ENTRETIEN – Au début du mois d’avril, dans un entretien diffusé dans « C à vous », Emmanuel Macron a annoncé que la France pourrait reconnaître en juin un État palestinien lors d’une conférence à l’ONU qu’elle coprésidera avec l’Arabie saoudite, provoquant la réaction du Premier ministre israélien accusant le président de commettre une « grave erreur ».
L’historien Georges Bensoussan, auteur de nombreux ouvrages, en dernier lieu Les Origines du conflit israélo-arabe, 1870-1950 (Presses universitaires de France, 2023) analyse pour Epoch Times les déclarations du président de la République. Dans cet entretien, il livre également son regard sur la politique de l’administration Trump au Moyen-Orient.
Epoch Times : Comment avez-vous réagi aux propos du chef de l’État sur la reconnaissance d’un État palestinien ?
Georges Bensoussan : La solution à deux États est prônée depuis près de 90 ans. La première fois qu’elle apparaît sous la forme d’un rapport officiel, ce fut avec la Commission Peel en juillet 1937. Cette solution est préconisée à nouveau par les Britanniques au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et elle est décidée par l’assemblée des Nations unies le 29 novembre 1947 par le biais de la résolution 181 qui prévoit le partage de la Palestine en deux États, un État arabe et un État juif.
La partie arabe on le sait, tant les Palestiniens dès le mois de décembre 1947 que les États arabes voisins, refusent la résolution 181 et entrent en guerre. Une guerre qu’ils perdent et qui entraîne le problème actuel des réfugiés palestiniens, la « Nakba », résultat non seulement de leur défaite mais d’un retour en boomerang du projet d’épuration ethnique prévu pour les Juifs en cas de victoire.
Beaucoup plus tard, dans la foulée des accords d’Oslo (1993-1995), la solution à deux États est à nouveau envisagée et ce à trois reprises. Par trois fois elle est refusée in extremis par la partie arabe. Au début des années 2000, l’une des dernières tentatives avait été présentée par Ehoud Barak, le chef du gouvernement israélien de l’époque. Barak prévoyait de restituer aux Palestiniens 95 % du territoire de la Cisjordanie et la souveraineté sur Jérusalem-est. Cette offre-là fut refusée également. Tout se passe in fine, et ce depuis le début, comme si l’acceptation d’un État palestinien signifiait la reconnaissance définitive de l’État d’Israël. Il semble que ce soit là la pierre d’achoppement pour la partie arabe, celle du moins qui s’exprime au grand jour.
En 2005, les Israéliens évacuent leurs implantations de la bande de Gaza et les 8000 habitants qui y travaillaient et vivaient, non sans provoquer un déchirement à l’intérieur de la société israélienne. On aurait pu en attendre un apaisement. Au lieu de quoi, loin de travailler à édifier une région autonome et prospère, le Hamas s’empare de la totalité du pouvoir en 2007 au terme d’un bain de sang avec les hommes de l’Autorité palestinienne.
Depuis cette date, l’organisation islamiste règne sans partage sur ce territoire. Sa Charte, publiée en 1988 et légèrement amendée en 2017, ne reconnaît pas l’État d’Israël et appelle explicitement à sa disparition. Les milliards de dollars reçus du monde arabe (en particulier du Qatar avec l’aval du gouvernement Netanyahou) ont servi à créer une impressionnante machine de guerre (plus de 1000 km de tunnels découverts à ce jour) ainsi que de nombreux stocks d’armes, de nourriture et de carburant (500.000 litres…) en vue d’une guerre à venir.
Les Israéliens ont vu le Hezbollah triompher après leur retrait du Liban-sud en 2000. Sept ans plus tard, ils voient le Hamas contrôler le territoire de Gaza qu’ils viennent de quitter. Aujourd’hui, ils s’interrogent sur les retraits éventuels qu’on leur demande de consentir, et ce d’autant plus que ces retraits territoriaux placeraient la conurbation de Tel-Aviv et l’aéroport international de Lod a quelques kilomètres seulement de la nouvelle frontière.
Répéter mécaniquement la formule dite des « deux États » ne nous avancera guère si l’on n’essaie de comprendre la raison des refus arabes répétés. Sur le devant de la scène, tout se passe comme si les Israéliens étaient les seuls responsables de l’enkystement de ce conflit. Entourés d’une pléiade d’États et de peuples hostiles, on voit mal quel serait leur intérêt à maintenir un état de guerre qui épuise leur société, freine l’immigration et encourage au contraire les départs du pays, qui grève leur budget et in fine ralentit leur économie.
La proposition du président Macron offre donc toutes les apparences d’une proposition raisonnable. Mais que signifie le mot raisonnable tant que le refus arabe d’une indépendance juive n’aura pas été analysé ?
Enfin, si solution à deux États il y a, le schéma le plus probant reste celui d’une fédération jordano-palestinienne. Parce que le territoire palestinien proprement dit est trop exigu et parce que 70 % de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Une solution viable mais à la condition de mettre fin à l’état de guerre entre le monde arabe et Israël, ce qui suppose la reconnaissance de l’État d’Israël avec échange d’ambassadeurs par tous les États arabes de la région.
Emmanuel Macron aurait-il dû attendre la fin de la guerre et la libération des otages restants pour faire cette annonce ? Et la solution à deux États reste-t-elle à long terme un objectif atteignable ?
