Derrière le départ soudain de Luca de Meo de Renault, un secteur automobile européen en crise

Par Germain de Lupiac
17 juin 2025 13:18 Mis à jour: 17 juin 2025 17:46

Après cinq ans à la tête de la marque au losange, l’italien francophone Luca de Meo va quitter la direction générale de Renault et rejoindre le géant du luxe Kering. 

Luca de Meo avait trouvé, lors de son arrivée à la tête de Renault en 2020, une entreprise traumatisée par plus d’un an de crise, dans le sillage de l’affaire de son ex-dirigeant Carlos Ghosn, entre chute des ventes et cadres dépités qui claquaient la porte. Il a su reconstruire la compétitivité du groupe en accélérant l’électrification du constructeur (également propriétaire des marques Dacia et Alpine) et sa montée en gamme pour tenter de sortir le groupe de l’ornière.

Selon les derniers résultats publiés en avril, le chiffre d’affaires de l’entreprise française est resté stable au premier trimestre, à 11,7 milliards d’euros (- 0,3 %), avec une hausse des ventes de voitures électriques et hybrides.

Le départ de Luca de Meo s’inscrit dans le sillage d’une vague de départs au sein de l’alliance avec Nissan : le groupe a officialisé mi-avril le départ de Jean-Dominique Senard du conseil d’administration du groupe japonais, dont Renault détient toujours 35 % du capital et 15 % des droits de vote. Il s’accompagne de celui de Pierre Fleuriot, représentant de la marque au losange au sein du conseil d’administration du groupe.

Principal caillou dans la chaussure de Renault, les difficultés de son partenaire japonais Nissan confronté à de grandes difficultés et qui s’est engagé dans des réductions massives d’effectifs et de capacités de production. Les deux constructeurs ont déjà considérablement assoupli leur alliance, dont le périmètre avait été limité en 2023. Ils ont annoncé fin mars un accord pour pouvoir descendre à 10 % du capital de l’autre au lieu de 15 % actuellement.

En cause également, le marché de plus en plus tendu de l’automobile en Europe, traversé par une crise existentielle due au passage à marche forcée à l’électrique et les objectifs « zéro carbone » pour 2050, alors que la Chine possède une avance technologique et industrielle majeure sur le secteur et qu’elle inonde l’Europe de ses véhicules bon marché.

Incertitudes chez Renault suite au départ de Luca de Meo

Une période d’incertitudes s’ouvre chez Renault. Luca de Meo avait négocié le virage électrique du groupe automobile français. L’annonce surprise de ce départ, dimanche soir, a pris de court les salariés. « On est tombés de notre chaise », a raconté Thomas Ouvrard, délégué syndical CGT du groupe Renault, interrogé par l’AFP.

Luca de Meo quittera le constructeur automobile le 15 juillet. « C’est comme le capitaine qui saute du navire en laissant l’équipage », déplore Thomas Ouvrard. « Notre grand patron nous a sorti une stratégie qui n’est pas forcément convaincante à 100 %, on émet des doutes, et il part du jour au lendemain. »

Aux commandes de Renault, l’Italien avait lancé en 2021 la « Renaulution », accélérant l’électrification des véhicules et leur montée en gamme, pour permettre au groupe d’accéder à une rentabilité record.

Il a été l’ « architecte du redressement du groupe » et « ce départ constitue une [mauvaise] surprise », ont commenté des analystes d’Oddo BHF, dans une note. À la Bourse de Paris, le titre plongeait de 6,95 %, à 40,05 euros, le 16 juin.

« Le marché de l’automobile est fortement déstabilisé » et « c’est une annonce qui va donner un peu d’anxiété », estime Fabrice Roze, délégué syndical CFDT. « Pourquoi un de nos dirigeants à la tête du groupe quitte l’entreprise ? Forcément, ça crée aussi de l’inquiétude. »

Selon les analystes d’Oddo, la démission de Luca de Meo « illustre, peut-être, à nouveau la difficulté pour l’automobile d’attirer et de retenir ses talents […] face à un environnement sectoriel tendu ».

« Ce qui nous inquiète, c’est l’avenir de Renault parce que concrètement aujourd’hui l’électrique ça nous fait très peur, ça ne se vend pas. Nos usines françaises, elles ont besoin de produire des véhicules », avertit Thomas Ouvrard.

Fabrice Roze insiste lui sur le besoin « d’assurer la stabilité de la stratégie. Et la stabilité industrielle du groupe, il faut qu’on reste dans la continuité, pas créer plus d’anxiété qu’il peut avoir aujourd’hui ».

