Groupes de niveau au collège : qu’en disent les professeurs ?

Par Sarita Modmesaïb
10 avril 2024 17:06 Mis à jour: 10 avril 2024 17:06

La mise en place des groupes de niveau en classes de 6e et de 5e dans les collèges divise parents et professeurs. Qu’en pensent les enseignants concrètement ?

Le 13 mars dernier, Gabriel Attal a confirmé cette mesure annoncée dans la cadre du « Choc des savoirs » alors qu’il était encore ministre de l’Éducation : plusieurs fois dans l’année, les classes seront remixées juste pour les cours de maths et de français, avec la mise en place de trois groupes « constitués en fonction des besoins des élèves », afin de relever le niveau de chacun.

Un arrêté pour quelle réalité ?

L’arrêté publié au Journal Officiel le 17 mars dernier entrera en vigueur cette année pour les classes de 6e et 5e, puis à la rentrée 2025 pour les élèves de 4e et 3e. Selon les termes du texte, « les enseignements communs de français et de mathématiques, sur tout l’horaire, sont organisés en groupes pour l’ensemble des classes et des niveaux du collège ». Si le terme « niveau » n’apparait plus dans le texte, c’est pourtant selon le niveau de l’élève qu’il sera orienté vers tel ou tel groupe.

« Les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficient d’effectifs réduits », précise l’arrêté qui confirme la prédominance de ces groupes dans le temps. « Par dérogation, et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves peuvent être, pour une ou plusieurs périodes, une à dix semaines dans l’année, regroupés conformément à leur classe de référence pour ces enseignements. »

« La composition des groupes est réexaminée au cours de l’année scolaire, notamment à l’occasion des regroupements, afin de tenir compte de la progression et des besoins des élèves », détaille par ailleurs l’arrêté.

L’actuelle ministre, Nicole Belloubet, a tenu à préciser qu’il y aurait « une certaine souplesse » dans la mise en place de ces groupes.

En bref, quelle concrétisation en classe ? S’il y a, par exemple, cinq classes de 6e dans un collège, tous les enseignements autres que le français et les maths seront dispensés dans chaque classe, traditionnellement. Seulement, les emplois du temps devront aligner tous les cours de français et de maths au même instant pour ces 5 classes, car, à ce moment de la journée, les classes seront remixées en « groupes de besoin », avec, de surcroît, la nécessité d’avoir des « effectifs réduits » pour les groupes d’élèves les plus en difficulté.

Ces groupes ne seront pas fixés pour l’année entière mais pourront évoluer en fonction de la progression des élèves. En outre, selon les termes de l’arrêté, pendant une à 10 semaines, les élèves d’une même classe pourraient alors se retrouver pour l’enseignement des maths et du français, tout comme celui des enseignements artistiques, des langues, de l’histoire-géographie, des sciences ou de l’EPS.

Qu’en pensent les profs ?

Dans un appel à témoignages, France Info a recueilli plus de 600 avis avec une majorité de retours négatifs. La colère semble gronder chez les syndicats enseignants et la crainte s’installer chez des parents et des enseignants.

En Guadeloupe, qui se classe 30e sur 33 en Français comme en Maths dans les résultats des évaluations nationales à l’entrée en 6e, les professeurs appréhendent déjà cette rentrée. Epoch Times est allé à la rencontre de quelques enseignants.

Claude est enseignant en CM2 dans une école primaire de Saint-Claude. Alors qu’il est en pleine préparation des dossiers de passage en 6e et de sélection des spécialités, ce professeur des écoles s’interroge sur l’avenir de ses élèves et, notamment, sur l’impact de ces groupes : « Les groupes de niveaux en 6e et 5e vont favoriser les bons élèves. Les élèves en difficulté risquent de se retrouver avec des élèves qui ont un comportement inadapté au milieu scolaire. Cela risque de créer des classes « poubelles » ingérables par les enseignants », s’alarme Claude, proposant ainsi quelques clés : « Pour permettre à tous les élèves de progresser, il faut créer des conditions favorables aux apprentissages (des moyens humains, des prises en charge effectives par les partenaires extérieurs (CMPP, CMP). »

Alors que les Segpa, ces classes accueillant de petits effectifs d’élèves ne maîtrisant pas les compétences attendues en fin d’école primaire, sont fermées peu à peu dans les collèges, nombre d’enseignants se demandent si ces groupes de niveau pourraient constituer une alternative à ces classes spécialisées.

Pour Claude, on pourrait parler d’alternative, mais seulement « à condition que les enseignants affectés dans ces classes aient reçu une formation appropriée. Il ne s’agit pas d’improviser… »

Rebecca est professeure de français au collège à Basse-Terre. Elle confie être « assez sceptique et inquiète » pour ses élèves. « Cette nouvelle réforme ne fait pas écho avec l’idée que j’ai de l’école publique. Elle va profondément desservir les élèves en difficulté, les stigmatisant davantage. »

L’organisation du dispositif est également source d’interrogation et d’inquiétude pour cette professeure. « Il y aura forcément des conséquences collatérales avec les parents d’élèves, les collègues », déplore-t-elle. La contrainte supplémentaire du lissage des emplois du temps par rapport aux horaires de français et de maths est bien présente. Les séances d’AP, accompagnement personnalisé, se réalisant en demi-groupes, risquent aussi, selon la professeure, d’être supprimées au profit de ces groupes exclusifs en français et en maths.

En outre, « il faudra évaluer les progrès et l’évolution des élèves, estime Rebecca, cela nécessite des temps de concertation, donc ce sera une surcharge de travail pour les collègues impliqués dans ce dispositif ».

Concernant les parents d’élèves, la professeure de français « redoute les conflits », « ils risquent de demander des comptes et ne seront pas toujours conciliants face aux placements dans les groupes ».

Une photo prise à Paris le 13 mars 1975 montre des lycéens manifestant contre le projet de loi du ministre de l’Éducation René Haby visant à créer de nouvelles voies dans le système d’enseignement secondaire français. Finalement, la loi Haby adoptée en juillet 1975 a établi le système français actuel de collèges uniques. (Crédit photo AFP via Getty Images)

Des groupes de niveaux existant déjà dans les années 80

Ce dispositif proposé par Gabriel Attal n’est pourtant pas une nouveauté. Dans les années 80, il était déjà expérimenté dans nombre de collèges français, sous l’égide d’Alain Savary, ministre de l’Éducation en 1983. L’INA revient sur un reportage d’Antenne 2 qui, à l’époque, plaidait ainsi pour les groupes de niveau, lesquels avaient pour intérêt « de gommer le principal inconvénient du collège Haby : ces classes où les élèves sont mélangés quelque soit leur niveau. Si bien que les forts s’ennuient et les faibles ne s’en sortent pas. » Rappelons que c’est lors de la réforme Haby que le collège unique a été créé en 1975.

Bernadette, actuelle professeure de SVT au lycée, se souvient encore de ses années au collège de Capesterre-Belle-Eau. « C’était en 1984. En tant qu’élève, j’ai beaucoup apprécié les groupes de niveau en maths et en français. Dans le groupe A des « bons », on pouvait travailler à un rythme plus soutenu et on allait même plus loin dans les attendus. Entre nous, il y avait une compétition saine ! »

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