Que cela soit mentionné maintenant ou plus tard a peu d’importance même si certains considèrent que prôner aujourd’hui un État palestinien reviendrait à « récompenser » les auteurs des massacres du 7 octobre.
L’essentiel n’est pas là. Il est plutôt de comprendre les ressorts des refus réitérés de la partie arabe. Sans ce préalable, on se condamne à répéter les mêmes erreurs et à formuler les mêmes solutions apparemment raisonnables en espérant que cette fois elles fonctionneront.
Mais par quel miracle fonctionneraient-elles davantage aujourd’hui ? Si le logiciel arabo-musulman qui empêche la reconnaissance d’une souveraineté juive en terre d’Israël (ou Palestine) depuis l’origine du mouvement sioniste n’est pas questionné, on répétera sans fin les mêmes erreurs.
Or, le rêve de faire disparaître l’État juif n’a semble-il pas disparu du cœur de la majorité des populations de cette région. Au mépris d’ailleurs de toute l’histoire réelle des origines de ce conflit. D’où la question : qu’est-ce qui dans cette culture et dans une lecture littérale de l’islam s’oppose à la perspective d’une souveraineté juive sur cette terre ?
Ces questions, d’ordre anthropologique, montrent l’extrême difficulté à appréhender le sujet juif comme un sujet égal en droits et souverain. Ces questions sont fondamentales. Les écarter au profit d’une approche strictement positiviste de cet affrontement (frontières, terre, réfugiés, Jérusalem, implantations juives, etc.) empêche de comprendre l’étrange durée (140 ans) de ce conflit.
Quelle analyse faites-vous de la politique menée par l’administration américaine vis-à-vis du conflit entre Israël et le Hamas ?
Le président Trump semble vouloir régler des conflits diplomatiques et militaires difficiles comme un homme d’affaires agacé par la « lenteur » des négociations et pressé de reprendre le cours normal de son commerce.
Devant la dureté du conflit israélo-arabe (et non israélo-palestinien comme on le nomme à tort) on peut craindre que, lassé par sa complexité, il en vienne à imposer à l’allié israélien des conditions dangereuses pour sa sécurité.
C’est peut-être ce qui se profile déjà avec l’Iran. Parler d’« amitié » dans le domaine des relations internationales paraît cocasse, a fortiori avec un État qui, dans l’histoire, a souvent abandonné ses alliés. Ce qui met en pleine lumière la dépendance de l’État juif en matière d’armement, en particulier pour ce qui touche à sa flotte aérienne entièrement d’origine américaine. À ce jour, les Israéliens ne construisent pas d’avions de combat, ils en ont abandonné le projet dans les années 1980 avec le Kfir.
Parce que les militaires et les politiques israéliens savent cette fragilité, depuis octobre 2023 un gros effort a commencé d’être fait pour compléter l’industrie de guerre du pays et pallier les carences les plus graves, en particulier en matière de munitions lourdes.
Le président Trump est loin d’être incohérent comme on le laisse entendre parfois. Il entend gouverner les États-Unis comme on gère une entreprise. S’il est entouré de nombreux conseillers, il faut aussi tenir compte de l’esprit de cour qui interdit de contredire un maître irascible. Le projet de déplacer la population de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie pour faire de ce bout de littoral une « Riviera du Moyen-Orient » : comment cette idée saugrenue (et humiliante pour la partie arabe) a-t-elle pu séduire certains de nos contemporains ? A fortiori l’entourage du président censé le conseiller ? L’administration Biden avait une vision plus réfléchie de la situation et plus au fait des réalités locales comme Anthony Blinken l’avait montré à plusieurs reprises.
Des pourparlers ont eu lieu en avril à Oman entre Washington et Téhéran. Les discussions ont été saluées par les deux parties. En même temps, les États-Unis continuent de menacer l’Iran. Pourquoi l’administration Trump souffle-t-elle le chaud et le froid avec la République islamique ? Peut-on également affirmer que la situation économique de l’Iran a poussé Téhéran à discuter avec les États-Unis ?
La ligne de conduite du président Trump renoue avec le vieux tropisme républicain de l’isolationnisme. Il cherche à désamorcer les situations qui pourraient amener les États-Unis à s’engager militairement. L’Iran en offre un bon exemple.
Si l’administration Trump s’achemine peut-être vers un accord avec Téhéran, c’est sans doute aussi parce que l’économie iranienne est à bout de souffle. Le régime est fragile, il tient en grande partie par la terreur et une répression féroce marquée par une pratique de la peine de mort qui vaut celle de la Chine.
Mais le régime sait que pour tenir de façon moins précaire, il lui faudra desserrer l’étau économique et social. Un accord avec les États-Unis sur le nucléaire lui en offrirait l’occasion. Si cette affaire devait aboutir, le grand perdant en serait l’État d’Israël dont la sécurité passerait au second plan. Les avances récentes de Netanyahou sur une frappe américano-israélienne en Iran ont été sèchement repoussées par le président américain.
Nous assistons peut-être au début d’une politique d’abandon à l’endroit d’un certain nombre d’alliés historiques des États-Unis. On peut craindre par exemple que la position américaine à l’égard de l’Ukraine encourage le totalitarisme chinois qui, étape après étape, tisse sa toile, renforce son armée, et attend son heure : après le Tibet et les Ouïghours, après Hong Kong, viendra Taïwan dans le silence résigné de l’Occident.
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