La stratégie industrielle du groupe en question

Petites voitures, carburants synthétiques, nouvelles alliances industrielles : le patron de Renault Luca de Meo présentait en mars 2024 sa feuille de route au Parlement européen.

Dans cette industrie en plein virage électrique, la compétition est « déséquilibrée », affirmait M. de Meo. « Les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent », regrettait cet ancien de Fiat et Seat, qui était également président de l’Association des constructeurs européens.

« L’Europe doit inventer un modèle hybride. Cela suppose de commencer par une approche défensive, afin de garantir les conditions d’un bon démarrage et, dans un deuxième temps, de repartir à la conquête des marchés mondiaux », soulignait le dirigeant.

L’industrie automobile ne remet pas en cause le pacte vert européen, qui implique l’interdiction des moteurs thermiques en 2035, mais « elle demande que l’on repense les conditions dans lesquelles cette stratégie globale est mise en œuvre » et qu’on évite un « empilement de normes et de règles », insistait Luca de Meo.

Luca de Meo avait lancé une nouvelle gamme de voitures avec les Renault 4 et 5 en version électrique, associée à une forte réduction des coûts qui a permis au constructeur de dégager une rentabilité record en 2024 et de résister dans un secteur automobile au ralenti.

Ce plan stratégique, qui s’achève cette année, devait laisser place à un nouveau chapitre appelé « Futurama », selon Luca de Meo, qui souhaitait que Renault réinvestisse l’argent gagné ces dernières années, notamment dans l’innovation technologique.

Le cri d’alarme sur le sort de l’industrie européenne 

Les patrons de Stellantis et Renault avaient pressé l’Union européenne en mai 2025 de simplifier en urgence sa réglementation, estimant qu’elle l’empêche de proposer des voitures bon marché et menace à moyen terme leur production sur le sol européen, selon un entretien commun publié sur Le Figaro.

« Le marché automobile européen est en chute depuis maintenant cinq ans », a déclaré John Elkann, président de Stellantis, et « au rythme actuel, le marché pourrait être plus que divisé par deux » d’ici 2035.

« Le marché n’achète pas ce que l’Europe veut que nous lui vendions », a abondé Luca de Meo, directeur général de Renault : « Remplacer la totalité des volumes actuels par de l’électrique, dans ces conditions, nous n’y arriverons pas. »

« Si la trajectoire ne change pas, nous devrons prendre dans les trois ans qui viennent des décisions douloureuses pour l’appareil de production », avertissait le patron de Stellantis, pour qui « le sort de l’industrie automobile européenne se joue cette année ».

« Tous les pays dans le monde qui ont une industrie automobile s’organisent pour protéger leur marché. Sauf l’Europe », s’inquiétait le patron de Renault pour qui les différentes directions à Bruxelles ont « des stratégies contradictoires. Quand l’une exige la suppression des Pfas, les polluants éternels, ce qui est légitime, l’autre nous demande des voitures à batterie. Or, il n’y a pas de batteries sans Pfas ».

De l’automobile au luxe

Le patron de Renault part de l’automobile vers un groupe de luxe aux multiples marques, Kering, dont le monogramme phare, Gucci, traverse une mauvaise passe.

« Je ne m’enfuis pas », a lancé Luca de Meo dans un mail à ses collaborateurs de Renault. « Je reste cohérent avec la façon dont j’ai toujours abordé ma carrière : intervenir là où une transformation est nécessaire, construire des bases solides et garantir que l’organisation soit prête à prospérer au-delà de mon mandat. »

« Ce mouvement semble plus bénéfique pour Kering que préjudiciable pour le constructeur automobile français », a commenté Valentin Mory de la banque Natixis, combinant « une gestion rigoureuse des coûts avec un marketing impactant » et « une aptitude à assembler des équipes performantes, reflétant l’approche de gestion horizontale qu’il a encouragée chez Renault ».

Luca de Meo prendra ses fonctions le 15 septembre après une assemblée générale prévue le 9 septembre, indique le groupe dans un communiqué.

Plombé par la mauvaise passe de sa marque phare Gucci, qui représente 44 % du chiffre d’affaires de Kering et les deux tiers de la rentabilité opérationnelle, le groupe affiche pour le premier trimestre des ventes en baisse de 14 %, à 3,88 milliards d’euros, dans un contexte difficile pour le secteur du luxe.

En 2024, le chiffre d’affaires du groupe a plongé de 12 % à 17,19 milliards d’euros et le bénéfice net de 64 % à 1,13 milliard d’euros.

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