La campagne de « gestion rurale » menée par la Chine suscite un mécontentement généralisé

La politique communiste visant à accroître la production de céréales impose un fardeau supplémentaire aux communautés rurales déjà en difficulté

Par Leo Timm
17 mai 2023 07:09 Mis à jour: 17 mai 2023 07:09

Des dizaines de milliers d’agents chargés de faire respecter la loi, envoyés par Pékin, sont descendus dans les vastes campagnes chinoises pour imposer le respect des dernières exigences du régime chinois en matière d’augmentation de la production céréalière.

Plus de 2500 « équipes d’application de la loi agricole » ont mis en œuvre les nouvelles directives des autorités centrales en matière de plantation, d’élevage, d’utilisation de l’eau, de qualité et de sécurité des produits.

Il en résulte le chaos et la misère dans de nombreuses communautés, car les agents de gestion rurale, ou « nongguan » comme on les surnomme en mandarin, infligent sans scrupule de lourdes sanctions à des habitants infortunés et les privent de leurs biens pour des infractions mineures, voire inexistantes.

Des vidéos et des récits publiés sur les réseaux sociaux montrent les nongguan en train de déterrer des pousses de légumes saines, de détruire des jardins au bulldozer, de scier des arbres fruitiers ou de chasser le bétail qui, selon eux, enfreint les politiques centrales.

Des vidéos et des récits publiés sur les réseaux sociaux montrent les nongguan en train de déterrer des pousses de légumes saines, de raser des jardins, de scier des arbres fruitiers ou de chasser le bétail qui, selon eux, enfreint les politiques centrales.

Une vidéo postée début avril dans la banlieue de Yuncheng, une ville du nord de la Chine, montre un rouleau compresseur sur lequel est apposée une bannière indiquant « interdiction stricte de planter et de vendre des produits verts ». On peut voir la machine écraser une parcelle de jujubes d’hiver.

Des images tirées d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux chinois au printemps 2023 montrent des « nongguan » camouflés en train de parler aux habitants des zones rurales avant de déterrer leurs produits agricoles et leurs cultures de tabac. (Radio Free Asia)

Dans une vidéo prise à Leping, dans l’est de la Chine, une femme décrit avec amertume comment le nongguan a décidé de raser la bambouseraie qu’elle avait plantée à grand-peine et de la transformer en terres agricoles. D’autres ont déploré le comblement impitoyable de leurs étangs à poissons et les coups de bâton assénés à leurs oies. Certains agriculteurs ont déclaré avoir été contraints de vendre immédiatement leurs canards, leurs poulets et leurs porcs, quel qu’en soit le prix.

Selon des internautes chinois, les villageois doivent également payer une redevance annuelle supplémentaire de 18 yuans (2,38 €) pour les « services » des agents. Des centaines de millions de Chinois vivent avec moins de 500 yuans (environ 66 €) par mois.

Ailleurs, les habitants des zones rurales chinoises ont reçu l’ordre d’abattre les forêts qui avaient été plantées sur des terres agricoles dans le cadre de la campagne d’amélioration de l’environnement lancée par le Parti communiste chinois (PCC), et de les réaffecter à la production céréalière.

Même certaines parties de la ceinture verte, un parc écologique de 60 miles (96 km) situé dans la métropole de Chengdu, dans le sud-ouest de la Chine, sont en train d’être labourées pour être utilisées à des fins agricoles. Construite pour un coût de 34 milliards de yuans (environ 4,5 milliards d’euros) entre 2003 et 2017, la ceinture verte est une attraction populaire et bien connue de la ville.

Gérer la campagne

La combinaison d’inondations sans précédent, de sécheresses et de la saisie de terres fertiles pour alimenter le développement immobilier démesuré de la Chine a fait payer un lourd tribut aux récoltes du pays. En outre, le climat international se retournant contre le régime, Pékin espère atteindre une autosuffisance de 90% en céréales, alors que les prévisions concernant la sécurité alimentaire de la Chine s’assombrissent.

En février, le Conseil d’État, l’organe ministériel de la Chine communiste, a publié son « Document n° 1 », qui appelle à la « stabilité de la production et de l’approvisionnement en céréales et en produits agricoles importants », ainsi qu’à la réalisation par les agriculteurs chinois d’un quota de 650 millions de tonnes métriques de céréales cette année.

L’Economic Daily a également noté que la capacité agricole de la Chine continue de diminuer et que, d’ici 2032, elle passera sous la « ligne rouge » de 1,8 milliard de mu (environ 296 millions d’acres).

Cao Yaxue, rédactrice en chef du site web sur les droits de l’homme China Change, a déclaré à Epoch Times que dans son anxiété concernant la production de céréales, le « gouvernement autoritaire de Pékin sait qu’il ne suffit pas d’émettre des décrets écrits. Il doit mettre en œuvre ses exigences par la force ».

Le personnel chargé d’appliquer les directives du PCC sur la maximisation de la production céréalière fait partie des équipes globales d’application de la loi agricole (CALET ou Comprehensive Agricultural Law Enforcement Teams), un programme établi sous l’égide du ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales à la suite des réformes institutionnelles du PCC et de l’État annoncées en 2018. Selon les statistiques de l’État, il y a actuellement plus de 80.000 agents affectés à 2564 équipes d’application de la loi.

