Coronavirus : « Plus cette maladie nous paraît mal connue, mal comprise, et plus le risque nous inquiète », explique un psychologue

14 mars 2020 10:26 Mis à jour: 15 mars 2020 12:44

La peur d’une épidémie est davantage liée à la méconnaissance d’une nouvelle maladie qu’au nombre de morts qu’elle provoque, estime Jocelyn Raude, enseignant chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des Hautes études en santé publique (EHESP).

Jocelyn Raude est l’auteur d’une thèse sur la dynamique de la perception du risque en situation épidémique.

Comment expliquer les mouvements de panique, comme les achats de précaution, constatés avec l’épidémie de coronavirus ?

J. R. :  Ce qui a été observé par les premiers épidémiologistes au XIXe siècle, c’est qu’il n’y avait pas forcément de proportionnalité entre le nombre de morts et la peur que générait cette maladie. Les nouvelles maladies, qui émergent périodiquement, suscitent énormément d’inquiétude même si elles font peu de victimes.

C’est assez paradoxal mais au début d’une épidémie, ce sont les populations qui sont les plus proches de l’épicentre des cas qui sont les moins inquiètes. Plus il y a une familiarité avec le risque, avec des gens directement touchés, moins les gens sont inquiets.

La peur, c’est presque une anticipation. Au fur et à mesure qu’une familiarité avec la maladie se crée, la peur et les comportements aberrants diminuent. A tel point que parfois il faut redynamiser les sentiments de protection parce qu’il y a un relâchement général dans la population par rapport aux mesures de protection prônées par les pouvoirs publics.

Parallèlement, dans une petite minorité de la population, apparaissent des comportements anxieux, avec des gens qui font des provisions, comme des stocks de papier toilette, alors qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement. C’est un effet de prophétie auto-réalisatrice : l’anticipation de la pénurie génère la pénurie elle-même.

Pourquoi a-t-on plus peur du coronavirus que de la grippe saisonnière ?

J. R. : On sait depuis la fin des années 70 qu’il y a essentiellement deux critères qui structurent la manière dont on perçoit les risques pour notre santé. Le premier critère, c’est le niveau de connaissance perçue de la maladie. Plus cette maladie nous paraît mal connue, mal comprise, et plus le risque nous inquiète.

Mais ce facteur peut être contrebalancé par un deuxième qui est la contrôlabilité perçue, la maîtrise de cette menace. Les moyens qu’on nous recommande en termes d’hygiène corporelle, par exemple, sont des moyens qui ont une certaine efficacité collective mais qui sur le plan individuel ne sont pas aussi performants que la vaccination pour la grippe saisonnière.

Les mesures annoncées par Emmanuel Macron sont-elles de nature à rassurer la population ?

J. R. : Sur le plan épidémiologique, c’est tout à fait fondé, l’enjeu c’est que le système de santé ne soit pas saturé, qu’on puisse traiter tout le monde dans de bonnes conditions. On va ralentir, par de l’évitement social, la propagation du virus dans la population pour permettre au système de santé de réagir de manière optimale. On va étaler la courbe épidémique dans le temps.

Ma seule inquiétude, c’est si jamais l’épidémie continue à accélérer. Est-ce qu’on n’est pas en train de vider nos dernières cartouches ? Qu’est-ce qu’on peut faire au-delà d’éviter les rassemblements collectifs ou mettre en place les mesures barrières ? On n’a plus grand chose à proposer à la population dans les étapes suivantes, si jamais ça s’accélérait.

Bien sûr, on sait que sur le plan politique il vaut mieux être maximaliste que minimaliste. A chaque fois qu’il y a eu le sentiment qu’on minimisait une maladie ou une épidémie et que ce qu’on proposait à la population était insuffisant, c’est là qu’on a eu les plus gros soucis en termes de gestion des épidémies. Mais le risque d’une option maximaliste, c’est que l’angoisse se développe parce que ces mesures seraient insuffisantes pour enrayer la dynamique épidémique.

La situation que l’on connaît aujourd’hui, c’était le lot commun de nos sociétés jusqu’au début du XXe siècle. On devait affronter très régulièrement des épidémies avec un haut niveau de mortalité, comme avec la variole ou le choléra. C’était le lot commun de l’humanité et ça le reste dans certains pays en développement.

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