Et si la musique était la nourriture de l’art

Par Michelle Plastrik
27 avril 2023 06:49 Mis à jour: 27 avril 2023 08:59

William Shakespeare a écrit une phrase célèbre : « Si la musique est la pâture de l’amour, jouez encore, donnez m’en jusqu’à l’excès, en sorte que ma faim gavée languisse et meure ». Ce même sentiment pourrait s’appliquer à la musique en tant que carburant et source d’inspiration pour les beaux-arts.

La musique a été une muse pour les artistes depuis l’Antiquité et au cours des siècles qui ont suivi, les musiciens et les chanteurs étant dépeints comme des conteurs, des divinités et des mythes. L’examen d’une sélection d’œuvres d’art historiques à travers le prisme de la musique permet une compréhension et une appréciation uniques de la musique et des périodes artistiques.

Le harpiste cycladique

Le « Joueur de harpe assis en marbre », 2800-2700 avant J.-C., Cycladique. Marbre. Metropolitan Museum of Art, New York. (domaine public)

L’œuvre d’art cycladique « Joueur de harpe assis en marbre » date du troisième millénaire avant J.-C. Elle aurait été trouvée sur l’actuelle île grecque de Naxos, historiquement réputée pour la qualité de son marbre. Cette sculpture est l’une des plus anciennes représentations connues d’un musicien. À l’origine, l’œuvre d’art en marbre était peinte avec des ornements. Des analyses scientifiques ont révélé que les sculptures en marbre de la période cycladique étaient généralement peintes avec des pigments à base de minéraux, tels que le cinabre (rouge) et l’azurite (bleu).

Le joueur de harpe assis en marbre représente un personnage masculin assis sur une chaise à haut dossier et jouant d’un instrument à cordes ressemblant à une harpe. La harpe est l’un des plus anciens instruments de musique au monde, l’exemple le plus ancien datant d’environ 2600 ans avant J.-C. Le modelage minutieux des bras musclés et des doigts articulés du joueur de harpe donne au spectateur l’impression qu’il est un musicien doté d’une grande puissance. Son pouce droit est représenté en position levée, ce qui suggère qu’il joue une note. Le musicien semble chanter en s’accompagnant, la tête penchée en arrière et les lèvres en avant.

Cette sculpture attachante rappelle l’époque d’Homère où, avant d’écrire, des poèmes épiques étaient composés et transmis oralement sur une musique d’accompagnement. Cette tradition orale a permis de préserver le passé mythique. Toutefois, cette sculpture a été réalisée vingt siècles avant Homère, ce qui renforce l’importance séculaire et épique du rôle de la musique dans la société. Peut-être, comme le suggère l’audio en ligne du Metropolitan Museum of Art, « ce joueur de harpe a également enseigné la sagesse et l’histoire aux gens du commun, en chantant pendant de longues soirées alors qu’ils étaient assis tout autour de lui ».

Chœur d’anges

« Retable de Gand », 1432, Hubert et Jan van Eyck. Huile sur bois. Cathédrale Saint-Bavon, Gand, Belgique. (domaine public)

Dans les années 1400, la plupart des œuvres d’art produites en Europe étaient encore de style médiéval. Un groupe d’artistes flamands, en phase de transition vers la Renaissance, crée des œuvres d’art au réalisme détaillé, aux techniques artistiques innovantes et sophistiquées, et au symbolisme complexe. L’un de ces peintres du début de la Renaissance nordique était Jan van Eyck.

Bien que les spécialistes ne considèrent plus van Eyck comme l’inventeur de la peinture à l’huile, il a utilisé et manipulé ce médium avec un effet singulier et spectaculaire. C’est ce que montre son chef-d’œuvre monumental, le « Retable de Gand », commandé pour la cathédrale Saint-Bavon de Gand et encore conservé aujourd’hui, malgré des siècles de pillage, de vol et de quasi-destruction.

Cette première grande peinture à l’huile emblématique de l’histoire de l’art est riche en iconographie catholique et en détails minutieux. Le retable présente des caractéristiques et des techniques artistiques exceptionnelles, notamment la représentation très réaliste de tissus d’époque, de sculptures en fausse pierre et en imitation bois, la perspective atmosphérique – qui marque la profondeur de l’espace – et pas moins de 75 types de fleurs, d’arbres et de fruits identifiables et chargés de symbolisme chrétien.

Deux panneaux supérieurs du « Retable de Gand » illustrent des anges occupés à des activités musicales représentant la musique céleste. À gauche, les anges se tiennent autour d’un lutrin embelli qui tient un manuscrit ouvert. Les quelques notes représentées sont écrites en notation mensurale – système de notation musicale utilisé dans la musique européenne lors de la Renaissance, plus précisément de la fin du XIIIe siècle jusqu’à environ 1600 – caractéristique de la musique polyphonique (combinaison simultanée de deux ou plusieurs lignes mélodiques de même importance jouées en même temps). Ce type de musique, avec sa sonorité transcendante, était populaire à l’époque de van Eyck. Si les experts ne peuvent pas identifier le morceau de musique exact que chantent les anges, ils peuvent discerner la hauteur vocale de chacun d’entre eux grâce aux expressions faciales et aux positions de la bouche soigneusement modulées.

