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Fraude immobilière – Le bon, la brute et le truand

Des acheteurs frustrés intentent des poursuites

Écrit par Olivier Chartrand et Weiya Yang, Epoch Times
29.09.2014
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  • Depuis presque deux ans, les résidents des maisons de ville du projet Bois des Caryers à LaSalle vivent dans un décor de film western et ils sont branchés sur un système d’alimentation électrique précaire et non conforme aux normes d’Hydro-Québec. (Nathalie Dieul/Époque Times)

Chemins de terre battue, poteaux de câbles électriques branlants, escaliers faits de quelques planches de bois, promoteurs victimes de fusillades, disparition de la mise de fonds des acheteurs : le projet Bois des Caryers, tout près du parc Angrignon, à LaSalle, a toutes les allures d’un western. Avec la venue d’un nouveau promoteur, la saga de ce projet aux débuts troubles pourrait arriver au dernier chapitre de son épopée, même si près de 100 acheteurs ne reverront probablement jamais leur argent.

«J’ai acheté en avril 2011. J’ai fait trois paiements, donc j’ai payé 40 500 $ en l’espace de quelques mois. Ils m’ont dit qu’ils allaient me rembourser, mais ils ne l’ont jamais fait», explique au bout du fil, Lorraine Craig, une des 87 clientes flouées par Focus Management, l’ancien promoteur immobilier du projet Bois des Caryers à LaSalle dont certains acteurs entretiennent des liens avec la mafia montréalaise.

En 2011, Mme Craig entend parler de Bois des Caryers, un projet immobilier de grande envergure à phases multiples dans l’arrondissement de LaSalle. Il comprend la construction de maisons de ville et de condos. Le projet est situé dans un quartier où le réseau de transport est accessible. L’endroit bénéficie d’une certaine proximité avec des espaces verts, le parc Angrignon, et le rapport qualité-prix est bon. Donc, le projet attire l’attention de beaucoup d’acheteurs et d’investisseurs. 

«En fait, c’était supposé être prêt en septembre 2012», continue-t-elle concernant la portion “condo” du projet immobilier nommée Le Monaco. Cependant, depuis son achat, le bureau de vente du promoteur immobilier ne fait que repousser la date d’échéance du projet en lui promettant que tout va pour le mieux.

«Depuis le début, ce n’est que des mensonges et des délais, c’est ridicule!», dit avec une pointe d’amertume la dame travaillant dans le domaine des médias.

À un certain moment, elle s’est dit qu’il y a anguille sous roche. Elle veut ravoir sa mise de fonds et elle envoie plusieurs mises en demeure à Focus Management (enregistrée sous la compagnie à numéro 9181-5712 Québec Inc.) dont les actionnaires sont Allan Schachter et Patricia Navarro. Allan Schachter œuvre dans le milieu du textile, sans avoir aucune expérience connue en immobilier. Patricia Navarro est une femme d’affaires près de Tony et Ricardo Magi, deux frères ayant des liens connus avec la mafia.

Ses lettres restent sans réponse. On va même tenter de lui faire croire qu’elle est la seule à avoir des problèmes.

«Ils m’ont dit que j’étais la seule à ne pas avoir récupéré ma mise de fonds, mais ensuite je me suis rendu compte que nous étions 87 personnes dans la même situation», développe-t-elle.

Elle intente par la suite des poursuites. «J’ai gagné mon procès en mai 2013, mais je n’ai pas pu récupérer mon argent. Ils [les promoteurs immobiliers] me disent que leurs avoirs financiers ne peuvent essuyer leurs dettes», partage Mme Craig qui a perdu dans cette histoire un total de 50 000 $ avec les frais d’avocat.

«À un certain point, nous sommes allés saisir les biens du bureau des ventes, mais ils ont vidé le bureau des ventes avant même que nous puissions le saisir», élabore-t-elle.

Au cours de cette mésaventure, Mme Craig a dû retourner pendant une certaine période dans la maison familiale pour économiser à nouveau. Elle réside maintenant à Lachine où elle a pu acheter une propriété, mais tous n’ont pas la même chance qu’elle.

