Débat autour des Instituts Confucius

24 mai 2017 22:25 Mis à jour: 25 mai 2017 19:22

WASHINGTON – C’est en 2004 que le gouvernement chinois a fondé les Instituts Confucius (IC), un programme de langue dépendant du Ministère de l’éducation chinois, qui a tissé un partenariat avec des universités aux États-Unis et dans d’autres pays. Rien que sur le sol américain, les IC forment une entreprise qui gère des milliards de dollars et a des liens à travers tout le pays. Mais une question se pose : que se cache-t-il derrière cette générosité ? Le souhait de promouvoir la culture chinoise ou bien quelque chose de plus insidieux ?

Pour répondre à cette question, l’Association nationale des boursiers (NAS) aux États-Unis a commandé un rapport publié en avril : « Externalisation de la Chine : les Instituts Confucius et le soft power dans l’enseignement supérieur américain ». Le NAS, composé principalement d’enseignants universitaires en exercice et retraités, se décrit comme une association indépendante encourageant « la liberté intellectuelle et l’excellence académique dans l’enseignement supérieur américain ».

Ces dernières années, les facultés qui accueillent les instituts Confucius ont souvent fait part de leurs préoccupations : le secret autour de l’implantation de l’institut, une impossibilité de contrôle, ou encore la concurrence avec leur propre programme de langue. Le programme des IC est établi et suivi par le Bureau chinois du Conseil international des langues chinoises, plus communément appelé le Hanban, qui est sous l’autorité du Ministère de l’éducation de la Chine.

L’Université de Chicago s’est opposée à ce qu’une tierce partie soit responsable de l’embauche et de la formation des professeurs, ainsi qu’à ses liens avec le Hanban.

De nombreux articles et rapports d’experts sur la Chine critiquent le programme IC. Ils s’interrogent sur le prix qu’on doit payer pour un tel contrat qui donne beaucoup de droits  à une entité en dehors de l’université, y compris le droit d’embaucher, de former, et de payer son propre personnel selon les priorités du régime chinois, et en particulier les restrictions à la liberté d’expression et de croyance.

En 2014, l’Université de Chicago a fermé son IC après cinq ans de sa présence. L’établissement s’est opposé à ce qu’une tierce partie soit responsable de l’embauche et de la formation des professeurs, ainsi qu’à ses liens avec le Hanban.

Pour mieux comprendre le rôle des Instituts Confucius dans l’enseignement supérieur américain, Rachelle Peterson, responsable des projets de recherche au NAS, a mené une enquête sur 12  Instituts Confucius : 2 dans le New Jersey et 10 dans l’État de New York.

Cette étude a été un vrai défi à cause du manque de coopération, voire de l’hostilité rencontrée. C’est ce qu’a expliqué Rachelle Peterson en présentant ses conclusions lors d’une réunion organisée par l’Alliance Defending Freedom, le 26 avril dernier.

C’est à cette occasion que la cinéaste, Doris Liu, a présenté pour la première fois aux États-Unis son documentaire «  In the Name of Confucius ». Le film relate l’expérience personnelle de Sonia Zhao, ex-professeure de mandarin à l’IC et pratiquante de Falun Gong. L’enseignante a révélé des parties cachées du programme, ce qui a mené à la première fermeture d’un Institut Confucius en Amérique du Nord. Le film présente également des scènes controversées tournées dans le Conseil scolaire du district de Toronto (TDSB), le plus grand conseil scolaire du Canada, où le programme en question a fait l’objet de débats.

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Les IC en pleine expansion

Le Hanban dirige 103 Instituts Confucius aux États-Unis, dont la majorité fonctionne hors des universités. De plus, il est responsable de 500 Classes Confucius (CC) intégrées dans des écoles primaires et secondaires aux États-Unis. Cela représente 38 % des 1 579  IC et CC répandus à travers le monde, plaçant les États-Unis à la première place parmi d’autres pays.

Les autres pays accueillant un grand nombre de ces institutions sont le Royaume-Uni, l’Australie, l’Italie, la Corée du Sud, la Thaïlande, l’Allemagne, la Russie, le Japon et la France.

L’investissement de la Chine dans les programmes Confucius  est en pleine croissance. Aux États-Unis, leur nombre a augmenté de 35 % en un an.

La censure

Durant son enquête, Mme Peterson a senti une pression sur les enseignants chinois lorsqu’étaient abordé certains sujets censurés en Chine, tels que le massacre de la place Tiananmen, le Tibet, Taiwan, le Falun Gong et la critique en Chine de la légitimité du Parti communiste. Les enseignants qui doivent faire des rapports au Hanban, n’ont aucune liberté académique, affirme l’auteure. Même en étant en Amérique, ils peuvent être renvoyés pour avoir parlé ouvertement des sujets qui sont censurés en Chine.

