le groupe terroriste État islamique, le président Barack Obama a annoncé son plan aux heures de grande écoute le 10 septembre 2014. (Saul Loeb/AFP/Getty Images)

Les États-Unis ont annoncé la constitution d’une large coalition face à l’État islamique sans toutefois prévoir l’intervention de troupes au sol. La réponse vous semble-t-elle adaptée aux nécessités du terrain? Quel sera le rôle de chacun? Intervenir sans l’Iran ne posera-t-il pas des difficultés?

La proposition de Barack Obama de mettre sur pied une vaste coalition internationale contre l’État islamique (EI) relève d’un constat assez simple et d’une prise de conscience de la part des États-Unis de la puissance atteinte par le groupe djihadiste. L’EI est aujourd’hui une organisation extrêmement puissante telle qu’on n’en a jamais vu dans le passé; elle contrôle aujourd’hui de vastes pans des territoires irakien et syrien, fonctionne quasiment comme un État, dispose de gigantesques moyens financiers, d’un véritable arsenal militaire qui s’est trouvé renforcé par les équipements militaires pris aux forces irakiennes. Tous ces éléments ont abouti à ce que l’organisation soit devenue le phare de toutes personnes voulant prendre les armes pour faire le djihad, ce qui lui a permis de se renforcer en effectif, et lui ont permis de défaire l’armée irakienne.

Par ailleurs, le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, s’est proclamé «khalife» et a clairement annoncé son intention de conquérir l’ensemble du monde musulman. Le ralliement des groupes djihadistes à l’EI se multiplie.

Les Américains savent bien qu’ils ne peuvent pas retourner en Irak, comme par le passé, en envoyant des milliers de soldats pour combattre l’organisation au sol. C’est pourquoi ils ont besoin des moyens et des combattants d’une vaste coalition internationale regroupant bon nombre de pays de la région pour défaire cette organisation. L’efficacité d’une telle organisation s’observe dans le succès de contre-attaques organisées par des éléments de l’armée irakienne, des forces kurdes et de milices chiites, appuyés par des bombardements et le renseignement américain.

Bon nombre de ces milices, notamment celle d’al-Badr, sont armées et entraînées par l’Iran; on est ainsi aujourd’hui en train d’observer la formation d’une coalition informelle en Irak entre les États-Unis et l’Iran, même si les responsables des deux pays le nient. Pour briser l’encerclement d’Amerli, on a vu des combattants chiites de la milice de Badr se battre au côté de soldats irakiens et kurdes alors qu’ils étaient sous la protection aérienne des États-Unis, qui bombardaient les forces de l’EI. Il y a donc un intérêt commun entre l’Iran et les États-Unis en Irak, sachant que l’EI a fait des chiites irakiens et iraniens leurs principaux ennemis.

Dans le même temps, on voit apparaître plusieurs incertitudes dans la stratégie américaine. La première d’entre elles concerne la Syrie. Il est vrai que la principale base et le gros des troupes de l’EI s’y trouvent; une intervention contre cette organisation dans ce pays devient indispensable, mais comment? Si théoriquement les Américains se retrouvent du même côté que Bachar al-Assad en s’opposant à l’EI, ils refusent bien sûr toute alliance avec le régime syrien. C’est pour cela qu’il apparaît comme peu probable que l’Iran se joigne à toute coalition internationale constituée pour défaire l’EI, si son objectif va au-delà de l’Irak.

  • Déterminé à ne pas jouer les seconds violons dans le dossier irakien, le président français, François Hollande, s’est rendu en Irak dernièrement. Le 12 septembre, il est arrivé à Irbil, la capitale de la région autonome kurde, où il a rencontré le dirigeant kurde Massoud Barzani. (Safin Hamed/AFP/Getty Images)

En effet, si l’Iran est favorable à des actions contre l’EI en Syrie, elle souhaite le faire en tant que partenaire du régime syrien. Cela risque d’être rendu encore plus compliqué avec le ralliement de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe à la coalition. L’Iran considère en effet, tout comme le gouvernement irakien, que l’EI a été fabriqué par les monarchies de Golfe pour renverser les régimes «pro-iraniens» de Bagdad et Damas.

Le bombardement de l’État islamique sur le sol syrien ne risque-t-il pas justement d’entraîner d’autres problématiques du fait de la situation politique dans le pays? Le rôle central qu’Obama a attribué dans son discours à l’opposition syrienne modérée n’est-il pas dépassé?

