ÉTATS-UNIS

États-Unis : le chercheur présenté dans le documentaire « 2000 Mules » explique comment une fraude électorale locale a pris une ampleur nationale

mai 5, 2022 22:33, Last Updated: mai 5, 2022 22:33
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La fraude électorale a traditionnellement été une affaire locale aux États-Unis, où les élections sont organisées par plus de 3 000 comtés dans un système décentralisé qui rend la manipulation massive des bulletins de vote extrêmement compliquée.

Et c’est toujours le cas, affirme Gregg Phillips. Son enquête sur la fraude électorale en Géorgie lors du second tour des élections sénatoriales américaines de 2021 est présentée dans le documentaire « 2000 Mules » de Dinesh D’Souza, sorti cette semaine en salle.

Alors qu’il était responsable de la ligne d’assistance téléphonique de True the Vote, un collectif enquêtant sur la fraude électorale de 2020, Gregg Phillips déclare avoir observé une fraude électorale locale « qui a pris de l’ampleur » via un système de trafic de bulletins de vote géré par des organismes nationaux.

Gregg Phillips du Groupe OPSEC. (Courtoisie de Gregg Phillips)

Le trafic de bulletins de vote désigne un phénomène où les bulletins de vote par correspondance et les votes sont achetés ou requis en échange d’un service ou autre.

Dans tout le pays, « il y a un millier d’insubordinations locales qui suivent leurs plans » au mépris des lois électorales des États, dit-il.

Mais ce qui s’est passé au cours des dernières décennies, et qui est devenu évident lors de l’élection de 2020, c’est que « le nouvel argent et l’ancien argent, les fondations anciennes, ont tiré parti de la fraude déjà en place au niveau local », déclare M. Phillips. « C’est ainsi que le phénomène s’est développé et a pris de l’ampleur ». Désormais, la fraude n’impacte pas seulement les résultats des élections à l’échelle des États, mais bien à un niveau national.

M. Phillips, ancien directeur du département des services sociaux du Mississippi et ancien commissaire adjoint de la commission de la santé et des services sociaux du Texas, est le directeur associé et le propriétaire majoritaire d’une entreprise nommée OPSEC Group LLC, basée à Birmingham, en Alabama, spécialisée dans la cybersécurité.

OPSEC mène des enquêtes et des analyses sur les listes électorales et les résultats des élections pour True the Vote (TTV), une organisation à but non lucratif basée à Houston et fondée par Catherine Engelbrecht en 2010.

Depuis plus de dix ans, TTV forme des observateurs de bureaux de vote, informe les électeurs sur la législation électorale. Depuis 2020 TTV fait du lobbying pour faire adopter un grand nombre des réformes, dont beaucoup sont passées.

TTV et OPSEC ont mené l’enquête présentée dans le documentaire de Dinesh D’Souza, sorti dans 300 cinémas les 2 et 4 mai.

En ce qui concerne les élections de 2020, beaucoup de renseignements sont remontés de toute part jusqu’à TTV, au point que l’équipe a décidé d’initier une enquête, explique M. Phillips.

Selon lui et Mme Engelbrecht, cette enquête prouve qu’un trafic de votes a eu lieu à grande échelle lors de l’élection de 2020.

« Nous avons commencé à voir ces anomalies dans de nombreux bureaux de vote dans des endroits comme Milwaukee, Detroit, Atlanta et le comté de Maricopa en Arizona, où la participation électorale était extraordinairement élevée et où pratiquement tous les bulletins de vote étaient déposés pour les mêmes candidats. »

Les bulletins de vote par correspondance dans leurs enveloppes attendent d’être traités au centre de traitement des bulletins de vote par correspondance du Los Angeles County Registrar Recorders au Pomona Fairplex à Pomona, en Californie, le 28 octobre 2020. (ROBYN BECK/AFP via Getty Images)

« Des erreurs peuvent se produire, mais lorsque 100 % des électeurs inscrits votent pour les mêmes candidats, il y a quelque chose de louche. »

À travers tout le pays des personnes ont contacté TTV par téléphone pour signaler des phénomènes suspects autour des urnes. Le plus souvent, il s’agissait d’un individu qui venait et revenait de nombreuses fois pour déposer des bulletins de vote dans les boîtes de dépôt mises à disposition pour les votes à distance.

