Un ex-militaire chinois ayant démissionné après le massacre œuvre pour la démocratie

4 juin 2016 19:58 Mis à jour: 5 juin 2016 02:16

Des punaises de lit, s’est dit Luo Yu lorsqu’il s’est fait réveiller par une sensation de morsure tard dans la nuit du 3 juin 1989. Luo, un colonel et directeur du bureau de l’équipement d’aviation de l’état-major de l’Armée populaire de libération (APL), a allumé les lumières, vérifié les draps mais n’a rien trouvé.

Les mystérieuses morsures d’insectes et les sons intermittents de « Ta ! Ta ! Ta ! » qui semblaient venir du quartier Jianguomen près de la place Tiananmen ont tenu Luo réveillé le reste de la nuit.

Au petit-déjeuner, un domestique a dit à Luo Yu et à sa mère que des véhicules militaires brûlaient dans les rues.

Luo a réalisé que c’étaient des coups de feu qu’il avait entendus durant la nuit. Plus tard ce jour-là, avant de prendre son vol prévu vers Paris pour participer à une exposition militaire, un média officiel a confirmé les soupçons de Luo : l’APL avait ouvert le feu sur les étudiants et les citoyens prodémocratie qui avaient occupé la place Tiananmen pendant environ sept semaines.

Luo Yu, maintenant âgé de 71 ans, avait enduré les ravages sur sa famille causés par le Parti communiste durant la Révolution culturelle (1966-1976).

À la suite de cette période, avec désarroi, il a observé la Chine s’ouvrir sur le plan économique, entraînant la malfaisance des fonctionnaires et le déclin rapide de la moralité des Chinois.

Il a perdu tout espoir dans le Parti communiste lorsque son armée a versé le sang des Chinois devant une enceinte impériale historique le 4 juin 1989.

Avec son ascendance révolutionnaire, Luo aurait pu grimper les plus hauts échelons de la hiérarchie militaire et accumuler une immense fortune personnelle. Son père, Luo Ruiqing, a supervisé l’établissement du système de camps de travail forcé et avait signé les mandats d’exécution pour éliminer des millions de « contre-révolutionnaires », soit les ennemis politiques réels ou imaginaires du Parti.

Luo Yu a plutôt choisi de démissionner des forces armées et du Parti, puis il a quitté la Chine et la vie publique en 1990 dans la plus grande discrétion.

Luo Yu, fils du révolutionnaire communiste chinois Luo Ruiqing (NTD Television)
Luo Yu, fils du révolutionnaire communiste chinois Luo Ruiqing (NTD Television)

Plusieurs années plus tard, Luo a refait surface avec des mots pesants : dans ses mémoires qui ont connu un succès de librairie, il remémore ses interactions et son désenchantement avec la haute direction du Parti et il offre des conseils politiques dans des lettres ouvertes adressées à l’actuel dirigeant, Xi Jinping.

S’adressant à Xi en tant que « prince rouge » et survivant de la folie du Parti également, Luo exhorte son contemporain cadet à commencer la transition vers la démocratie en Chine et à dissoudre le Parti communiste. Luo soutient les efforts de Xi pour se transformer en véritable homme fort – une étape nécessaire pour tout réformiste authentique voulant apporter un changement durable en Chine communiste – et il espère que Xi va finir par rectifier les récentes tragédies des droits de la personne.

La montée du capitalisme bureaucratique

La Chine est sortie de la Révolution culturelle de Mao traumatisée à jamais, et il était pratiquement impossible pour les Chinois d’ignorer les crimes du Parti communiste.

Pour regagner le soutien de la population et permettre à la Chine de se remettre économiquement, les dirigeants du Parti ont entamé des réformes économiques prudentes, ce qui a précipité la corruption des fonctionnaires et le déclin moral.

Luo Yu a profité d’une progression de carrière fluide après avoir rejoint de nouveau l’armée en 1977. Suivant les traces de son père, il a travaillé dans le département de l’état-major et dans l’espace d’une décennie il avait le grade de colonel et dirigeait le bureau de l’équipement d’aviation.

es mémoires de Luo Yu, fils d'un révolutionnaire communiste chinois, ont connu un grand succès, dans une librairie de Hong Kong. (Yu Gang/Epoch Times)
Les mémoires de Luo Yu, fils d’un révolutionnaire communiste chinois, ont connu un grand succès, dans une librairie de Hong Kong. (Yu Gang/Epoch Times)

Mais Luo ne pouvait tolérer la montée du « capitalisme bureaucratique », le terme pour désigner les responsables du Parti qui s’enrichissent, particulièrement dans l’armée. Les forces armées ont été autorisées à gérer des entreprises, afin que les profits puissent pallier des compressions budgétaires. L’idée venait du dirigeant Deng Xiaoping et était mise en place par le sous-chef de l’armée, Yang Shangkun.

Luo estimait que la politique de Deng affaiblissait l’APL comme force combattante et encourageait la corruption à grande échelle. Il était également dégoûté par ses collègues plus entrepreneurs qui ne cherchaient qu’à s’enrichir et qui avaient recours à des prostituées et s’adonnaient à d’autres vices.

