Guerre en Ukraine : « Nous devons accélérer les livraisons et soutenir au maximum les Ukrainiens sur le plan financier et assurer une pérennité des financements », déclare Anna Pic

Par Julian Herrero
26 mars 2024 18:43 Mis à jour: 26 mars 2024 18:43

ENTRETIEN – Élections européennes, progression du Rassemblement national, présidentielle de 2027 et guerre en Ukraine, la députée socialiste de la Manche, Anna Pic, revient dans un entretien accordé à notre rédaction sur les sujets brûlants de l’actualité. L’élue de gauche appelle à bâtir une nouvelle Europe, plus solidaire et écologique, et moins libérale. Sur l’envoi éventuel de troupes françaises sur le sol ukrainien, elle considère qu’Emmanuel Macron devrait d’abord honorer les engagements pris précédemment par la France en matière d’aide à Kiev.

Epoch Times – L’essayiste Raphaël Glucksmann va porter pour la deuxième fois les couleurs du Parti socialiste pour les élections européennes. Pour ces élections, la gauche n’est pas unie, votre parti, les Insoumis, les communistes et les écologistes ont tous présenté une liste différente. Toutefois, Raphaël Glucksmann et Jean-Luc Mélenchon ont indiqué il y a quelques jours qu’ils souhaitaient une union de la gauche en vue de l’élection présidentielle de 2027. Êtes-vous optimiste ? Des divergences majeures demeurent entre les différents partis de gauche, en particulier sur la question de la guerre en Ukraine.

Anna Pic – Je crois qu’il ne faut pas confondre les scrutins. Parler des élections européennes comme s’il s’agissait d’une élection nationale est une erreur. Au Parlement européen, le groupe de droite a le pouvoir, et le nôtre, celui des sociaux-démocrates est à quelques voix de pouvoir remporter les élections de juin prochain.

Dans l’immédiat, les questions qui m’intéressent ne concernent pas 2027, mais portent plutôt sur quelle Europe nous voulons. Elle s’est transformée sous l’effet des crises, et nous les socialistes, pensons que l’heure est venue de changer de paradigme, passer d’une Europe libérale à une nouvelle Europe solidaire et écologiste qui nous permettrait de répondre aux grands enjeux de demain, notamment la protection du territoire des citoyennes et des citoyens, mais aussi le dérèglement climatique.

Selon une enquête OpinionWay pour les Échos, le RN devrait arriver largement en tête du scrutin avec 27 % des voix, soit 7 points d’avance sur la liste de la majorité présidentielle (20 %). Le PS arriverait troisième avec 11 %. Comment analysez-vous cette forte progression du RN ?

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite progresse partout en Europe. Il y a beaucoup de raisons à cela, en particulier l’impact du libéralisme économique, de la déréglementation qui en découle et des conséquences sur les plus fragiles. Et puis évidemment, les différentes crises qui ont eu lieu.

Il y a également depuis quelque temps un recul des services publics et nos concitoyennes et concitoyens sont pessimistes ; ils considèrent que l’avenir ne sera pas forcément meilleur à la fois pour eux comme pour leurs enfants.

Tout ceci engendre des incertitudes, un repli sur soi et des peurs qui sont manipulées par l’extrême droite. Tout cela est inquiétant.

Certains disent que la gauche a une responsabilité dans la montée du RN. Qu’en pensez-vous ?

On peut toujours dire ça, mais je constate que lorsque la gauche était aux responsabilités, il n’y avait pas 88 députés RN à l’Assemblée nationale. Ceux qui nous ont dit qu’ils incarnaient le barrage contre l’extrême-droite en 2017 nous ont amenés à ce résultat. Le premier mandat d’Emmanuel Macron a largement fait basculer les choses.

Je veux bien qu’on nous accuse de tout, mais en attendant la gauche a toujours parlé des revenus, des conditions de travail. Peut-être que nous ne l’avons pas fait suffisamment et il y a eu certainement des erreurs de faites entre 2012 et 2017, mais en même temps, il y a eu aussi des avancées sur lesquelles nous n’insistons pas suffisamment.

N’y a-t-il pas eu une cassure entre les classes populaires et la gauche autour du thème de l’insécurité ?

L’insécurité et les violences de manière générale les touchent tout particulièrement. Mais il ne faut pas confondre l’insécurité et le sentiment, l’anxiété et la peur provoquées par des transformations massives de notre territoire.

Je ne pense pas que nous avons évité de parler de ce sujet aux classes populaires, nous n’avons tout simplement pas les mêmes solutions simplistes que nos adversaires politiques.

Je rappelle, par ailleurs, que c’est lorsque la gauche était au pouvoir que des fonctionnaires de police ont été embauchés puisque Nicolas Sarkozy avait réduit drastiquement les effectifs et avait supprimé la police de proximité. Il en est de même pour le budget de la défense. Il n’est pas remonté après l’arrivée d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, il est à peu près au même niveau qu’en 2016. Il y a donc, d’un côté, les commentaires de nos détracteurs et de l’autre, la réalité des faits.

Jean-Luc Mélenchon n’a pas exclu d’être candidat en 2027. S’il devait être le candidat de la gauche, le PS pourrait se rallier à lui ?

Nous sommes au début de l’année 2024. Je ne fais absolument aucun commentaire sur ce qui se passera en 2027, sous quelle bannière, etc.

La réalité est que nous devons prendre conscience de la tripartition de la vie politique depuis de nombreuses années. Il y a un bloc d’extrême-droite qui est de plus en plus fort, un bloc de droite libérale et conservatrice et un bloc de gauche. La question est de savoir comment on peut éviter le pire alors que nous savons que l’extrême-droite progresse depuis longtemps et que les gens qui étaient censés nous en protéger ont présenté un projet de loi immigration que Marine le Pen a qualifié de victoire idéologique.

Nous allons nous battre contre ça et proposer une meilleure offre politique pour que les Français croient à nouveau en la politique. Aujourd’hui, il est trop tôt pour savoir qui portera les couleurs de la gauche dans trois ans. Il nous faut d’abord voir dans quelles conditions politiques nous serons en 2026. Pour le moment, il ne s’agit pas de sortir un nom du chapeau, mais de construire une alternative.

La construction d’un programme de coalition qui puisse remporter les suffrages est l’une des conditions de la victoire lors de la prochaine échéance électorale.

La guerre en Ukraine est revenue au-devant de l’actualité. Kiev connaît de plus en plus de difficultés sur le front (manque de munitions, etc…). Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des troupes françaises sur le sol ukrainien. Quelle est la position du PS sur ce sujet ?

Je crois qu’Emmanuel Macron n’a pas été très clair depuis le départ alors que c’est un sujet très sérieux. Une nouvelle fois, la pratique du « en même temps » montre ses limites.

Au PS, nous rappelons que, sauf erreur de notre part, le président Zelensky ne nous a jamais demandé un apport de troupes au sol. Il y a donc un décalage entre les propos d’Emmanuel Macron et les demandes réelles de l’Ukraine. Faisons déjà ce que nous demande Kiev, c’est-à-dire leur donner les moyens de défendre leur intégrité territoriale.

Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas suffisamment soutenu l’Ukraine, notamment en termes de munitions. Nous n’avons pas tenu nos promesses. Si nous soutenons l’Ukraine contre les agresseurs russes, nous devons le faire à la hauteur de nos engagements. Nous sommes loin du compte aujourd’hui.

Nous devons accélérer les livraisons et soutenir au maximum les Ukrainiens sur le plan financier et assurer une pérennité des financements. Donc, avant de faire des annonces, nous devrions déjà tenir nos promesses.

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