Les internautes chinois ont rapidement surnommé les équipes d’application de la gestion rurale nongguan, en référence aux tristement célèbres agents de l’administration urbaine et de l’application de la loi appelés « chengguan », ou « gestion urbaine. » Ces fonctionnaires sont connus pour leur comportement coercitif et violent, terrorisant les propriétaires de commerces en bord de route et d’autres habitants, souvent à faibles revenus, dans les rues des villes chinoises.

À l’instar des chengguan, les agents des CALET haranguent également les habitants des zones rurales au sujet de prétendues violations de l’ordre public et de l’esthétique, tout en abusant de son pouvoir. Certains paysans ont déclaré avoir reçu l’ordre de ne pas planter de cultures qui jaunissent à l’automne près des étangs parce qu’elles « ne sont pas belles » ; d’autres ont été avertis de ne pas étendre du linge dans leur cour ; et certains nongguan auraient pris la volaille de « contrebande » des villageois pour eux-mêmes.

Les agents des CALET eux-même semblent être conscient de leur réputation. Dans une vidéo, un homme en uniforme de police noir déclare : « Ce que la gestion du trafic ne peut pas contrôler, nous le contrôlons ; ce que les chengguan ne peuvent pas contrôler, nous le contrôlons aussi. Nous, les nongguan, sommes habilités par le sommet, nous agissons d’abord, nous posons des questions ensuite ».

Une autre vidéo montre des officiers nongguan brandissant des pelles, donnant apparemment des instructions aux agriculteurs sur la manière « correcte » de labourer leur sol.

Étroitesse d’esprit et contrôle du régime

Le 15 avril, le ministère de l’agriculture a publié un article sous forme de questions-réponses entre des journalistes et un « responsable » du département des Lois et Règlements du ministère.

Au cours de la session de questions-réponses, le fonctionnaire a expliqué comment les CALET ont été établies conformément aux exigences formulées lors du troisième plénum du 19e Comité central du PCC en mars 2018. La direction du Parti avait alors mandaté la création de cinq types d' »équipes d’application de la loi » chargées de l’agriculture et de la protection de l’environnement, des transports, de la culture et du marché.

Le responsable a ajouté que la mission des fonctionnaires des CALET est de réprimer la fraude et d’autres activités illégales dans les campagnes, et non pas « d’interférer avec la production normale et les moyens de subsistance des paysans. »

Cependant, la vision étroite du PCC sur la maximisation de la production de céréales à tout prix, associée à la culture politique des campagnes de masse à grande échelle, ne favorise pas une mise en œuvre harmonieuse ou humaine des objectifs déclarés du ministère de l’agriculture.

Selon Wang He, commentateur politique chinois et collaborateur de l’édition chinoise de Epoch Times, l’arrogance avec laquelle les responsables de la « gestion rurale » affichent leur statut « habilité » indique qu’ils agissent en effet avec une approbation supérieure.

Dans une analyse datée du 27 avril, Wang He note qu’en 2021, le dirigeant chinois Xi Jinping a donné une instruction explicite selon laquelle « les comités locaux du Parti et le gouvernement à tous les niveaux doivent assumer la responsabilité politique de la sécurité alimentaire ».

Cette année, les instructions données aux responsables locaux du PCC deviennent encore plus strictes. En mars, le ministère de l’agriculture a donné un ordre de mobilisation aux unités CALET à l’échelle nationale. Cet ordre faisait suite à la mise en œuvre, le 1er janvier, des « mesures globales d’application de la législation administrative pour l’agriculture » du ministère.

Pourtant, les incitations économiques de base pour les agriculteurs se heurtent aux politiques du PCC, qui considère toutes les terres agricoles comme des biens publics qui sont simplement exploités, plutôt que possédés, par les quelque 400 millions de paysans chinois.

L’agriculture, et en particulier la culture des céréales, est extrêmement peu rentable en Chine, et les paysans supportent le poids de diverses réglementations et barèmes de redevances très compliqués. Ils sont aussi souvent victimes de corruption pure et simple.

« Les agriculteurs n’ont pas la possibilité de générer des revenus », affirme Cao Yaxue, rédactrice en chef de China Change. « Cela s’explique par le fait que l’État maintient des monopoles sur tous les principaux produits agricoles.

Elle cite le cas du magnat indépendant de l’agriculture Sun Dawu — qui a été condamné à une peine de 18 ans de prison en 2021 comme exemple. En effet, loin de « revitaliser les campagnes et de moderniser l’agriculture de manière globale », comme l’affirme le ministère de l’Agriculture, les politiques rurales du Parti réduisent en fait les perspectives d’un secteur agricole prospère en Chine.

Sun Dawu était partisan de réformes rurales permettant aux agriculteurs de produire et de commercialiser leurs produits, ce que ne permet pas le système des monopoles d’État.

Mais l’histoire de la réussite de Sun Dawu, qui s’élève à plusieurs milliards de yuans et qui a été bâtie à partir de rien avec ses proches autrefois démunis, ne convaincra jamais les autorités de revoir leur façon de faire, fait remarquer Cao Yaxue dans un article publié le 30 avril.

« La seule chose que le PCC n’autorisera jamais aux agriculteurs, c’est le contrôle total de leur production », écrit-elle.

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