Entretien avec Christophe Brusset: «Les insectes en alimentation humaine présentent peu d’intérêt»

Par Ludovic Genin
8 février 2023 13:47 Mis à jour: 4 octobre 2023 09:43

Alors que la Commission européenne autorisait en janvier 2023 la mise sur le marché de poudre de grillons domestiques dans l’alimentation, la question de notre santé face au mastodonte de l’industrie agroalimentaire revient sur la table. Pourquoi vouloir incorporer de la poudre d’insectes dans le pain, les biscuits, les sauces, les pizzas ou encore les préparations de viande, est‑ce que cela répond à une nécessité impérieuse ? Peut‑on faire confiance à une industrie émaillée de plusieurs scandales sanitaires, plaçant parfois les profits avant la santé et la transparence vis‑à‑vis des consommateurs ?

Face à ces interrogations, Christophe Brusset, ingénieur dans l’agroalimentaire et auteur de plusieurs livres – dont celui à succès « Vous êtes fous d’avaler ça, un industriel de l’agroalimentaire dénonce », a répondu à nos questions.

Epoch Times : Pouvez‑vous présenter votre parcours dans l’agroalimentaire et ce qui vous a poussé à écrire votre premier livre sur les travers de l’industrie agroalimentaire ?

Christophe Brusset : Je suis ingénieur agro‑alimentaire, une formation complétée par un troisième cycle en management de la fonction achats puis un MBA. Après une courte période en tant qu’ingénieur production et projets en 1993, j’ai été acheteur, puis responsable des achats et enfin directeur des achats dans des sociétés agroalimentaires, dans des PME et de grands groupes internationaux. Je suis actuellement en charge des achats dans un groupe diversifié en Autriche.

Depuis les années 1990, j’ai constaté une concentration des distributeurs pour aboutir aujourd’hui à une situation de quasi‑monopole. Ce déséquilibre a conduit à une pression des distributeurs de plus en plus forte sur les industriels pour baisser leurs prix et in fine la qualité. En 30 ans, j’ai constaté une forte dégradation de la qualité de pratiquement tous les produits industriels que j’achetais, du miel aux épices en passant par les fruits de mer ou les surgelés.

J’ai en outre été témoin de nombreuses fraudes et c’est ce que j’ai dénoncé dans mon premier livre paru en 2015 : « Vous êtes fous d’avaler ça » qui a été immédiatement un best‑seller.

Ce livre, je l’ai écrit suite au scandale des lasagnes au cheval et à l’omerta des industriels et des politiques de l’époque. Je voulais expliquer les défaillances et la mentalité d’un système qu’il fallait changer.

Dans votre livre, vous dénonciez le peu de scrupules de certains industriels dans la chaîne de production alimentaire, quels sont les cas qui vous ont le plus marqué ?

Sans doute parce que c’était une des premières supercheries auxquelles j’étais confronté, je garde un souvenir particulier de champignons de Paris qui avaient une couleur inhabituelle, invendables en l’état, que nous avions camouflés sous de la panure.

Bien entendu, il y a eu aussi les lots d’épices contenant des rongeurs morts et leurs déjections, mais que l’on a broyé finement en intégralité pour les vendre, font qu’aujourd’hui encore, je n’achète pratiquement jamais d’épices en poudre. Une vingtaine de cas marquants sont détaillés dans le livre et les entourloupes des industriels pour les dissimuler.

Vous parlez de la Chine comme étant le plus grand producteur de contrefaçon d’aliments au monde. Est‑ce que ces produits chinois n’arrivent finalement pas en Europe, par exemple en passant par le Vietnam, sans que cela soit détectable pour les autorités sanitaires européennes ? Peut‑on parler de corruption ?

Les Chinois qui veulent frauder sont très pragmatiques et malins. Leurs produits de mauvaise qualité arrivent soit directement lorsque les contrôles sont laxistes ou que les méthodes d’analyse ne permettent pas de déceler la fraude, soit avec un faux certificat d’origine et donc, officiellement, ne sont pas indiqués comme étant chinois.

Je l’ai vécu avec des fruits de mer passant par la Turquie ou du miel par le Vietnam. Cependant les autorités européennes sont bien mieux informées qu’on ne pourrait le croire, mais ferment souvent volontairement les yeux pour ne pas déplaire à la Chine.

