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L’ordre mystérieux de la beauté

Écrit par Maya Mizrahi, Michal Bleibtreu Neeman, Epoch Times
06.09.2014
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  • La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, tempera sur toile, vers 1485. (Wikimedia)

«Entre 1750 et 1930 si on demandait à des personnes cultivées de définir le but de la poésie, de l’art ou de la musique elles répondaient: la beauté. Et si on leur demandait pourquoi, elles disaient que le beau est une valeur au même titre que le vrai et le bien».

C’est ainsi que le philosophe anglais de l’esthétique Roger Scruton entame son documentaire sur la beauté Why Beauty Matters. Scruton nous explique qu’au XXe siècle l’art, l’architecture et la musique ont tourné le dos à la beauté pour célébrer la laideur et la transgression des tabous moraux. L’originalité et la volonté de choquer ont remplacé la beauté. Cette tendance nous a mené vers un désert spirituel où tout a été dépravé, de notre environnement jusqu’à notre langage et notre comportement. Cependant, la beauté existe toujours, dit-il, que ce soit dans un rayon de soleil, un souvenir d’enfance ou dans les chefs-d’œuvre du passé.

Les œuvres du passé représentent la beauté, selon Scruton car elles éveillent en nous le sentiment d’une élévation spirituelle, d’une transcendance. Le philosophe britannique donne en exemple La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli. Malgré sa nudité, explique-t-il, la déesse de l’amour n’incarne pas une sexualité mais le divin. «Elle nous invite à surmonter nos désirs et à nous unir avec elle par l’amour pur de la beauté.»

Reste la question, malgré les différences marquées du concept et du but entre l’art d’aujourd’hui et celui du passé: peut-on dire que la beauté n’existe pas?

  • La Création d’Adam de Michel-Ange, fresque de la chapelle Sixtine au Vatican. (Wikimedia)

Existe-t-il des lois du beau?

La philosophe professeure Ruth Lorand affirme que la beauté existera toujours. Dans son ouvrage Aesthetic Order: A Philosophy of Order, Beauty and Art (ndlr. Philosophie de l’ordre de la beauté et de l’art), elle explique que quand nous avons l’impression de regarder ou d’écouter une œuvre parfaite sans savoir pourquoi, c’est que nous avons fait l’expérience du beau. La beauté est une expérience dans laquelle nous avons la sensation intuitive que tout est correct et que chaque chose est à sa place. En revanche, selon Lorand, l’ordre du beau est spécifique, propre à chaque phénomène et il est impossible de trouver des lois constantes concernant la beauté.

La philosophe donne l’exemple de Marilyn Monroe: si toutes les femmes ressemblaient à Marilyn Monroe, elles ne seraient pas considérées comme belles. «C’est le paradoxe de la beauté», dit Lorand, «d’un côté cela semble ordonné mais de l’autre, il n’y a pas de loi».

Scruton explique, lui aussi, que nous ne pouvons pas saisir les lois de la beauté car la beauté est liée au sublime et au divin. Depuis l’antiquité l’homme essayait de comprendre comment la beauté nous touche. Platon disait que la beauté nous parle comme la voix divine, nous rappelle Scruton.

Il en est de la beauté comme de l’amour. Il s’agit d’une expérience qui sort de notre quotidien et à travers laquelle nous avons l’impression de rencontrer le sacré. «Ce sont les moments où nous comprenons le sacré et la nécessité qui presse les artistes de relier le beau au sacré».

«Peu à peu l’homme a perdu la spiritualité dans son rapport à l’amour ou à la mort», explique Scruton.

  • La Jeune Fille à la perle, de Johannes Vermeer, huile sur toile vers 1665. (Wikimedia)

Le modèle actuel de la beauté

Les images et les représentations de la beauté ont évolué à la suite des changements radicaux de la société, les guerres mondiales, l’émergence des démocraties, etc. Cela a entraîné des changements dans tous les domaines de la vie, précise Lorand.

Mais la beauté, selon Lorand, peut se manifester de manière plus abstraite. Les mathématiciens parlent d’ailleurs de la beauté des formules. «La beauté peut se manifester dans la signification que l’œuvre nous révèle», ajoute-t-elle.

Scruton refuse d’accepter cette idée en disant que, dans ce cas, chacun peut devenir artiste sans savoir-faire, ni compétences, ni créativité. Dans son film, Scruton compare l’œuvre de l’artiste contemporaine Tracey Emin My bed avec celle d’Eugène Delacroix Un Lit défait. Selon Scruton, le lit d’Emin véhicule la misère de la condition humaine alors que celui de Delacroix est poétique. En effet, à travers la lumière, les plis des draps et la métaphore, il crée une beauté qui est absente de l’œuvre contemporaine.

Ruth Lorand n’est pas d’accord avec Scruton répliquant que «l’art vient nous montrer ce qui est caché derrière la laideur et la faille. Les grands classiques nous montrent des expériences très dures sans essayer de les embellir. Il faut distinguer le thème de la façon dont on le traite».

«Nous trouvons magnifiques les vestiges de l’Antiquité», dit-elle. «Mais nous les voyons dans le contexte d’aujourd’hui. Nous pouvons prendre des vestiges et les assimiler au temps présent. Nous ne pouvons pas retourner dans le passé.»

Sur la question de savoir si le vrai art ne doit pas être intem-porel, Lorand répond qu’il s’agit d’un mythe. «Personne ne lit Homère aujourd’hui à part les chercheurs», s’exclame-t-elle.

Selon Lorand, même les classiques sont révisés pour pouvoir persuader les spectateurs de leur vraisemblance. «Quand vous allez écouter Bach, vous vous attendez à une nouvelle interprétation intéressante», ajoute-t-elle.

  • La Vierge aux œillets de Raphaël, peinture à l’huile sur bois, 1506 et 1507. (Wikimedia)

Le fonctionnel et la pauvreté de l’esthétique

«La fonctionnalité n’était-elle pas importante dans la Grèce antique?», riposte Lorand. «La fonction a tout simplement changé. C’est quoi la fonctionnalité? C’est adapter ce que l’on construit aux valeurs que l’on tient pour vraies. Et ça, ça existait depuis toujours. Ce qui a changé radicalement, c’est ce qui est considéré comme fonctionnel et comment les choses doivent apparaître. C’est vrai qu’il y a une pauvreté d’esprit, poursuit-elle, les gens ont beaucoup moins de connaissances. Avant un homme cultivé devait connaître le latin, le grec et la littérature.

«Bien sûr cela influence la capacité d’expression et d’associations d’idées, la richesse des images. Je vois comment mes étudiants écrivent. Les gens connaissent beaucoup moins, ils savent beaucoup moins. Il y a très peu d’associations culturelles au-delà d’ici et maintenant. Mais dans cette pauvreté on crée la beauté. On ose des mélanges, ce qu’on n’osait pas auparavant.»

Lorand donne en exemple le modèle de beauté des mannequins au look anorexique. L’image déviée de la beauté, après avoir eu des conséquences néfastes sur la santé et la moralité dans la société, a provoqué une réaction en faveur d’une image plus naturelle et saine de la féminité, explique-t-elle.

Scruton considère plutôt cette liberté comme un danger. Selon lui, la société a perdu son critère pour juger de ce qui est beau et de ce qui est laid. Le fait qu’aujourd’hui tout est légitimé pose un réel danger, clame-t-il.

Heureusement Lorand est là pour nous rassurer: «quand les normes de la beauté posent un danger nous les révisons».

 

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