De son côté M. Liu, un acheteur d’origine chinoise, avait fait un dépôt de 40 000 $. Il espérait pouvoir emménager dans les appartements du Monaco pour sa proximité avec le parc et parce qu’il s’agissait d’un établissement résidentiel à LaSalle avec ascenseur. Il a choisi le projet étant donné que lui et sa femme doivent déplacer en fauteuil roulant leur fille atteinte de déficience intellectuelle et d’incapacité physique. Chaque jour, M. Liu monte et descend les escaliers de son appartement du troisième étage avec sa fille et le fauteuil roulant dans ses bras. Fin 2012, lorsqu’il apprend le retard dans la construction du projet, il décide de prendre son mal en patience et d’attendre. Cependant, comme beaucoup d’autres, il ne reverra probablement pas la couleur du 40 000 $ qu’il avait durement gagné. Il aimerait acheter une nouvelle maison, mais il n’a plus assez de capital et perd confiance dans les promoteurs immobiliers.

Mme Ji, une autre acheteuse d’origine chinoise faisant partie d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui a déposé une plainte au poste de police de LaSalle le 13 septembre dernier, s’indigne. «Nous les avons tous acheté à peu près durant les années 2011, 2012. Vers la fin de 2012, c’était le moment où la construction devait être terminée pour qu’on emménage, mais ils n’étaient même pas encore commencés. Plusieurs d’entre nous sommes allés annuler notre contrat et reprendre notre dépôt. Ils ont été capables d’encaisser un premier chèque, mais le deuxième était sans provision. Il y en a même parmi nous qui n’ont pas encore vu un sou de leur argent. En novembre 2013, le promoteur immobilier – sans même nous aviser préalablement – a vendu le terrain sur lequel on construisait le projet.»

«À l’achat, le courtier chinois nous avait dit qu’il n’y avait aucun problème et que s’il y en avait un, l’on pourrait aller reprendre notre argent à la compagnie d’assurance, mais lorsque nous nous y sommes rendus, nous nous sommes aperçus que le numéro d’assurance-qualité était faux», s’étonne-t-elle encore.

Lorsque l’on donne une mise de fonds pour l’achat d’une propriété, les chèques doivent être destinés au notaire du promoteur immobilier afin d’éviter des problèmes de fraude comme dans ce cas-ci. Néanmoins, ce n’est pas tous les nouveaux acheteurs, et à plus forte raison s’ils sont de nouveaux arrivants, qui sont au courant de ce point.

Dans le cas de Bois des Caryers, le bureau des ventes a fait signer des chèques directement au nom de la compagnie à numéro 9181-5712 Québec inc. (aussi connu sous le nom de Focus Management).

«Honnêtement, je n’étais pas au courant que je devais faire le chèque au nom du notaire, car c’était la première fois que j’achetais une propriété. Tout le monde a fait son chèque à l’ordre de la compagnie à numéro, c’est ce qu’on nous a demandé de faire. J’étais confiante parce qu’ils avaient déjà construit une partie des maisons de ville et que la construction était en branle», raconte Mme Craig. 

  • (Nathalie Dieul/Époque Times)


Pas à un problème près

Non seulement la compagnie à numéro à l’origine de Bois des Caryers n’a pas remboursé les mises de fonds des 87 acheteurs de condos (pour un montant estimé entre 700 000 $ et 800 000 $) mais, en plus, elle n’a jamais terminé les travaux pour les résidents des maisons de ville de son projet. Les rues sont en terre battue. Certaines entrées de maison sont encadrées de clôtures de chantier de construction, et on doit passer sur une planche de bois déposée par-dessus un fossé pour entrer chez soi. En plus, les 200 résidences habitées du projet sont branchées sur une installation temporaire leur fournissant l’électricité. Le système temporaire est non sécuritaire, selon Hydro-Québec, qui menace de couper le courant à ces résidents si personne ne fait une installation en règle du système électrique.

Les acteurs derrière ce projet trouble ont aussi un passé trouble et des fréquentations peu recommandables. En fait, les frères Tony et Ricardo Magi sont les instigateurs de ce projet. Ils sont par ailleurs tous deux ex-associés de Nick Rizzuto Jr, le fils de l’ex-parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto. Nick Rizzuto Jr a été assassiné en 2009 devant les bureaux de Focus Management, la compagnie à numéro des frères Magi. Tony Magi entretenait aussi des liens avec Ducarme Joseph, ancien chef de gang assassiné au mois d’août dans le quartier Saint-Michel.