La corruption est un problème majeur dans les institutions européennes, et cela, depuis des décennies. De nombreuses ONG, comme l’Observatoire des Multinationales, ou Transparency Watch, le dénoncent régulièrement sans que rien ne change. Nous venons d’ailleurs d’en avoir une illustration récente avec ce que les médias ont appelé le « Qatargate ».

Les parlementaires européens sont sollicités par des États, de grandes entreprises dans tous les domaines, des milliardaires, et tout un tas de groupes de pression. C’est un problème démocratique majeur. Aujourd’hui, il y a plus de lobbyistes, donc d’agents d’influence, à Bruxelles que de membres des institutions.

L’Europe a autorisé récemment l’utilisation de la poudre de grillon sur le marché européen, dans des produits comme le pain, les biscuits, les sauces, etc. Est‑ce que cette poudre d’insectes est la première à entrer sur le marché européen ? Sommes‑nous faits pour digérer ce type de farines d’insectes ? Avons‑nous une traçabilité exacte de la provenance et de la qualité de ces insectes ?

Le grillon est le troisième insecte autorisé à la consommation humaine en Europe. Ce n’est donc pas une vraie nouveauté, mais un mouvement qui prend de l’ampleur car promu par les autorités. Les insectes sont consommés dans de nombreux pays du monde, j’en ai moi‑même goûtés un certain nombre, et cela ne pose pas de problème dans la plupart des cas. C’est cependant déconseillé en cas d’allergies aux acariens et fruits de mer. Il faut bien entendu que la production soit faite dans de bonnes conditions.

Cependant, selon moi, les insectes en alimentation humaine ne présentent que peu d’intérêt. Nous ne manquons pas de sources alimentaires de qualité animales ou végétales, même si les modes de production doivent être améliorés. Par contre, c’est une alternative écologiquement valable en alimentation animale, par exemple pour éviter la surpêche (en remplacement de la farine de poisson en pisciculture).

L’UE souhaite réduire l’empreinte écologique de l’agriculture et pense que les insectes peuvent y contribuer. Ils demandent peu d’espace, peu d’eau, croissent rapidement, consomment des sous‑produits voire des déchets, sont riches en protéines de qualité, etc.

Vous publiez dans votre livre un « Guide de survie en magasin », pouvez‑vous rappeler quelques conseils à nos lecteurs dans le choix de produits ? Pourquoi est‑ce si important de bien s’alimenter ?

La malbouffe est aujourd’hui la première cause de mortalité au monde selon l’OMS. Bien s’alimenter est un investissement santé. Pour cela, il faut limiter sa consommation de produits industriels ultra‑transformés car ils contiennent trop d’additifs, sont souvent déséquilibrés nutritionnellement, pauvres en nutriments et ont perdu leur effet matrice.

Il faut bien entendu limiter les aliments sucrés, surtout ceux riches en fructose, trop salés et gras. L’idéal est de cuisiner des produits bruts et frais le plus possible.

Le Nutriscore ou les applications sur smartphone, sont des outils utiles pour se repérer dans la jungle des étiquettes.

(Avec l’aimable autorisation de Christophe Brusset)

Enfin, quelle est votre actualité aujourd’hui ? Avez‑vous vu les pratiques évoluer depuis que vous avez sorti votre premier livre ?

Je suis toujours en activité et je travaille surtout pour les produits vivants, les traitements des cultures bio et les vaccins pour animaux. De nombreux lecteurs de la première heure m’ont dit qu’ils avaient changé leurs habitudes de consommation grâce à mes livres et j’en suis infiniment fier et heureux. J’ai publié quatre livres aujourd’hui, dont un sur le bio, et le dernier sur les pratiques d’intimidation et de pression des lobbies et des industriels :« La malbouffe contre‑attaque ».

Depuis 2015, j’ai constaté que les consommateurs et des médias avaient réellement pris conscience de l’importance de l’alimentation et qu’ils devaient se méfier des produits industriels. Aujourd’hui, mon message, également suite aux récents scandales (fipronil, Buitoni, Kinder, Lactalis, etc.) est mieux accueilli, sauf par les industriels et la très grande majorité des politiques malheureusement.

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