Pour cette ex-sympathisante de la gauche radicale, le mécanisme est insidieux. Sa prise de position, qui condamnait à la fois l’attaque du Hamas et le conflit à Gaza, a été interprétée comme un soutien controversé. Elle se dit victime d’une « cancel culture » qui l’a poussée à abandonner sa carrière.
Le klezmer relégué au musée
David Konopnicki a vécu sa propre « déflagration ». Ce guitariste de la scène indépendante souhaitait reformer son trio fusionnant rock alternatif et klezmer, cette musique traditionnelle juive d’Europe de l’Est. Quatre salles parisiennes qui l’accueillaient auparavant ont décliné sa proposition.
Les justifications varient, mais révèlent toutes une même frilosité. Une programmatrice lui confie sans détour : « Si je fais un concert juif, je vais devoir prendre quatre mecs en plus à la sécu. » Un autre responsable de salle tranche simplement : « Je ne fais plus de klezmer. »
Le musicien s’interroge : antisémitisme ou pure crainte sécuritaire ? Son concert a finalement eu lieu au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Une ironie qui ne lui échappe pas : « Je crois quand même pas avoir l’âge d’être dans un musée. »
Un climat de suspicion généralisé
Le malaise dépasse les cas individuels. Un jazzman parisien reconnu, sous couvert d’anonymat, évoque un « climat pesant » et un « maccarthysme potentiel qui est flippant ». Bien qu’il ne soit pas directement impacté professionnellement, il ressent une pression diffuse liée à son identité juive.
Cette tension traverse toute la société française. Le terme même de « maccarthysme à la française » est devenu une référence partagée, utilisé aussi bien après l’annulation initiale d’un colloque sur la Palestine au Collège de France que dans le monde artistique.
La sécurité, nouvelle contrainte permanente
Marine Goldwaser, clarinettiste spécialisée dans la culture yiddish, témoigne d’une réalité devenue quotidienne : chaque concert en France, en Allemagne ou en Pologne soulève désormais des questions sécuritaires. Plus troublant encore, elle doit adapter sa communication. « Il faut éviter le mot musique juive, rester un peu dans le brouillard pour ne pas risquer d’être ciblées. »
L’artiste déplore un « amalgame » entre culture yiddish et État d’Israël qui déforme la perception de cette musique issue d’un riche métissage. Elle a même perdu un collaborateur : un musicien avec qui elle avait conçu le projet « Noces yiddish » s’est soudainement retiré après le 7 octobre. Des heures de discussion n’y ont rien changé.
L’invisibilisation comme stratégie
Laurence Haziza, directrice artistique du festival Jazz’n’Klezmer, dont la 23e édition se déroule jusqu’au 23 novembre dans plusieurs villes françaises, observe un phénomène révélateur : une salle partenaire refuse désormais d’afficher le nom de l’événement.
Son constat est cinglant : « On est un festival français de musique juive, pas du tout un festival israélien. Des salles ont sans doute peur pour leur public mais cela déploie une toile perverse d’invisibilité sur certains artistes. »
En parallèle, des artistes israéliens comme le chanteur franco-israélien Amir font l’objet d’appels directs au boycott, tandis que des militants propalestiniens ont récemment perturbé un concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à Paris.
Une fracture profonde
Ces témoignages dessinent les contours d’une fracture qui traverse le monde artistique français. Des musiciens qui se définissent comme pacifistes se sentent « assignés » à des positions qu’ils rejettent. Leur sentiment : payer le prix d’une nuance qui n’a plus sa place dans un débat polarisé.
Difficile de mesurer précisément combien d’artistes juifs partagent cette amertume. Mais leurs récits convergent : un horizon artistique qui s’est rétréci, des portes qui se ferment, et la sensation d’évoluer dans un espace où l’identité culturelle est devenue un handicap professionnel.
Avec AFP