Conseil d’État : une dérive idéologique au cœur de la plus haute administration française ?

Par Ludovic Genin
18 mars 2024 17:57 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Garante de l’État de droit, la neutralité de la plus haute juridiction administrative du pays est remise en question au vu de ses dernières décisions juridiques. Juridiction suprême de l’ordre administratif français, le Conseil d’État a pourtant pour vocation de faire respecter la loi et de conseiller le gouvernement en toute impartialité. Dirigé par Didier-Roland Tabuteau, désigné par Emmanuel Macron en janvier 2022, l’institution a récemment confirmé la qualification du RN à l’ « extrême droite » alors que LFI était classé à « gauche ». Un « deux poids deux mesures » qui interroge sur l’impartialité du Conseil et pousse à creuser plus loin dans ses dernières décisions.

Le RN classé à l’extrême droite, LFI à « gauche »
Le Conseil d’État a rejeté le 11 mars une nouvelle requête du Rassemblement national (RN) contestant son rattachement à l’extrême droite, voulu par le ministère de l’Intérieur, pour les élections sénatoriales de septembre.

Le RN estimait que cela portait atteinte à la « sincérité du scrutin » et ne respectait pas le principe d’égalité « en ce qu’il opère une différence de traitement injustifiée » avec le Parti communiste français (PCF) et La France insoumise (LFI), classés dans le bloc de « gauche » ; lui qui cherche depuis des années à se débarrasser de l’image sulfureuse du FN. Mais les juges administratifs du Conseil d’État en ont pensé autrement, justifiant – sans se justifier- ne pas méconnaître le « principe de sincérité du scrutin» ni le «principe d’égalité» en rattachant LFI et le PCF.

Dans une tribune publiée en septembre 2023, l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl, qualifiait l’extrême droite de « courant politique de notre Histoire dont les traits sont distinctifs : antiparlementarisme, culte de la force, goût de l’uniforme et des poses martiales, mépris de la légalité, obsession de la race, antisémitisme », reconnaissant que ces caractéristiques ne sont plus celles du RN aujourd’hui.

D’un autre côté, la décision du Conseil d’État pose question, quand La France Insoumise refusait récemment de qualifier le Hamas de groupe terroriste, montrait une proximité ambiguë avec l’antisémitisme ou quand elle appelle régulièrement à une lutte violente contre les institutions et les figures de l’autorité.

En remontant l’actualité récente, on observe que le Conseil d’État n’en est pas à son premier coup d’essai, une longue liste de décisions alimente le sentiment d’une dérive politique.

Une suite de décisions mettant en doute son impartialité
Le Conseil d’État a deux missions principales en tant que plus haut juge administratif : trancher les litiges qui opposent les citoyens, les entreprises et les associations aux administrations, et rendre des avis juridiques au gouvernement et au Parlement.

En mars 2018, un professeur agrégé d’histoire du droit s’était joint à l’intervention d’un groupe musclé voulant déloger des étudiants de la Faculté de droit de Montpellier, étudiants qui bloquaient l’enseignement, menaient des actions violentes et affrontaient les forces de l’ordre. Malgré le manque d’autorité du ministère de l’Enseignement supérieur face à des étudiants minoritaires et violents, le professeur a été condamné par le tribunal correctionnel à un emprisonnement de quatorze mois, dont huit avec sursis, avec une peine d’interdiction de tout emploi public pendant un an. Saisi par le ministère de l’Enseignement supérieur, le Conseil d’État, qui aurait pu se ranger du côté du professeur, a jugé la décision trop faible et s’est aligné sur la décision du ministère d’une interdiction d’enseigner à vie – décision que l’on sait prise sous la pression des syndicats étudiants de gauche et d’extrême gauche. « Force est d’admettre que les atteintes à l’État de droit ne sont pas jugées de la même façon selon que l’on se trouve du côté de l’ordre ou de celui du désordre » avaient réagi les juristes Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas, dans une tribune du Figaro. Aucune action n’avait été entreprise cependant contre les étudiants auteurs des blocages et des actions violentes.