« Il y a eu beaucoup de spéculations sur des choses liées aux urnes, beaucoup de vidéos autour de ces urnes », explique M. Phillips, mais il était difficile d’utiliser ces films pour vraiment prouver la fraude.

C’est alors qu’il a eu une idée : l’analyse géospatiale à partir des données des téléphones portables.

Chaque téléphone portable émet des signaux qui lui sont spécifiques et identifiables, des « pings ». Les pings servent à renseigner la position du téléphone sur le réseau. Ils sont collectés et compactés et peuvent ensuite être vendus en lots auprès de compagnies spécialisées.

En collectant les données des téléphones cellulaires, « vous savez non seulement où, mais aussi quand » un téléphone se trouve ici ou là, explique M. Phillips. « En supposant que vous connaissez la personne à qui appartient ce téléphone, vous pouvez voir où cette personne dort et où elle travaille. »

Il était impatient de découvrir ce qu’engendrerait l’analyse des pings des téléphones portables autour des boîtes de dépôt. Les numéros de téléphone ont été identifiés et les enquêteurs « ont pu revenir en arrière [au moment des élections] et établir un schéma des endroits [où se trouvaient certains téléphones] avant, pendant et après » être passé près d’une boîte de dépôt.

Ils ont ensuite « affiné une hypothèse qui [pourrait être testée] en Géorgie » lors du second tour des élections de janvier 2021 pour les deux sièges de sénateur de l’État.

L’opération nécessiterait l’achat d’un pétaoctet de pings. Un pétaoctet équivaut à 1 000 téraoctets, ou un million de milliards d’octets.

« C’est vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup », explique M. Phillips

« [Mme Engelbrecht] et son équipe travaillaient à déposer des demandes au nom du droit d’accès à l’information. Elle ne croyait pas vraiment à tout ce qui circulait. Mais elle nous a soutenus tout du long et lorsque nous avions besoin de plus de données, elle est allée chercher plus d’argent. »

Catherine Engelbrecht, fondatrice de True the Vote, témoigne devant la commission judiciaire du Sénat le 29 janvier 2015. (Capture d’écran/CSPAN)

Les lots de pings étaient « extrêmement chers », des millions de dollars, signale M. Phillips. « Il se peut que nous soyons le seul groupe encore debout lorsque tout sera terminé à avoir acheté 10 billions de pings. »

Un billion équivaut à mille milliards, soit 10 puissance 12. Une fois que l’équipe a récupéré les données, il a fallu les analyser pour repérer les individus qui avaient visité une boîte de dépôt au moins 25 fois.

« Il nous restait 242 personnes ayant atteint ce seuil. »

TTV a également recueilli « 4 à 5 millions de minutes » de vidéo qui montrent également les propriétaires des téléphones portables en train de déposer des bulletins de vote. Ceux qui l’ont fait 25 fois ou plus ont été surnommés des « mules ».

Les données ont confirmé de manière concluante que le trafic des bulletins à l’échelle industrielle était une routine en Géorgie, en particulier dans la région d’Atlanta. M. Phillips explique que Mme Englebrecht a exigé que cela soit vérifié et revérifié.

« Elle n’a cessé de répéter : ‘Gregg, quoi qu’il arrive, tu ne peux pas te tromper.’ »

« Nous avons donc dû soumettre ces données à des contrôles pour vérifier leur fiabilité, créer des algorithmes pour détecter les anomalies et les éliminer. Nous ne voulions pas inclure de faux positifs, exclure des personnes qui devraient être incluses ou inclure des personnes qui devraient être exclues.