Certains professeurs des IC ont confié à Mme Peterson que si le sujet de la place Tiananmen est mentionné, il convient alors de décrire la remarquable architecture de la place  au lieu d’évoquer le massacre des étudiants en 1989.

Mme Liu, a témoigné que l’Université McMaster au Canada a demandé à un étudiant tibétain de ne pas montrer le drapeau tibétain lors d’un événement qui célébrait les différentes nationalités présentes sur le campus. Il s’est avéré que l’ordre provenait du directeur de l’IC.
De plus, Mme Peterson a expliqué que les employés de l’Université publique de Caroline du Nord ont révélé que l’Institut Confucius s’était chargé d’annuler une invitation au Dalai Lama à s’exprimer sur le campus en 2009.

En 2008, l’Université de Tel Aviv a fermé prématurément une exposition étudiante sur la persécution des pratiquants de Falun Gong en Chine. Les étudiants ont fait appel à la justice, qui a découvert que le doyen de l’université avait donné l’ordre par crainte de nuire à ses relation avec l’IC.

Certains professeurs américains ont témoigné avoir été poussé à l’autocensure. Julie Wang, documentaliste à la bibliothèque d’études asiatiques de l’Université Binghamton, en a donné  un exemple. Le Hanban avait fourni de nombreuses pièces pour une exposition de costumes d’opéra chinois placées dans des vitrines. Mme Wang, qui est originaire de Chine, a fait des affichettes explicatives sur les vitrines  « Opéra de Pékin » – un  terme historique original et qui  est largement utilisé. Elle souligne que le National Performing Peking Opera utilise toujours le terme d’« Opéra de Pékin »

Mais l’Institut Confucius a insisté pour que cela soit remplacé par « Opéra de Beijing », le terme préféré par le Hanban. Un compromis a été trouvé pour utiliser « Opéra de Beijing (Pékin) ». A travers cet épisode parmi d’autres, Mme Wang  a appris à éviter les conflits: « Je m’auto-censure», a-t-elle confié, expliquant que son université travaille régulièrement avec le Hanban et qu’elle ne souhaite pas « embêter » ses collègues.

Discrimination à l’embauche

En 2011, Sonia Zhao, qui était enseignante à l’Institut Confucius de l’Université McMaster au Canada, a déclaré aux autorités de la faculté d’avoir été forcée à signer un contrat avec le  Hanban qui n’autorise pas aux employés de pratiquer le Falun Gong.

Lorsque Mme Zhao a vu le contrat qu’elle devait signer, elle a pensé qu’il était trop tard pour revenir en arrière. Elle se sentait sous pression et craignait la persécution si elle admettait sa pratique spirituelle en refusant de signer ce contrat. Sa mère était emprisonnée en Chine depuis deux ans pour pratiquer le Falun Gong.

Le Falun Gong est une pratique spirituelle très populaire qui est interdite en Chine depuis 1999, à cause de son énorme popularité et surtout son indépendance vis-à-vis de l’État-Parti chinois. Des centaines de milliers de pratiquants ont été arrêtés, torturés et assassinés. Les pratiquants emprisonnés sont exposés au risque d’être tués lors du prélèvement forcé de leurs organes, qui sont ensuite revendus sur le marché des transplantations. À l’époque, les médias officiels ont également lancé une immense campagne de propagande diffamatoire.

L’Université McMaster –  un établissement public de rechercheen Ontario au Canada – a trouvé inacceptable cette discrimination à l’embauche qui exclut les pratiquants du Falun Gong. Cela a entrainé la fin de leurs relations avec le Hanban et la fermeture de son Institut Confucius.

Aucun des 12 instituts Confucius examinés par Mme Peterson n’a révélé, ni son contrat avec le Hanban, ni les accords financiers.

– Rachelle Peterson, auteur du rapport, Outsourced to China

Manque de transparence

Aucun des 12 instituts Confucius examinés par Mme Peterson n’a révélé ni son contrat avec le Hanban ni ses sources de financement. Le NAS a dû recourir à la Loi sur la liberté d’Information via les tribunaux de New York et du New Jersey pour accéder aux contrats de huit des universités publiques.

En général, à part quelques rares exceptions, Mme Peterson a rencontré porte close, voire de l’hostilité pendant son enquête. Seulement deux directeurs sur les douze IC ont accepté une rencontre.

Le directeur de l’IC de l’Université de Binghamton a accepté une réunion et lui a écrit « n’hésitez pas à me faire savoir si vous avez besoin d’aide pour votre visite ». Mais deux jours plus tard, la rencontre a été annulée, ainsi que la réunion prévue avec des employés de l’IC. Les sollicitations ultérieures pour demander la raison de ces annulations sont restées sans réponses.

