Indépendance de la BBC : le débat s’installe en Angleterre

6 avril 2016 10:45 Mis à jour: 6 avril 2016 09:05

Un débat prend forme dans la société britannique sur le rôle et l’indépendance de la BBC dans le paysage audiovisuel anglais. Le secrétaire d’État à la Culture, John Whittingdale, du Parti Conservateur, a émis vers la mi-mars une proposition de loi suggérant que les membres du conseil d’administration de la chaîne devront être approuvés par le gouvernement. Une entremise qui ne laisse pas de marbre un grand nombre de citoyens de Sa Majesté.

La réforme de la plus grande chaîne anglaise

Historiquement, la télévision anglaise est synonyme de qualité et de stabilité. Même si l’on distingue la BBC – qui perçoit les taxes audiovisuelles de ses citoyens – des chaînes privées, l’ensemble du paysage audiovisuel répond à des réglementations et leurs développement et objectifs sont suivis de près par divers organismes tels l’Ofcom – l’instance de régulation du paysage audiovisuel anglais, qui a d’ailleurs été un temps pressenti pour succéder au rôle de la BBC Trust.

Au cours de l’été 2015, le gouvernement Cameron a entamé une réforme de cette chaîne emblématique. Sous la tutelle de John Whittingdale, la télévision a opéré un tournant destiné à la « moderniser » dans son financement : pour pallier le manque de revenus liés à la redevance, le groupe a dû se séparer d’un millier de salariés. Mais John Whittingdale veut aller plus loin, et touche désormais à la gestion et sa régulation.

En 90 ans d’existence, la BBC a nommé elle-même les membres de sa gouvernance, le BBC Trust. Cette entité perçoit directement les redevances, est garante de l’« intérêt public » de la BBC et de sa mission « d’informer, d’éduquer, de divertir » ; elle nomme le directeur général du Conseil exécutif, qui, lui, est responsable des programmes et de l’éditorial.

C’est ce BBC Trust qui est la cible principale du secrétaire d’État à la Culture. John Whittingdale a déposé une proposition de loi stipulant qu’en janvier prochain, le conseil de la BBC serait un organe indépendant de la BBC, et que chacun de ses membres, exécutifs ou non, devraient être approuvés par le gouvernement.

« Affaiblir la BBC, c’est affaiblir l’Angleterre »

La mesure de John Whittingdale apparaît aujourd’hui comme une réponse malhabile mais légitime, car d’après de nombreux observateurs, un problème demeure dans l’histoire de la chaîne. D’après Roy Greenslade, professeur de journalisme à l’université de la City, le Conseil actuel assure la promotion de la chaîne aussi bien que sa régulation et a dû accepter d’être « compromise par un manque perçu d’indépendance ». Ainsi, cette gouvernance n’a parfois pas su répondre de façon satisfaisante aux plaintes qui ont pu viser la chaîne.

Voilà le problème précis qui se pose pour le ministre britannique : savoir si, dans la guerre de la culture, il vaut mieux être Américain ou Français.

Philip Collins The Times

Cependant, le fait d’avoir un conseil nommé par le gouvernement est loin de faire l’unanimité, même au sein de la sphère politique. « La BBC n’est pas une télévision d’État, et, plus important, ne doit pas être perçue comme telle », Roy Greenslade, du Guardian. Lord Anthony Lester, du camp des démocrates, a proposé une loi qui, au contraire, défend l’indépendance de la BBC par la création d’un organisme séparé permettant de réguler la chaîne.

D’une perspective plus générale, il est acquis en Angleterre que la BBC, qui est la plus importante société de diffusion au monde en termes de revenu brut et de téléspectateurs, est une grande réussite et impose un modèle de journalisme. Depuis sa création, la chaîne a gardé une distance respectable envers les gouvernements. Dès l’annonce des premières mesures de la réforme, 29 artistes dont Daniel Craig ou la romancière J.K. Rowling, ont écrit une lettre ouverte à David Cameron, expliquant qu’à leurs yeux, « affaiblir la BBC, c’est affaiblir l’Angleterre ».

Française ou américaine, la culture de la BBC ?

Reste que les projets de John Whittingdale sont peu lisibles. La volonté de mettre un terme au problème de gouvernance actuel de la chaîne ne donne pas pour autant d’indication sur ce qu’elle deviendrait si celle-ci devait avoir un conseil dont les membres seraient approuvés par la chambre des Lords.

Ed Vaizey, ministre de la Culture, a récemment publié un livre blanc se faisant force de proposition pour la culture anglaise et sa diffusion. Ce livre est le premier à être publié depuis l’époque de Jennie Lee, Premier ministre des Arts, qui appelait de ses vœux à rendre la nation « plus joyeuse et cultivée ». Ed Vaizey prône un interventionnisme culturel, une idée peu commune dans un pays qui ne voie pas forcément d’un bon œil l’intervention de l’État dans la sphère économique.

« La culture américaine n’a pas eu besoin de ministre pour conquérir le monde », note le journaliste Philip Collins, comparant l’approche du ministre à celle d’André Malraux, ancien ministre gaulliste de la Culture, qui a beaucoup inspiré le modèle anglais. Le livre blanc du ministre préconise d’œuvrer pour l’accès et la diffusion de la culture anglaise dans le pays, ou encore d’en faire un « atout dans la diplomatie » ; l’une des mesure sera la création d’un fonds de 2,5 milliards de livres à destination d’écoles pour les enfants pauvres et pour l’accès aux activités culturelles.

« Pour un Conservateur au tempérament relevant du libre-marché, la culture est peut être une question d’ordre publique tant qu’il est question de rentrées d’argent public », soulève le journaliste du Times, pour qui deux visions s’opposent dans le prochain modèle de gouvernance de la BBC. « Voilà le problème précis qui se pose pour le ministre britannique : savoir si, dans la guerre de la culture, il vaut mieux être Américain ou Français ».

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