Hideky Noda, le metteur en scène japonais connu en France pour sa pièce The Bee sur l'escalade de la violence après le 11 septembre à New York, a écrit et mis en scène une pièce sur le passé refoulé du Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale. 

Pendant les travaux de rénovation d’un théâtre, on retrouve le manuscrit d’une pièce de théâtre inédite du grand dramaturge Shuji Terayama, intitulée Egg. Tandis que le directeur artistique du théâtre déchiffre le manuscrit, l’histoire de la pièce prend vie sur scène. «Cela commence comme une comédie musicale de Broadway, un music-hall léger et tout bête», raconte Hideky Noda. 

Une star de Pop, une équipe de sport qui aspire participer aux Jeux olympiques, une histoire d'amour, des chansons, des chorégraphies, des mouvements perpétuels, une explosion de sons et de couleurs pour arriver finalement au passé obscur du Japon de la Deuxième Guerre mondiale.

«Au Japon, beaucoup de gens refusent encore de regarder le passé de leur pays», dit le metteur en scène Hideki Noda. Il a fallu donc trouver un moyen pour les obliger à le faire.

Hideki Noda tend un piège à ses compatriotes qui préfèrent détourner la tête et refusent d'admettre les atrocités de guerre commis par leur pays. Il mène ses spectateurs par cette histoire légère qui commence aujourd'hui, avec les stars et les stades, les tweets et les héros superficiels et saute dans le temps, en avant, en arrière, touchant les jalons de la fondation de ce Japon que nous connaissons aujourd'hui.

A travers le jeu d'Egg – d'œuf que le dramaturge japonais a inventé, il saute vers les Jeux olympiques de 1964. Ces jeux ont permis aux Japonais de réhabiliter leur passé et de faire partie du nouveau de la famille des peuples et des nations, de la communauté internationale. De 1964, Hideki Noda saute aux Jeux olympiques de 1940, annulés suite à la guerre.

Les méfaits du nationalisme

Hideki Noda nous prévient d'abord de tout ce qui concerne le divertissement de la masse. Les grands stades qui accueillent aujourd'hui les fans des chanteurs Pop où les fans de sport risquent vite de devenir les stades où germent les «nationalistes». C'est au moment de grand rassemblement au stade de sport pour encourager l'équipe d'Egg que le drapeau japonais est déployé sur la scène entière sous les cris de la masse. «Aujourd'hui le nationalisme existe partout dans le monde», dit Hideki Noda avec inquiétude.

Dans la pièce, en déchiffrant le manuscrit au fur et à mesure, le directeur du théâtre découvre que les joueurs d'Egg étaient habillés en blanc «des anges en blouse blanche» – les infirmières. Une nouvelle tournure s'impose dans l'intrigue. En fait, les protagonistes, les meilleurs joueurs de l'équipe portent les numéros 7, 3 et 1. En une occasion, ils se mettent ensemble devant les spectateurs, formant le nombre 731.

«Quand ils se mettent ensemble, dit le metteur en scène, tous les Japonais savent qu'iI s'agit de l'unité 731.»

Il s'agit d'une troupe militaire créée en 1925. Officiellement la troupe se consacrait «à la prévention des épidémies et à la purification de l'eau» mais en fait l'unité faisait des expérimentations bactériologiques et chimiques. Les cobayes n'étaient pas des singes comme on a essayé de le prétendre mais des Chinois, des Coréens, des Mongoles, des prisonniers de guerre russes et parfois aussi des Japonais.

L'unité 731 de l'armée japonaise a été implantée au Mandchoukouo en 1936. Le Mandchoukouo était un «État fantoche» que les Japonais ont fondé en Manchourie, située au nord-est de la Chine après avoir envahi cette région et l’avoir colonisée en 1932. Le Japon ne reconnaît cette unité qu'à partir de 2002.

Hideky Noda adapte une comédie musicale sucrée comme on le voit souvent à la télé japonaise pour faire avaler à son peuple la pilule amère de leur passé.

Egg, Théâtre national de Chaillot, Paris (XVIe).

Du 3 au 8 mars.