Quand Mme Peterson est arrivé à l’Institut, elle l’a trouvé fermé, lumières éteintes. Cette fermeture très inhabituelle a même surpris un membre du conseil d’administration de l’IC.

Mme Liu a fait le même constat lors de son documentaire. Souvent, « les institutions qui hébergent les IC n’avaient pas envie de participer au film, ni de parler de la polémique qui entoure les Instituts Confucius. Paradoxalement, aucun d’entre eux ne semblait s’inquiéter des controverses. Ils se vantaient plutôt de leur relation étroite avec le gouvernement chinois ».

Doris Liu, réalisatrice du film « In the Name of Confucius », présente son documentaire à l’Alliance Defending Freedom, le 26 avril 2017. (Gary Feuerberg / The Epoch Times)

Stimulation financière

Mme Peterson soulève le risque d’une dépendance financière des universités américaines envers la Chine. « Généralement, les nouveaux instituts Confucius reçoivent 150 000 dollars du Hanban au début, puis 100 000 dollars les années suivantes. » Le Hanban règle le salaire et loge chaque enseignant.

Cependant, plusieurs administrateurs d’universités accueillant des Instituts Confucius ont minimisé l’apport financier de Pékin. Ils mentionnaient aussi que l’université hôte devait  contribuer sous forme de locaux, de meubles, d’ordinateurs et d’employés.

Toutefois,  le nombre d’étudiants chinois scolarisés dans une université américaine et leurs relations étroites avec la Chine seraient compromises si l’Institut Confucius fermait. « Plusieurs contrats des Instituts Confucius examinés comprennent des accords portant sur des échanges d’étudiants et de savoir entre universités, avec des bourses d’études pour les étudiants américains venant en Chine et d’autres avantages financiers », a écrit Mme Peterson dans son rapport.

Le nombre d’étudiants chinois scolarisés dans une université américaines et les relations avec la Chine seraient compromises si son Institut Confucius fermait.

Les Instituts Confucius jouent un rôle majeur pour attirer des étudiants chinois qui payent entièrement pour l’enseignement. Leurs frais de scolarité intéressent beaucoup les universités à la recherche de ressources financières, souligne Mme Peterson. Elle cite des chiffres de l’Institut d’éducation internationale qui a dénombré 328 547 étudiants chinois inscrits aux États-Unis pendant l’année scolaire 2015-2016. Ce chiffre représente une augmentation de 525 % en 10 ans. Ils représentent à eux seuls 31,5 % des étudiants étrangers présents aux États-Unis.

En montrant des photos d’enfants pauvres dans des écoles très rudimentaires en Chine rurale, le documentaire met en cause la motivation du régime communiste chinois à dépenser des milliards de dollars par an pour éduquer à l’étranger.

Des copies d’écran du documentaire, « In the Name of Confucius », une production Mark Media. Pourquoi les élèves de Chine rurale ne bénéficient-ils pas de l’argent que le gouvernement dépense à l’étranger pour les Instituts Confucius et les classes Confucius.
Des copies d’écran du documentaire, « In the Name of Confucius », une production Mark Media. Pourquoi les élèves de Chine rurale ne bénéficient-ils pas de l’argent que le gouvernement dépense à l’étranger pour les Instituts Confucius et les classes Confucius.

Soft Power ou le « pouvoir de convaincre »

Mme Peterson ne pense pas qu’il soit nécessaire de prouver que la Chine exerce son  « soft power » –  un terme inventé par le chercheur politique Joseph Nye de Harvard, à travers la prolifération des Instituts Confucius.  Il est évident qu’une relation avec les universités américaines, y compris celles de Stanford et de Columbia, « améliore l’image de la Chine sur la scène internationale ». Mme Peterson ajoute : « Il est naïf de penser que la Chine investi des millions dans l’éducation américaine par pure générosité ».

L’auteure du rapport cite Li Changchun, responsable de la propagande du Parti communiste chinois, qui a déclaré en 2009 que les Instituts Confucius représentent « une part importante de la propagande chinoise à l’étranger ».

La cinéaste Doris Liu  explique que sur le site d’école en ligne de l’Institut Confucius, une vidéo fait référence à la guerre de Corée comme « la guerre pour résister à l’agression américaine et à aider la Corée », en louant l’héroïsme du Parti communiste. « Dans un institut Confucius canadien, les étudiants apprenaient des chants qui incitent à la haine envers les ennemis du parti communiste », a-t-elle conclut.

Version anglaise : Controversy Surrounds Confucius Institutes at American Universities

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