Ricardo ainsi que Patricia Navarro, une proche de Tony Magi, étaient les deux actionnaires qui ont, au départ, acheté le terrain du projet Bois des Caryers. La femme d’affaires aurait servi de prête-nom à Magi dans une transaction avec le mafieux Tony Volpato, selon le témoignage d’un ex-partenaire de Magi produit en cour, d’après un reportage de l’émission Enquête diffusée sur les ondes de Radio-Canada en janvier 2013.

Bien que Tony Magi ait son nom mentionné sur aucun papier lié au projet, il était très présent au bureau des ventes de Bois des Caryers et exerçait un pouvoir décisionnel important à toutes les étapes du projet, selon nos sources. Patricia Navarro et certains membres de l’équipe de ventes font d’ailleurs l’éloge du flair de M. Magi en tant que «visionnaire» pour repérer les bons terrains, en référence à l’emplacement du Bois des Caryers, selon nos sources.

Tony Magi a également été victime d’une tentative de meurtre, une fusillade en pleine rue, en 2008, dans le secteur de Notre-Dame-de-Grâce. Il a par la suite plaidé coupable à des accusations de possession d’arme semi-automatique sans dispositif de verrouillage en 2010.

Il est donc fort à parier que le nom de Magi mentionné à plusieurs reprises lors de la commission Charbonneau ait fait fuir plusieurs bailleurs de fonds en cours de route. Toutefois, ça n’a pas fait peur à Allan Schachter, vice-président de Cansew (entreprise spécialisée dans la fabrication de fils à coudre), qui a officiellement remplacé Ricardo Magi à la tête du projet ces dernières années. Allan Schachter a soutenu dans une entrevue accordée à La Presse que Ricardo Magi n’avait rien à voir avec le projet alors que c’était Ricardo Magi et Patricia Navarro qui étaient en premier lieu les deux actionnaires de la compagnie à numéro 9181-5712 Québec inc. M. Schachter entretenait également des liens d’affaires avec un autre homme bien connu de la commission Charbonneau et dont la mémoire fait aussi parfois défaut, Tony Accurso.

Nouveaux promoteurs

Au cours des deux dernières années, Focus Management a construit des habitations pour environ 200 familles. Depuis cette période, l’arrondissement de LaSalle a commencé à recevoir de plus en plus de plaintes concernant des retards dans la réalisation des travaux des routes, des lignes électriques et du réseau téléphonique. LaSalle a utilisé des moyens légaux afin de contraindre les promoteurs immobiliers à tenir leurs promesses et terminer les infrastructures du projet Bois des Caryers, mais tous les moyens utilisés ont été infructueux. La Ville a aussi envoyé plusieurs lettres aux habitants du projet leur expliquant la position de l’arrondissement.

Néanmoins, les lots des phases 6 à 9 ont été rachetés récemment par un nouvel entrepreneur, M. Arian Azarbar. Son arrivée semble soulager la Ville, les propriétaires vivant dans des conditions inquiétantes et plusieurs acheteurs n’ayant pas de recours contre l’ancien promoteur.

«C’est une très bonne nouvelle pour les gens qui ont acheté leur maison au Bois des Caryers, parce qu’ils avaient une connexion électrique temporaire depuis un certain temps», nous explique au téléphone Pierre Dupuis, directeur Affaires publiques et Greffe dans l’arrondissement de LaSalle.

«Alors maintenant c’est le nouveau promoteur immobilier qui paie pour les travaux, parce qu’il veut que les rues soient faites pour qu’un jour son projet de condos puisse être construit. Nous voyons que quelqu’un est enfin en train de s’occuper des travaux d’infrastructure que la Ville demande depuis deux ans!», continue M. Dupuis.

«Je suis à faire recouvrir les routes, j’ai fait installer les lampadaires, j’ai déjà payé les frais pour le réseau électrique et, dans quatre mois, l’infrastructure et les constructions seront à peu près toutes terminées», énumère le principal intéressé.