La moralité en Chine en général chutait aussi rapidement, a indiqué Luo à la chaîne New Tang Dynasty Television (NTD) dans une entrevue exclusive. [NTD est un partenaire média d’Epoch Times]

« Le Parti n’a pas de morale ni de croyance et il donne un mauvais exemple aux citoyens », estime-t-il. « Étant donné que le Parti communiste ne respecte pas la constitution, les citoyens apprennent également à ne pas respecter la constitution. Lorsque les fonctionnaires deviennent corrompus, les citoyens vont trouver le moyen de devenir pires que ces fonctionnaires. »

Luo était donc ravi lorsqu’il a entendu que des étudiants universitaires avaient commencé à occuper la place Tiananmen le 17 avril 1989 pour commémorer la mort de Hu Yaobang, un ex-dirigeant du Parti réformiste, et pour demander la démocratie et un gouvernement plus propre par la suite.

4 juin et défection

Les étudiants et les citoyens sympathisants de Pékin n’auraient pu choisir un meilleur moment pour s’en prendre au Parti communiste.

Des étudiants lisent des bannières portant des slogans sur le mouvement démocratique à Pékin en mai 1989. (Li Sha/Epoch Times)
Des étudiants lisent des bannières portant des slogans sur le mouvement démocratique à Pékin en mai 1989. (Gracieuseté de 64memo.com)

En mai 1989, le secrétaire général de l’Union soviétique, Mikhail Gorbachev, était venu en visite officielle à Pékin, les médias internationaux étaient présents pour donner au nouveau mouvement prodémocratie un maximum de couverture.

Un million de personnes ont marché dans Pékin. Tandis que le premier ministre Li Peng rencontrait des représentants étudiants, d’autres s’effondraient sur la place en raison d’une grève de la faim. La loi martiale a été déclarée, c’est un angoissé Zhao Ziyang, le dirigeant du Parti, qui a personnellement appelé les étudiants à quitter les lieux pour leur sécurité.

Luo Yu a perdu toute confiance dans le Parti communiste après avoir appris que les chars d’assaut et les véhicules blindés stationnés en banlieue de Pékin étaient entrés sur Tiananmen et avaient littéralement écrasé les manifestants. Braquer des fusils sur les étudiants est « quelque chose qui ne peut être toléré », a déclaré Luo à NTD.

En revenant de Paris, Luo a profité d’un incident avec des collègues agressifs pour soumettre sa démission formelle. Étant donné que la position de Luo dans l’état-major était très convoitée, une démission sans raison valable aurait pu causer son arrestation et même son emprisonnement. Luo a eu besoin de trois mois pour convaincre ses supérieurs d’autoriser sa démission et un autre six mois a été nécessaire pour être expulsé du Parti pour ne pas avoir payé ses frais d’adhésion.

Pendant les vingt années suivantes, Luo Yu a mené une vie privée et tranquille.

En 1990, il s’est marié en secret avec Tina Leung Kwokhing, une actrice célèbre de Hong Kong devenue femmes d’affaires. Le couple a habité à Hong Kong, au Portugal ainsi qu’aux États-Unis et il a aimé voyager autour du monde ensemble.

Après le décès de Tina Leung en 2010 en raison d’un cancer, Luo a déménagé aux États-Unis. Il habite aujourd’hui dans un appartement modeste non loin de Harrisburg en Pennsylvanie.

Justifier l’espoir

Ironiquement, l’ex-dirigeant communiste Jiang Zemin – qui a conservé son influence après son mandat – avait choisi Xi Jinping pour remplacer Hu Jintao à la barre du Parti précisément parce que Xi ne semblait pas représenter une menace et semblait facile à contrôler. Luo estime que ce remarquable « accident » de l’histoire va probablement amener du changement historique.

« En Chine, ce n’est pas la position formelle que l’on occupe qui détermine son niveau de pouvoir », explique Luo. Depuis l’époque de Mao, les dirigeants du Parti ou leurs successeurs ne sont jamais sans soucis tant que leurs prédécesseurs sont en vie et qu’ils n’ont pas éliminé leurs rivaux et établi un réseau politique assez fort pour assurer l’exécution de leur volonté.

Luo Yu observe avec grand intérêt les manœuvres de ses contemporains et il espère que Xi Jinping va éradiquer la vieille garde en purgeant Jiang Zemin et ses alliés, une étape nécessaire pour tout dirigeant réformiste.

« C’est pourquoi je veux discuter avec Xi Jinping comme quelqu’un de ma génération », affirme Luo. « Je veux lui faire part de mes pensées. Ce qu’il peut accepter, cela dépend à quel point il est béni et à quel point la Chine est bénie. Je ne fais que lui partager mes pensées. »

Luo avance que Xi Jinping va finalement devoir choisir entre sauver le Parti communiste ou sauver la Chine. La Chine d’aujourd’hui est aux prises avec « une crise environnementale, une crise de confiance, une crise de moralité, une crise financière. […] Il y a des crises partout ».

« Impossible d’avoir les deux. […] Je lui dis qu’il n’y a qu’une seule solution – ce n’est pas comme si vous pouvez le faire comme ça vous plaît – et la seule solution est la démocratie. »

Matthew Robertson a contribué à cet article.

Version originale : Vindicating Tiananmen Square

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