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La démontagnée à Peisey-Vallandry

Écrit par Christiane Goor, Charles Mahaux
22.09.2014
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  • La transhumance entre l’alpage et les plaines plus tempérées est aussi l’occasion de vivre une belle randonnée en compagnie des bergers. (Charles Mahaux)

En pays de Savoie, quelques villages nichés en altitude, à la lisière du Parc national de la Vanoise, se sont associés pour accueillir les amoureux de la montagne. Rencontre avec des hommes et des femmes qui font vivre la montagne dans le respect des traditions ancestrales.

Tout commence avec le tintement encore lointain des sonnailles. Les enfants qui attendaient, tapis sous les porches des maisons, dévalent la rue principale du village jusqu’à l’entrée du bourg, là où la route, dans une large boucle, prend son élan pour grimper vers les Lanches, toujours plus haut dans la montagne. C’est alors qu’on l’a vue descendre, une masse ondulante et bruyante de brebis, de chèvres et de vaches rousses.

C’est à peine si les premières bêtes ont eu le temps d’hésiter en débouchant sur la grand-route. Encadrées par le va-et-vient incessant des chiens, elles se sont engouffrées dans le village de Peisey, accueillies par les cris de joie des enfants. Elles marchent en file indienne, en dodelinant de la tête, comme pour mieux faire tinter le battant du caron qu’elles portent au cou, accroché à un large collier de cuir. Quelques chèvres arborent fièrement entre leurs cornes des bouquets de fleurs sauvages. Au son des centaines de cloches qui pendent à leur cou et encouragées par les gutturaux «lok-lok» poussés par les bergers, les vaches, dont plusieurs sont enrubannées de fleurs champêtres, redescendent des alpages pour s’installer dans les pâturages proches du hameau, avant l’arrivée des premières neiges.

La démontagnée

Depuis une vingtaine d’années, les villages blottis dans la vallée creusée par le Ponturin, au coeur des Alpes, vivent été comme hiver, de la migration des vacanciers venus de la ville. Que ce soit à Peisey, à Landry, à Moulins, à Vallandry ou à Nancroix, tous, ils s’ingénient à organiser des manifestations populaires pour le plus grand plaisir des touristes. La démontagnée, qui correspond à la fin de la saison de l’alpage, reste toutefois une fête authentique, celle où se rencontrent tous les villageois à l’entrée de l’automne.

  • Même si les fromageries d’alpage disposent d’infrastructures modernes, la fabrication du fromage d’alpage reste un travail artisanal. (Charles Mahaux)

Autrefois, elle était l’occasion de se retrouver, pour les fermiers venus rechercher leurs troupeaux, de quelques bêtes parfois, confiés aux soins des bergers qui les emmenaient à l’alpage pour les mois d’été. Aujourd’hui, les fermiers sont moins nombreux et leurs exploitations plus importantes, mais la fête a gardé tout son sens, le plaisir d’une rencontre festive avant que les rigueurs de l’hiver n’enferment chacun derrière les murs de sa maison.

Les dernières grandes transhumances entre la Provence et les Alpes se sont arrêtées à la fin des années 50, quand les troupeaux et les bergers se sont heurtés aux normes sanitaires dressées par les départements qu’ils traversaient. Le camion a alors remplacé les longues marches à pied. Mais au coeur des vallées de la Savoie, la tradition de la «remue», appelée encore «l’emmontagnée» continue de rythmer la vie des paysans. Chaque été, elle emmène le bétail de la vallée vers les pâturages de montagne. Le séjour des bêtes en alpage enrichit les terres et contribue à entretenir les pistes de ski car l’herbe pâturée retient mieux le manteau neigeux. Une herbe longue se coucherait sous l’effet de l’enneigement et favoriserait les avalanches.

La reine du pays

L’homme n’est pas le premier hôte de ce paysage de falaises et de pentes propices aux forêts ou aux pâturages, dentelé comme des églises, avec des champs de séracs gris, blancs ou bleus, comme les anges de la chapelle de Notre-Dame-des-Vernettes qui est, en Vanoise, un des fleurons de l’art baroque. La Tarentaise, c’est d’abord le pays des tarines, ces vaches à la robe unie et rousse, surmontées de petites cornes en forme de lyre.

Plus trapue que sa cousine du Massif central, la limousine, elle, se distingue encore par ses yeux sombres cernés d’un large trait noir. C’est une race légère, agile dans les chemins escarpés, grâce à un sabot résistant qui fait dire qu’elle a le pied montagnard. Robuste, elle peut affronter les pires écarts de température. C’est aussi une excellente laitière qui produit un lait parfumé et goûteux, enrichi des milles fleurs de l’alpage. Les belles rousses produisent en effet un fromage dont Brillat Savarin a dit qu’il était le prince des gruyères.

  • 1 - Ces cloches en bronze avec leur courroie en cuir sont portées par les vaches d’alpage et portent le joli nom de clarine. (Charles Mahaux)

Le Beaufort est sans doute un des plus soyeux et des plus fruités des fromages de montagne. On le goûte en rêvant à l’herbe grasse des alpages. À pâte ferme, à croûte brunâtre et à coeur crème et souple, il se présente sous la forme de grosses meules à talon concave. Autrefois, lorsque les vachers passaient l’été dans les alpages, réunis dans des maisons de pierre couvertes de lauzes, il fallait chaque jour transformer sur place le lait en fromage et le redescendre ensuite au village, à dos de mulets. C’est pourquoi ils fabriquaient de très gros fromages, des tommes de 25 à 50 kilogrammes. Aujourd’hui, des véhicules tout terrain grimpent plusieurs fois par semaine à l’alpage pour charger les précieuses meules et les emmener mûrir dans une cave humide et fraîche, pendant six mois au moins.

Une randonnée de deux à trois heures de marche au départ de Peisey, le long de pistes pastorales, permet de monter jusqu’aux Rossets, l’alpage de Jean Poccard. L’occasion d’admirer le geste immuable de cet artisan qui plonge encore ses deux bras dans le large chaudron de cuivre où a cuit le lait caillé puis décaillé. Il retire alors, emprisonné dans une toile de lin, les grains de fromage qu’il enferme dans un moule formé de cercles de bois de hêtre où il sera égoutté sous presse avant d’être plongé dans un bain de saumure. Le déplacement en vaut la chandelle, surtout en fin d’après-midi, quand la Grande Aiguille Rousse, qui porte si bien son nom, s’embrase des rayons dorés du soleil couchant. Magie de ces instants précieux, vécus aux côtés d’hommes et de femmes qui acceptent de partager le secret de fabrication des produits de la ferme. Intense émotion face à cette complicité sans cesse renouvelée entre le paysan, son bétail et la montagne, belle, somptueuse et savoureuse.

 

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