En entrevue avec Époque Times à ses bureaux de la rue Brunswick à Pointe-Claire, M. Arian Azarbar nous détaille son parcours et son implication dans le projet. Entrepreneur d’origine iranienne et latino-américaine, il a grandi à Montréal à partir de l’âge de 4 ans. Il a fait ses études au Collège John Abbott. En 2003, il est parti pour le Venezuela où il fera, entre autres, des logements sociaux pendant près de 10 ans. En 2012, il revient à Montréal, étant donné l’instabilité des dernières années dans le domaine de la construction au Venezuela, selon ce qu’il nous révèle. Il fonde Structcan, entreprise spécialisée dans les matériaux de construction. Fournisseur pour le projet Bois des Caryers, le promoteur lui devant de l’argent ainsi qu’à ses partenaires, il rachète avec ces derniers une partie des lots du projet Bois des Caryers qui est en difficulté financière.

«Comme la majorité des produits que nous manufacturons était pour ce projet-ci, mes partenaires avaient déjà travaillé sur le Bois des Caryers, mais l’ancien promoteur Allan Schachter ne nous avait pas encore payés. Toutefois, tout le monde voyait que cet emplacement géographique avait beaucoup de potentiel de développement et nous avons donc décidé de nous rassembler afin d’acheter le terrain des phases 6, 7, 8 et 9. Par la même occasion, une réduction du prix à l’achat a compensé pour les paiements qui ne nous avaient pas encore été faits par l’ancien propriétaire. Nous sommes très confiants dans ce projet, puisqu’il est situé dans un emplacement exceptionnel», relate M. Azarbar qui dit avoir subi un énorme stress depuis le début de son implication dans ce projet.

En partenariat avec Catalogna & Frère Ltée et Lambda Construction et la compagnie financière Fiscalex, il planifie entamer la construction de sa première phase de condos dans les prochaines semaines et de la terminer en juillet 2015.

Néanmoins, il soutient que jusqu’à la signature du contrat pour la vente des lots, Allan Schachter, l’ancien promoteur immobilier, ne lui aurait jamais mentionné que des acheteurs avaient déjà donné leur mise de fonds. Une source qu’il veut taire lui aurait révélé le jour même cet élément et il aurait demandé au notaire d’inclure une clause qui oblige Schachter à rembourser les acheteurs. Alors, toujours selon M. Azarbar, il aurait confronté M. Schachter qui lui aurait dit qu’il ne s’agissait que d’une valeur d’environ 150 000 $. Après la signature du contrat, M. Azarbar s’est rendu compte qu’il s’agit d’une somme entre 700 000 $ et 800 000 $.

Pour Lorraine Craig, l’arrivée de M. Azarbar est aussi un soulagement. «Il a vraiment été formidable, il fait de son mieux pour nous défendre [face à l’ancien promoteur]», partage-t-elle.

«J’ai donné deux choix aux anciens acheteurs : le premier est de me donner le droit de poursuivre Allan [Schachter] pour l’argent du dépôt, explique M. Azarbar. Dans ce cas, je représenterai tout le groupe et utiliserai tous les moyens légaux afin de poursuivre le précédent promoteur.» Il nous montre la liste d’une soixantaine d’acheteurs ayant choisi cette option.

Il nous explique que les anciens propriétaires peuvent eux-mêmes intenter des poursuites et gagner leur procès, mais l’ancien promoteur n’a pas d’actif. Donc, ils risquent de ne pas pouvoir récupérer leur investissement. «Comme j’ai en ma possession l’hypothèque d’une propriété de l’ancien promoteur [le terrain de la phase 10 du projet], il suffit que le juge donne son aval sur le transfert de la propriété de ce terrain et je pourrai alors rembourser les acheteurs», clarifie-t-il. 

«Sinon, les acheteurs peuvent transférer la somme du dépôt qu’ils avaient fait pour l’ancien projet vers l’achat d’une des nouvelles habitations que nous développons», propose-t-il. En d’autres mots, dans cette option, il va essuyer la dette de l’ancien promoteur pour faire avancer les choses.

«Il croit vraiment à son projet et j’y crois aussi, ça va vraiment être beau», conclut Lorraine Craig sur une note plus positive.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.