Dans une autre décision du 28 septembre 2022, le Conseil d’État a rejeté le recours des associations Juristes pour l’enfance et SOS Éducation concernant la « circulaire Blanquer ». Le recours concernait la question du genre à l’école, la circulaire autorisant, par exemple, un jeune garçon à exiger de ses professeurs de l’appeler par un prénom de fille si l’envie lui en prenait et ce, sans l’accord préalable des parents. «Pour le Conseil d’État, un enfant doit pouvoir choisir et imposer son genre à ses professeurs» analysait l’avocat Thibault Mercier dans le Figaro. Peu importe de savoir si l’enfant est vraiment mature, à cet âge-là, de comprendre les implications à court et long terme d’un tel choix, les magistrats ont considéré que la circulaire entendait « contribuer à la scolarisation inclusive de tous les enfants », promulguant la théorie du genre, portée par les mouvements wokistes, dans l’Éducation nationale.

En mars 2023, les militants écologistes radicaux des Soulèvements de la Terre avaient attaqué les forces de l’ordre, de manière rangée et organisée pour dégrader des installations sur la bassine de Sainte-Soline. Le Conseil d’État avait invalidé leur dissolution voulue par le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin, reconnaissant implicitement leur prétendue « désobéissance civique » – une décision aussitôt saluée par Jean-Luc Mélenchon. Dans Marianne, Jean-Éric Schoettl qualifiait cette décision de grave précédent qui ne fait que « désarmer l’État, au nom de l’État de droit, par des raisonnements inspirés de hautes abstractions, mais dont les conséquences concrètes sont d’ouvrir les vannes à la brutalité civile ». En interrogeant : « Jusqu’où le juge, par posture progressiste, prendra-t-il le parti du désordre ? »

Un dernier exemple de cette dérive idéologique, cette fois-ci dénoncée par un collectif de juristes. Dans une tribune, ils critiquaient la décision du Conseil d’État d’avoir exigé de la France d’assurer le retour d’un individu expulsé du pays en novembre 2023 et considéré par les services de renseignement comme radicalisé, « très dangereux » et représentant une menace grave pour l’ordre public et la sécurité des Français. Suite à la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le Conseil d’État avait annulé la décision du tribunal administratif et enjoint le ministre de l’Intérieur de faire revenir « dans les meilleurs délais » l’individu sur le sol français au prétexte qu’il risquait en Ouzbékistan des « traitements inhumains ou dégradants ». Au nom des principes « droits de l’hommistes » de la CEDH, le Conseil d’État a demandé de rapatrier aux frais du contribuable, un étranger radicalisé, fiché et susceptible de mener le djihad sur le sol français. Selon le collectif de juristes, ”le Conseil d’État agit ici comme bras séculier de la CEDH, faisant sienne la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et assurant aux arrêts de celle-ci la puissance de son pouvoir d’injonction et de censure à l’égard des autorités de la République.” En d’autres termes, le Conseil d’État a joué contre les intérêts de la France en imposant la vision progressiste d’un juge administratif européen appartenant à une organisation non élue se plaçant au-dessus des nations.

Et c’est bien là le problème. Le Conseil d’État n’a plus pour vocation de défendre la souveraineté nationale et les impératifs de sécurité publique, mais il applique l’idéologie d’une juridiction supranationale nébuleuse, sans mandat électoral.

Le hors-piste du Conseil d’État sur la liberté d’expression
Un dernier fait d’armes concerne des questions démocratiques plus fondamentales à notre pays. Le Conseil d’État a demandé à l’Arcom le 13 février 2024 « de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information ». D’après la présentation de la décision publiée sur son site Internet, « le Conseil d’État juge que l’Arcom ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques (mais que), elle doit veiller à ce que les chaînes assurent […] l’expression pluraliste des courants de pensées et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités » selon Les Échos. Autrement dit, un fichage politique par une autorité administrative de l’État de tous les intervenants de tous les médias – une première dans une démocratie.