Obama a désormais réalisé que la force principale de l’État islamique se trouve en Syrie. En théorie, Barack Obama et Bachar al-Assad ont aujourd’hui le même ennemi : cela fait désormais deux mois que le régime syrien bombarde quotidiennement les positions de l’EI dans l’est de la Syrie alors qu’auparavant, il l’épargnait afin d’accroître les divisions au sein de l’opposition. Or les Américains ont fermement rejeté toute proposition d’alliance avec le régime syrien pour combattre les djihadistes.

Au-delà de ce point émerge une question juridique : est-il légal selon le droit international que les États-Unis bombardent les positions de l’EI sans l’accord de Damas? En effet, même si le régime syrien est banni par les Occidentaux et par certains pays arabes, il est toujours membre des Nations Unies et représente la Syrie. De ce fait, si Barack Obama ordonne le bombardement de l’EI sans accord du gouvernement syrien ou sans une résolution du Conseil de sécurité donnant ce droit, cela peut être considéré comme une ingérence, une violation de la souveraineté de la Syrie.

S’il le faisait en accord avec le gouvernement syrien, ce que les Américains ne semblent pas prêts à accepter pour le moment, la situation serait alors différente. Un bombardement des forces de l’EI sur le sol syrien est donc extrêmement compliqué à ordonner pour Obama, car Damas sera en droit de protester et même de riposter. De plus, s’il décide de se passer de l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU (les Russes ayant déjà annoncé leur opposition à toute violation de la souveraineté syrienne) pour y intervenir, Obama prend le risque de voir la Russie et l’Iran réagir.

Une dernière inconnue doit également être intégrée à l’équation. Quand on analyse la situation en Syrie, on observe trois forces se détacher du lot au sein de l’opposition. On retrouve l’État islamique, qui est le principal mouvement armé d’opposition au régime syrien. Ensuite, on trouve Al-Qaïda en Syrie (Front al-Nosra) qui, malgré ses disputes et conflits, avec l’EI rentrerait vraisemblablement en guerre à ses côtés en cas d’intervention internationale. On retrouve ensuite le Front des Moudjahidines, financé par l’Arabie saoudite, le Qatar et d’autres milieux hostiles au régime syrien : c’est le regroupement d’une dizaine d’organisations salafistes ou proches des Frères Musulmans, qui sont favorables à l’institution d’un régime islamique en Syrie, même s’ils ont pris leurs distances avec l’EI et Al-Qaïda en Syrie.

  • John Kerry, le secrétaire d’État américain, a réussi à obtenir le soutien de plusieurs pays arabes pour lutter contre l’État islamique. Kerry et ses homologues étaient à Jeddah, Arabie saoudite, le 11 septembre 2014. (Brendan Smialowski/AFP/Getty Images)

Enfin, on trouve les opposants originels au régime syrien, qui ont des convictions plus laïques et qu’on retrouve au sein du Conseil national syrien et de l’Armée syrienne libre. Le problème est que cette faction de l’opposition est aujourd’hui extrêmement marginalisée sur le terrain alors que Barack Obama a l’intention de la soutenir en formant et en équipant militairement ses hommes, ce qui prendra des mois.

 

Parallèlement, François Hollande s’est rendu en Irak et a coorganisé avec son homologue irakien une conférence sur la paix et la sécurité dans le pays. Peut-on attendre quelque chose de ce rendez-vous? Que recherche la France de par ses initiatives?

L’objectif de la France est double. Tout d’abord, le gouvernement français veut montrer aux opinions publiques française et européenne qu’il a pris conscience de la gravité de la situation en Irak et que si jamais l’EI prend racine en Irak et en Syrie le groupe djihadiste menacera ensuite le Liban (une portion du territoire libanais est aujourd’hui contrôlé par al-Nosra), l’ensemble des pays de la région mais aussi l’Europe (avec le retour des combattants originaires des pays européens dans leur pays d’origine; de 800 à 1000 Français se battraient actuellement en Syrie).

Le second objectif du gouvernement français est de lutter contre l’État islamique sur le terrain en donnant au gouvernement irakien (et aux Kurdes après l’accord préalable des autorités centrales) les moyens de se défendre en lui fournissant des armes, du renseignement, en lui donnant les moyens d’affirmer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire et enfin en aidant l’Irak à remettre sur pied son armée nationale.

Enfin, la France veut montrer qu’elle n’a pas une attitude «suiviste», qu’elle n’attend pas les Américains pour prendre ses décisions et fixer son agenda. Dès le milieu du mois d’août, Laurent Fabius avait ainsi annoncé que la France prendrait l’initiative de la fourniture d’armes aux forces irakiennes. François Hollande avait ensuite annoncé la tenue d’une conférence à Paris sur la coordination de la lutte contre l’EI et sécurité en Irak.

Source : Affaires-stratégiques.info

Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d'Epoch Times.

 

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