« ‘Nous ne nous lancerons pas avant d’être vraiment prêts », raconte Mme Englebrecht à son tour. ‘Cela prend du temps’ pour développer ces analyses. »

Lorsque les conclusions ont été présentées aux responsables de l’État au début de 2021, elles n’ont pas reçu l’accueil attendu. En septembre 2021, le directeur du Georgia Bureau of Investigation, Vic Reynolds, a fait savoir que TTV ne voulant pas révéler les sources citées dans son analyse, il n’y avait pas de « cause probable » pour lancer une enquête. [En droit pénal américain, la cause probable est la norme selon laquelle les autorités policières ont des raisons d’obtenir un mandat d’arrêt, ndlr.]

« Ils se sont fâchés contre nous et nous ont envoyé une lettre disant qu’il n’y avait pas de cause probable– mais il n’y a pas besoin d’une cause probable pour enquêter », poursuit M. Phillips.

Le 25 avril, le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, a annoncé que l’État allait enquêter sur les allégations de TTV et a cité Mme Englebrecht et M. Phillips à comparaître.

Mme Engelbrecht se souvient : « Je pense que le plus grand défi auquel nous avons été confrontés était que nous croyions vraiment que nous pouvions amener notre travail à un point où il était clair qu’il y avait un problème, que l’utilisation de nos données [collectées via la même technologie] que celle des forces de l’ordre serait un élan suffisant pour que les fonctionnaires clés disent, ‘C’est quelque chose que nous devrions examiner.’ »

Une des raisons du regain d’intérêt de la Géorgie pour l’enquête de 2021 de TTV – et ses sources – est que des enquêtes géospatiales ultérieures similaires menées par M. Phillips ont suscité l’intérêt des autorités de l’Arizona, du Wisconsin et de la Pennsylvanie.

Selon M. Phillips, le trafic des bulletins de vote est une pratique locale qui a lieu partout où des boîtes de dépôt de bulletins de vote à distance sont installées.

D’un comté à l’autre, « les escroqueries sont différentes, les collecteurs et les méthodes de collecte sont différents », ajoute M. Phillips. « On se demande comment cela peut être si coordonné. Il ne semble pas plausible que des milliers de personnes aient pu être amenées à faire tout cela. »

La lutte contre la fraude électorale « guerre à mille fronts », chaque endroit fournit une parcelle de l’infrastructure nécessaire pour que se développent des organismes nationaux.

M. Phillips précise qu’il ne peut pas citer de noms pour le moment : « On nous conseille pour l’instant de ne pas faire d’allégations spécifiques tant que nous ne sommes pas plus avancés. »

Il indique néanmoins que les organismes qui s’investissent dans les réseaux locaux de fraude électorale sont généralement des filiales qui couvrent un État pour de groupes de défense nationaux ou des très influentes associations avec des programmes de subventions.

« Je suis allée voir Dinesh et je lui ai dit qu’il y avait assez de matière ici pour un film, et que je n’étais pas sûre que quelqu’un d’autre puisse raconter cette histoire », explique Mme Englebrecht. « Il est très difficile, dans l’environnement actuel, de trouver des personnes comme Dinesh prêtes à franchir le pas et à dire : ‘Regardons cela.’ »

M. Phillips ajoute : « Nous avons tous les deux finis par être beaucoup plus impliqués dans ce film que nous le pensions. La nouvelle chose que nous venons de comprendre, c’est que nous sommes à l’avant et au centre. »

D’autres éléments vont encore émerger.

« Nous avons deux enquêtes qui sont plus explosives et ont probablement un impact bien plus important que toute cette histoire de mules », annonce M. Phillips.

« Il y a une chose dont nous n’avons pas parlé publiquement parce que nous pensions qu’elle allait dans une certaine direction, et maintenant il y a cet organisme qui renverse le scénario, alors nous nous préparons pour affronter la tempête « , poursuit Mme Englebrecht. « Dans ce type de situation, on n’a pas le droit à l’erreur. »

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