Pour l’eurodeputé François-Xavier Bellamy, le rôle du Conseil d’État est  » d’empêcher l’abus de pouvoir : il décide de l’organiser. Il déserte ainsi sa mission, et les principes essentiels du droit. » Le fait qu’une seule chaîne soit visée révèle aussi le parti pris idéologique du Conseil d’État et devrait inquiéter en réalité la liberté d’expression de tous les médias. Avec cette décision de saisir l’Arcom uniquement sur Cnews, le Conseil d’État s’arroge un droit qu’il n’a jamais eu et ré-écrit la loi. « Ils vont loin, sans trop savoir où mettre les pieds » déclarait un juge administratif dans le JDD, après la séance publique concernant CNews.

Un choix stratégique du chef de l’État ?
Créé en 1799 par Napoléon Bonaparte, dans un contexte post-révolutionnaire chaotique, le Conseil d’État avait pour vocation d’aider en toute impartialité à la rédaction des futurs codes napoléoniens, posant les bases des nouvelles lois relatives au droit civil français. Une mission difficile, demandant des juges à la hauteur de la tâche, visant à retrouver l’équilibre d’un État de droit et sortir de l’anomie politique.

Aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent contre Didier-Roland Tabuteau, son vice-président, pour sa vision progressiste de la haute juridiction administrative. Le haut magistrat, désigné par Emmanuel Macron à la tête du Conseil d’État en janvier 2022, est en effet très marqué à gauche. Entre 1988 et 2002, il a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels sous Mitterrand, puis sous Jospin comme assistant puis directeur de cabinet des ministres Claude Évin, Martine Aubry et Bernard Kouchner.

Selon Europe 1, Emmanuel Macron, en le désignant, a souhaité le récompenser pour son appui politique lors de la gestion de la crise du Covid. La juridiction administrative s’était en effet distinguée en se montrant très conciliante sur les atteintes aux libertés publiques, assurant que le pass sanitaire ne portait pas «une atteinte grave et illégale au droit au respect de la vie privée».

Sur une autre affaire, un membre du Conseil d’État témoignait à Valeurs actuelles sous couvert d’anonymat, qu’une nouvelle génération avait pris le pouvoir dans la haute administration française « sous l’influence des idées woke. Leur centre de gravité se déplace vers la gauche alors que la société fait l’inverse, ce qui creuse encore le fossé », constatait-t-il. Le choix de Didier-Roland Tabuteau revenait à assumer cette vision politique à gauche et à l’extrême gauche dans le domaine juridique, à l’opposé des raisons premières de la création de cette haute juridiction.

La démocratie en question
Créé pour être indépendant du pouvoir et des partis politiques, le Conseil d’État se montre dans les faits en faveur d’une idéologie progressiste et d’extrême gauche. Un tel biais politique d’une haute administration juridique met en danger la santé d’une démocratie car elle peut empêcher l’expression d’un peuple à son autodétermination.

« Le Conseil d’État s’arroge de plus en plus des prérogatives qui paraissent empiéter sur celles d’autres pouvoirs » estimait l’avocat Jean-Philippe Delsol dans Les Echos en septembre 2021, quand l’institution suspendait les nouvelle règles de calcul du montant de l’allocation chômage, au prétexte que les conditions du marché du travail n’étaient pas réunies. Selon l’avocat et président de l’Iref, « il est au fondement des sociétés libres de veiller à la séparation des pouvoirs autant qu’au respect du droit par tous, et plus encore par ceux-là mêmes qui en sont les garants. » Ajoutant que « lorsque ces principes sont oubliés, que le droit de l’État se substitue à l’état de droit, la démocratie est en péril ». En précisant: « Quand bornes des pouvoirs sont transgressées, celles des libertés peuvent l’être bientôt. » Une prédiction qui s’avère malheureusement de plus en plus exacte aujourd’hui.

L’État de droit qui garantit la démocratie est-il bien respecté ? Le Conseil d’État, de part sa position centrale au sein du pouvoir, va-t-il à l’encontre de ses prérogatives ? Il est peut être temps, pour la santé démocratique de notre pays millénaire, de remettre en question le rôle de ces juges administratifs, devenus gouvernement de juges, au cœur de la plus haute administration juridique de l’État.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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