Détail des anges dans les panneaux gauche et droit du « Retable de Gand », 1432, Hubert et Jan van Eyck. Cathédrale Saint-Bavon, Gand, Belgique. (domaine public)

Sur le panneau de droite, un deuxième groupe d’anges jouant d’un instrument accompagne les anges qui chantent. Le spectateur peut à peine distinguer un ange actionnant les soufflets de l’orgue. L’orgue, qui domine ce panneau, remonte à l’Antiquité et était à l’origine utilisé pour la musique profane, avant de devenir un instrument d’église important au cours du Moyen Âge. La harpe, également représentée sur ce panneau, était populaire à cette époque et était associée aux histoires d’amour courtois des troubadours (compositeurs et interprètes de poésie lyrique).

La harpe du « Retable de Gand », est représentée de manière si réaliste que l’observateur peut distinguer les cordes épaisses et fines de l’instrument, qui produisent des sons variés. En effet, l’artiste peint les instruments de manière si réaliste que les chercheurs peuvent identifier le type de bois dans lequel ils ont été fabriqués. Étant donné que peu d’instruments de musique datant de l’époque de van Eyck ont été conservés, les peintures telles que le « Retable de Gand », constituent une ressource inestimable.

Les musiciens du Caravage

« Les musiciens », 1597, par Le Caravage. Huile sur toile. The Metropolitan Museum of Art, New York City. (Domaine public)

Le génie incontesté du peintre baroque et méridional (Italie et Espagne), Michelangelo Merisi da Caravaggio, est de s’être inspiré de la maîtrise de la peinture à l’huile des artistes flamands antérieurs.

Le Caravage est l’un des artistes les plus influents de l’histoire. Son premier tableau est composé de multiples portraits – les œuvres précédentes de Caravage concernaient un seul personnage. « Les musiciens » utilise une représentation du mythique Cupidon ailé cueillant des raisins pour présenter le tableau comme une allégorie de la musique et de l’amour. L’artiste combine ce cadre avec des influences contemporaines, notamment des modèles de représentation musicale de la fin du XVIe siècle et un autoportrait (deuxième jeune homme à partir de la droite). L’historien de l’art Andrew Graham-Dixon explique dans sa biographie de l’artiste, « Caravaggio : A Life Sacred and Profane » (Caravage : une vie sacrée et profane), que cette œuvre est novatrice, car pour la première fois dans l’histoire de l’art, un artiste représente les préparatifs d’un concert plutôt qu’une représentation proprement dite. Cette peinture ne correspond donc pas aux archétypes des peintures musicales ou pastorales vénitiennes du XVIe siècle.

Le cardinal Francesco Maria del Monte, mécène du Caravage, a probablement été à l’origine de cette scène complexe et ambiguë, particulièrement resserrée. Le cardinal del Monte, un ardent défenseur de la musique et des beaux-arts, s’intéressait aux styles innovants. Sa commande du tableau, « Les musiciens », a été accrochée dans une pièce utilisée spécifiquement pour des concerts privés dans son palais romain.

Ce tableau incarne l’abandon de la polyphonie médiévale, telle qu’interprétée par les anges du « Retable de Gand », au profit d’un renouveau du style monodique (qui est à une seule voix ou note à la fois) de l’Antiquité classique, à partir du XVIe siècle. Andrew Graham-Dixon explique que la peinture du récital, « Les musiciens », innove en mettant en scène une voix unique accompagnée d’instruments, dont le luth, qui occupe une place prépondérante.

Un chant d’amour

« Le chant d’amour », 1868-77, par Sir Edward Burne-Jones. Huile sur toile. The Metropolitan Museum of Art, New York City. (domaine public)

La confrérie préraphaélite, née en Angleterre en 1848, était un groupe d’artistes qui cherchaient à imiter le style des artistes européens antérieurs à l’époque de Raphaël. Leurs œuvres, aux détails exquis et à la beauté décorative, représentent fréquemment des sujets tirés de la littérature et de la poésie, souvent axés sur le thème de l’amour.

Sir Edward Burne-Jones, membre du groupe, s’est particulièrement inspiré de l’art médiéval, des mythes et de la religion. Son tableau, « Le chant d’amour », un thème et une composition qu’il a explorés à plusieurs reprises pendant 15 ans, représente une scène de musique et s’inspire d’une vieille chanson française dont les paroles sont : « Hélas ! je sais un chant d’amour, / Triste ou gai, tour à tour ».

Contrairement à « Les musiciens » du Caravage, Edward Burne-Jones évoque dans « Le chant d’amour » des scènes pastorales de la Renaissance vénitienne, richement colorées et sensuelles. Katharine Baetjer, conservatrice émérite, explique dans l’audio en ligne du Met que la composition de cette peinture, avec trois personnages au premier plan, rappelle un vitrail médiéval.

Devant ce trio, se dessine une bordure de fleurs représentant l’amertume et l’amour. Le chevalier amoureux, peut-être un substitut d’Edward Burne-Jones, est assis à gauche. Une jeune fille jouant de l’orgue à tuyaux semble ignorer son admirateur. Une fois de plus, l’inclusion de Cupidon, qui dans cette œuvre porte un ensemble de draperies antiques et une fronde de flèches inutilisées alors qu’il presse le soufflet de l’orgue, représente le lien allégorique entre la musique et l’amour.

On peut apprécier la beauté et l’importance de chacune de ces quatre œuvres d’art, indépendamment de leurs caractéristiques musicales propres. Cependant, la connaissance d’une partie du contexte musical peut nous permettre de vivre une expérience plus enrichissante dans le domaine de l’art.

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